La Sentence. Louise Erdrich. Editions Le Livre de Poche. 9,90 €.
Ronde de mots et tour des mondes, ce blog se veut un bric à brac, joyeux si possible... Un brin de douceur, des éclats d'idées, des tranches de vie ou des fragments d'envie : morceaux de soleil (et parfois de pluie) pour partager, voyager, observer et échanger !
lundi 29 septembre 2025
La sentence
dimanche 14 septembre 2025
La bonne mère
La Bonne Mère, c’est ainsi qu’on surnomme la Basilique Notre-Dame de la Garde et son imposante statue de la Vierge protectrice. Le livre sillonne les hauts et les bas de la relation mère/fille en jouant sur le fond, mais également sur la forme, puisque le récit se fait à plusieurs voix, sur deux registres de langage différents. Celui de la mère, direct, parlé, prolétaire assumé et celui de Clara, l’intellectuelle qui a gommé son accent et veut se hisser dans des sphères où son raisonnement résonne. Ce qui ressemble d’abord à une fresque sociale sur fond de transfuge de classe s’avère être, au fil des pages, une peinture bien plus subtile des relations humaines et du couple. Peu à peu, au nord comme au sud, le doute s’infiltre, les fractures se révèlent, le déni perd du terrain. Mathilda Di Matteo fait surgir la violence comme souvent dans la vraie vie. A petites touches insignifiantes. Un mouvement d’humeur vite pardonné, une remarque en apparence anodine et le poison s’instille, quel que soit le milieu social dont on est issu. Là, bizarrement, les codes sont toujours les mêmes. Mère et fille, dans leurs errances et leurs tâtonnements, apprennent. Chacune de son côté, puis ensemble et accompagnées d’une garde rap-
prochée de femmes, elles font triompher l’amour, malgré la douleur. Les hommes, défaillants ici, mais pas jugés, s’effacent sans avoir mis en œuvre cette capacité à l’introspection qui leur aurait permis de trouver leur juste place. Un premier roman lumineux qui déjoue les apparences.
La Bonne mère. Mathilda Di Matteo. Éditions L’iconoclaste. 20,90 €.
mardi 2 septembre 2025
Nous sommes faits d’orage
Si on peut être dérouté, au début, de devoir jongler entre les années, on est très vite happé par la puissance du récit de Marie Charrel. On se familiarise avec ces protagonistes que l’on croise successivement à différentes époques de leur vie. Au fur et à mesure que leur portrait est brossé, on pénètre au cœur de leur fonctionnement. Une femme douée de seconde vue, les autres soudées par la force des traditions, parfois libératrice, parfois dévastatrice. Les hommes rudes, droits, attachés à leur liberté et à leur montagne pour certains, curieux du monde pour d’autres. Elora, libre et différente. Il y a la jeunesse et la révolte. La soumission et l’abnégation. La poésie et l’espoir puissant qu’elle véhicule quand on est bâillonné. Chapitre après chapitre, on suit les aventures de Dritan et Elora, de Sarah et Niko, dans les secrets entremêlés et les mutismes qui, peu à peu, font place à la vérité. L’écriture est âpre et douce à la fois. Elle explore le rapport à la nature, les notions d’émancipation et d’enfermement, fouille les liens amicaux, familiaux et les loyautés qui en découlent, forgés dans une culture dont, nous, Français, ignorons tout. La toile de fond du régime dictatorial entraîne les personnages à dévoiler les facettes contradictoires enfouies dans chaque être humain. Comment réagir face à l’univers, au pouvoir, à la violence, l’amour, à la place de l’individu dans la société ? Marie Charrel examine avec maestria toutes les pistes, de la vengeance à la fuite, de la trahison au pardon, de la colère à l’acceptation, de la mort à la vie. Un roman d’une grande intensité, impossible à lâcher !
Nous sommes faits d’orage. Marie Charrel. Éditions Les Léonides. 21,90 €
lundi 7 juillet 2025
L'été nous met à la page
Montgolfière dans le ciel azur de l’aube ou du crépuscule. Douce brise, morsure du soleil ardent sur nos bras nus. Bourdonnements fous d’insectes piégés par les murs de la maison. Explosion des parfums, melon, pêche et épices mêlés sur les étalages chamarrés du marché. Fraîcheur du thé glacé dégusté à l’ombre d’un grand arbre. Et des livres. Sur la serviette de plage, le transat du jardin, dans le vide-poche de la voiture, sur la table basse d’un salon aux volets clos. Pas de doute, c’est l’été ! L’écume des pages nous emmène en voyage.
A Gabarny (ville imaginaire) et Lille, pour une chasse au trésor avec Chloé, mère et belle-mère débordée par un quotidien pesant. Secrets de famille, répartition des rôles, argent, violences conjugales, amour… dans Une époque en or, Titiou Lecoq crée une fiction imprégnée des sujets de société qu’elle traite dans ses essais. C’est drôle et bien senti. Intelligent. (L’Iconoclaste)
Cap à l’ouest avec Cézembre d’Hélène Gestern. Yann a fui depuis longtemps la Bretagne et la tutelle insupportable de son père. Lors de la succession, il hérite de la maison familiale à Saint-Malo et en explore les archives. Déterminé à comprendre les vieilles rancœurs et mettre à jour sa vérité, il amorce une enquête qu’on suit avec avidité. Captivant. (Folio)
Rejoignons Daphné du Maurier à L’Auberge de la Jamaïque, sur une côte battue par les vents et les mystères. Relire des classiques est toujours instructif. Le rythme de l’action y est plus lent, les descriptions plus fouillées, le style, léché. Ici, Mary, jeune femme orpheline, se confronte à son oncle, propriétaire d’un établissement hôtelier où ne s’arrête plus aucun client. Haletant. (Le Livre de Poche)
Après les brumes océanes, la lumière de l’Italie du XIXe siècle. Anna suit son mari dans le talon de la botte. Femme instruite et passionnée de littérature, elle bouscule les convenances et devient La porteuse
de lettres. Dans ce premier roman, Francesca Giannone explore avec sensibilité les blessures de la vie, erreurs d’aiguillage et autres sentiments humains. Émouvant. (Albin Michel)
Bombes autrichiennes en 1915 sur les cimes italiennes du Frioul. Porteuses d’un autre genre, Agata et ses compagnes gravissent la montagne familière et acheminent munitions et nourriture nécessaires à la survie de leurs soldats. Un tireur d’élite ennemi perturbe les ascensions. Dans Fleur de roche, Ilaria Tuti peint une nature abrupte, une époque rude, des sentiments puissants. Envoûtant. (Le Livre de Poche)
Un camping-car, une jeune prostituée, une vieille mexicaine, des ecclésiastiques outrés, un prêtre et deux tueurs tout droit sortis d’un film de Tarantino, des miracles ou plutôt, des résorptions. Tel est le programme de Stella et l’Amérique. Un road trip pas comme les autres, déjanté et jubilatoire dans lequel nous propulse la plume incandescente de Joseph Incardona. Désopilant. (Pocket)
Sur le continent américain toujours. Dans la famille Padavano les sœurs ont un air de ressemblance avec Les quatre filles du Docteur March. William, étudiant et basketteur prometteur est esseulé. Deux univers s’emmêlent, s’épousent, se déchirent, se reconstruisent. Les bien-aimés est une saga éblouissante. Avec pudeur et délicatesse, Ann Napolitano nous livre le parcours de résilience d’un héros
masculin. Important. (Les Escales)
Entre la France et le Japon, à cheval sur la Seconde Guerre Mondiale et aujourd’hui, Akira Mizubayashi, après l’admirable Âme brisée, écrit une Suite inoubliable. Une luthière brillante, digne
héritière de sa grand-mère, répare un Goffriller, violoncelle aussi ancien que précieux. Elle découvre à l’intérieur une relique qui la mène sur la trace du passé. Bouleversant. (Folio)
Qui ne rêve pas d’un grand mas provençal aux murs frais, piscine et grillons, lieu quasi mystique protecteur des réunions familiales ? Les Frangines d’Adèle Bréau retrouvent chaque été leurs parents dans cette propriété idéale. Mais tout a basculé la saison dernière, quand le père a quitté la mère. L’ordre des choses est rompu, l’heure d’ouvrir son cœur et de se dévoiler est arrivée. Touchant. (Le Livre de Poche)
Les lecteurs soucieux d’équité me pardonneront une sélection où dominent les autrices. Acte totalement involontaire puisque je ne saurais trop conseiller aux tatillons de se tourner vers Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde (glaçant), La vie n’est pas un roman de Susan Cooper de Stéphane Carlier (hilarant) ou encore Syngué Sabour d’Atiq Rahimi (troublant), tous écrits par… des hommes ! Pensez quand même aussi à Stupeur, de Zeruya Shalev ou encore Le grand feu, de Léonor de Récondo. Ah… Une voix s’élève du haut-parleur et annonce mon départ imminent pour le nord de l’Italie avec Le Duc et Matteo Melchiorre. Ciao, et à tous, bon été en lectures !
mercredi 25 juin 2025
Ce que je sais de toi
Couronné par de nombreux prix, dont le Femina des lycéens en 2023, ce roman est longtemps resté figé dans ma bibliothèque après que les premières pages ne m’ont pas convaincue. Parfois, un rendez-vous littéraire est simplement différé. Dernièrement, n’ayant plus rien à me mettre sous la dent, je repense à ce livre. Je reprends la lecture où je l’avais interrompue (après plusieurs tentatives infructueuses), autour de la page 40. Oui, je sais, ça n’est pas beaucoup, d’habitude, je me donne au moins 80 pages avant d’abandonner. Mais là, je n’y arrivais pas. Bref. Me voici au moment où, après avoir décrit l’enfance et l’adolescence de Tarek, auquel il s’adresse à la deuxième personne du singulier, le narrateur évoque les retrouvailles entre Tarek et Mira, quatorze ans après leur première rencontre. L’action se déroule au Caire entre la fin des années 60 et le début des années 2000. Tarek, devenu médecin comme son père, a épousé Mira et repris le cabinet du patriarche à la mort de ce dernier. Début des années 80, sur le papier, Tarek a tout réussi. Pourtant, plane un indéfinissable malaise. L’ouverture d’un dispensaire dans un quartier défavorisé apporte une bouffée d’oxygène à Tarek qui se lie d’amitié avec Ali, un jeune homme soucieux de la santé déclinante de sa mère, dont il fait son assistant. Il offre au jeune homme des perspectives d’avenir auxquelles son origine modeste ne lui permettait pas de rêver. Au fil des mois, au côté d’Ali, les certitudes de Tarek sont ébranlées, vacillent et tout vole en éclat.
Cette fois je n’ai plus lâché Ce que je sais de toi jusqu’à la dernière page en me demandant pourquoi, au départ, j’avais été si réfractaire à ce premier roman d’une grande sensibilité et d’une maîtrise totale. L’auteur pénètre au cœur d’une famille levantine chrétienne, avec ses secrets et des non-dits pesants qui en divisent les membres. D’une écriture fine et intelligente, il cisèle habilement ses personnages féminins, la matriarche amoureuse de la France, la sœur de Tarek, prisonnière des secrets, Mira, drapée dans son mensonge. Éric Chacour dépeint l’Égypte colorée et multiple d’avant l’arrivée du rigorisme religieux avec une grande sensualité. Mais même dans cette société, on ne franchit pas certaines limites. Et les femmes vont s’acharner à préserver les apparences, quel qu’en soit le prix. Pourtant, la loyauté va-t-elle au silence ou à la vérité ? La quête, menée par un narrateur dont on découvre l’identité assez tard dans la lecture, fait émerger peu à peu du brouillard une réalité tue au nom de la bienséance. Mention particulière pour l’évocation pudique d’Huntington, une terrible maladie neurodégénérative. Par un récit empreint de délicatesse, sans que jamais ne pointe l’ombre d’un jugement, l’auteur expose les dégâts du silence sur les êtres et offre à tous la possibilité de réapprendre à conjuguer le verbe aimer.
Ce que je sais de toi. Éric Chacour. Éditions Philippe Rey. 22 €
vendredi 13 juin 2025
La Petite Bonne
Les premières lignes ont suscité un petit recul. Quoi ? Des vers ? Cet effet de style est-il vraiment indispensable à l’histoire ? Ne pas s’arrêter aux apparences. Poursuivre la lecture. La prose arrive bientôt, puis, d’autres vers, écrits sur le côté droit de la page quand les premiers étaient à gauche. La façon dont chaque protagoniste s’exprime est donc visiblement marquée et vient appuyer cette partition à trois voix. Celles de la Bonne, d’Alexandrine et de Blaise. Chacun à sa manière est enfermé et par touches successives, se livre sur ses blessures. Bérénice Pichat nous entraîne dans un suspense tourbillonnant là où pourtant, les âmes semblent stagner. Les silences, les immobilités contrastent soudain avec le bouillonnement provoqué par le changement de paramètres. L’immuabilité de l’ordre établi renversée sans bruit génère une confrontation inédite entre Blaise et la Bonne. D’un autre côté, Alexandrine, en mettant un pied à l’extérieur, découvre la fracture entre la réalité fantasmée et l’expérience. Avec une plume précise, l’autrice ménage son effet tandis que le lecteur est emporté dans des montagnes russes émotionnelles. Une mention particulière pour la description éblouissante d’une révélation musicale. Avec subtilité, le récit nous entraîne vers ce qui libère chaque protagoniste du carcan où il est isolé. La chute est magistrale. Ce roman, d’une grande délicatesse, est un bijou de littérature. Énorme coup de cœur !
La Petite Bonne. Bérénice Pichat. Éditions Les Avrils. 21,10 €.
jeudi 5 juin 2025
Gianni le magnifique
Pamela Churchill est une maligne. Elle trouve toujours l’occasion de se faufiler dans les sagas de Stéphanie des Horts. Elle est une sorte de fil rouge (roux) flamboyant, qui relie ces histoires les unes aux autres. Celle-ci commence dans le fracas d’une gifle et le craquement de la tôle accidentée. L’objectif de l’autrice se déplace, direction l’Italie. Au fil des pages, on côtoie Malaparte ou encore Truman Capote. Les réceptions ont lieu dans des décors dignes des romans de Francis Scott Fitzgerald. On file à vive allure sur une mer d’huile, installé dans des yachts aux ponts de teck. On croise Jackie Kennedy. Chaque page tournée a le goût d’un bonbon gorgé de soleil et de chaleur, parfumé aux embruns de la Méditerranée. Le XXe siècle, furieusement romanesque, offre un cadre aux tragédies. Les amours, les guerres, les accidents, sont autant de reliefs qui construisent les légendes. Encore faut-il rassembler une solide documentation pour étayer le récit. Stéphanie des Horts excelle dans cette tâche. Comme d’habitude, grâce à une narration rythmée, elle emporte son lecteur au cœur de la vie des grands qui ont fait l’Histoire et dont la petite nous passionne tout autant. On ne fait qu’une bouchée des 300 pages. On fonce ensuite sur internet pour découvrir les photos de ces personnages qui ont repris vie sous cette plume dynamique. On se verrait bien au mouillage dans la baie des milliardaires, alangui sur la plage avant d’un hors-bord, à tourner les pages en écoutant le clapotis de l’eau contre la coque, prêt à sauter dans les eaux limpides pour se rafraîchir à la baignade après la lecture. Nu, évidemment.
Gianni le magnifique. Stéphanie des Horts. Éditions Albin Michel. 21,90 €
mardi 13 mai 2025
Revoir Palerme
Nouvelle venue dans le paysage de l’édition, la Maison Pop, avec sa collection Voyages Voyages, propose des ouvrages mettant à l’honneur une ville et les richesses qui la composent : une histoire, des coutumes ou légendes, ses habitants. Il n’en fallait pas plus à Magali Discours, dont on connaît l’attachement à l’Italie, pour nous entraîner dans son sillage sur les traces de Constance et du Guépard. Elle partage avec nous son amour pour Palerme et met nos sens en éveil, avec une mention spéciale pour les sons. On sait combien, avec les odeurs, ils donnent une teinte particulière à nos souvenirs. Les personnages sont attachants, qu’on fasse un bond dans le passé ou qu’on arpente la place Quattro Canti au présent. L’italien chantant nous accompagne à chaque tête de chapitre. En exposant l’intrigue du film, tiré du roman éponyme de Giuseppe Tomasi, Prince de Lampedusa, l’autrice nous incite à découvrir ou redécouvrir l’histoire de l’Italie, les codes de la noblesse et les conséquences des choix faits pour s’adapter à l’époque. En parallèle, elle explore les malentendus de la vie de Rose, creuse pas à pas un chemin de vérité. Quelle que soit la période, les héros ne sont-ils pas toujours tiraillés entre le cœur et la raison ? La belle écriture de Magali Discours nous accompagne tout au long de ce voyage, nous invite à la réflexion, attise nos envies. On en redemande… En bonus, on visionne la série Le Guépard mais on lâcherait bien tout pour prendre le premier avion à destination de la Sicile.
Revoir Palerme. Magali Discours. Editions Maison Pop. 19,95 €
dimanche 4 mai 2025
Mon vrai nom est Elisabeth
Roman, essai, enquête, Mon vrai nom est Elisabeth est à la croisée de ces trois genres, inclassable. On passe des ânonnements de descendants peu diserts aux annotations des médecins dans les dossiers des patients. On parcourt la correspondance d’une jeune Betsy idéaliste que la guerre a séparée de son futur époux. Peu à peu, des hypothèses se dessinent, des certitudes se font jour. Adèle Yon s’attarde sur l’histoire particulièrement troublante de la lobotomie, une intervention invasive non curative, pratiquée par des hommes sur des femmes la plupart du temps (les individus de sexe masculins opérés étant toujours des enfants). Ce qu’elle découvre et partage avec le lecteur est édifiant. Au fil des pages, elle évoque sa colère, une colère semble-t-il transmise génération après génération. Pourtant, rien dans ses mots ne laisse éclater la violence des regrets, le dégoût d’une période où le pouvoir est aux pères de famille et où l’on tente par tous les moyens de bâillonner les femmes un peu trop libres d’esprit. Elle ne cherche aucune revanche. Elle scanne la société de l’époque (1940, 50, 60), dissèque les témoignages d’un grand-oncle ou d’une cousine, suit une piste inexplorée à partir d’une phrase anodine. Offre un nouvel éclairage. C’est captivant, instructif, glaçant. Son enquête s’appuie sur une solide documen-tation. Elle lève le voile sur un secret, délie le silence, libère les femmes d’un carcan ; à la lumière d’éléments concrets elle rend sa place à chacun et un juste hommage à cette mystérieuse et imprévisible Betsy.
Mon vrai nom est Elisabeth. Adèle Yon. Editions du sous-sol. 22,00 €.
Madelaine avant l'aube
On dit souvent des romans de Sandrine Collette qu’ils dégagent une part d’ombre. Un frein à la lecture, repoussée cent fois par crainte d’être aspirée dans un univers trop noir. Finalement, je me décide. Là, je vérifie que réduire l’œuvre de cette autrice à son aspect obscur est bien dommage. Cela occulte l’immense richesse du récit. Dans Madelaine avant l’aube, les phrases, parfaitement ciselées, capturent immédiatement le lecteur. Le froid s’immisce, la faim tenaille, l’injustice règne, oui. Mais la lumière est partout. Dans le regard que se portent les sœurs, dans la complicité des enfants, dans la ténacité de Germain, le fils aîné, dans l’obstination de Madelaine, dans la bonté d’Eugène, dans la chaleur du four à pain. Dans l’unité de tous, avec leurs forces et leurs failles, face à l’adversité. La façon dont ces individus, coupés du monde, survivent est fascinante. La famille a appris à respecter le pouvoir établi par la terreur que font régner les maîtres. Madelaine, elle, n’a aucun code, sinon celui d’un ordre des choses juste et raisonnable. Accrochée à un instinct viscéral de survie, elle fait, malgré elle, planer un vent de révolte. Madelaine ébranle les certitudes, premier pas vers la liberté ? Une écriture éblouissante au service d’une histoire à la fois terrifiante et magnifique. Un équilibre parfait entre les scènes du quotidien, superbement décrites, les portraits des protagonistes, bouleversants de sincérité, les rebondissements, la tragédie et le prix de la vie. Incontournable.
Madelaine avant l’aube. Sandrine Collette. Éditions JC Lattès. 20,90 €. Prix Goncourt des Lycéens 2024.
lundi 24 mars 2025
Les influentes
La colline ouvrière
La colline qui travaille. Philippe Manevy. Éditions Le bruit du monde.
22,00 €.
mercredi 19 février 2025
Ta promesse
samedi 1 février 2025
Les sept maisons d'Anna Freud
Le tatoueur d'Auschwitz
Lale, juif slovaque, déporté au camp d’Auschwitz, se voit confier la tâche de tatouer les chiffres sur le bras de chaque nouvel arrivant. Un jour, se présente Gita et son regard lumineux ; Lale trouve alors une raison de se battre pour survivre. Devenu octogénaire, l’homme, émigré en Australie, raconte son histoire à une soignante spécialisée dans l’écriture de biographies. De leurs échanges, naît un témoignage à la fois émouvant et éprouvant. Dans le camp, Lale est à la merci de Stefan Baretzki, un soldat nazi dont le comportement à l’égard de son prisonnier oscille entre protecteur et bourreau. Lale ne sait jamais de quel côté l’humeur de son geôlier va pencher. Quant à Gita, préposée au tri des bagages, elle se livre, au péril de sa vie, à un trafic avec les bijoux. Ces quelques objets précieux servent de monnaie d’échange pour obtenir des passe-droits comme transmettre une lettre à Lale, acheter la complicité d’un kapo, sauver une vie ou adoucir le quotidien si rude.
En choisissant ce programme, on sait que l’on va être confronté à des images terribles, même si la reconstitution atténue le sentiment d’horreur. Les événements relatés sont sidérants, la condamnation à mort, arbitraire, pour un regard de travers ou un faux pas, omniprésente. Le spectateur, confronté à l’innommable, ressasse cette question : Comment un être humain peut-il infliger ça à un autre être humain ? Pas de voyeurisme toutefois, seulement une tension extrême, rendue palpable par la succession régulière de gros plans montrant le visage de ceux qui tombent. L’imprévisible et l’humiliation jaillissent dans chaque séquence. L’histoire d’amour de Lale et Gita permet néanmoins de reprendre son souffle et trouver une lueur d’espérance dans cette noirceur. Dans d’autres récits (je pense à Primo Levi), les déportés, réduits à l’état de numéros interchangeables, voient parfois malgré eux leur humanité déserter dans leur lutte pour subsister. Moins brutale, la série souligne cependant subtilement les nombreux renoncements à leurs valeurs auxquels les protagonistes se soumettent. Une paire de chaussures volées à un mourant était souvent une condition nécessaire pour espérer ne pas rejoindre l’entassement des cadavres. D’un autre côté, ceux désignés pour le tri ou le tatouage obtiennent un statut moins dégradant et leur longévité s’en trouve augmentée. Est-ce “collaborer” ? Cruel dilemme. Heureusement, plusieurs scènes du film mettent en lumière la solidarité entre les prisonniers. A l’heure où les voix des derniers survivants sont en train de s’éteindre, il est indispensable d’entretenir le devoir de mémoire. La série, tirée d’une histoire vraie, remplit parfaitement cette mission.
Série Le tatoueur d’Auschwitz. A voir sur MyCanal ou en replay sur M6.
Le tatoueur d’Auschwitz. Heather Morris. Editions J’ai lu. 7,90 €.
mercredi 8 janvier 2025
Mon tour de manège
Vous est-il arrivé d’entreprendre un voyage en train sans un roman à vous mettre sous la dent pendant la durée du trajet ? Avez-vous profité d’un temps d’attente à la gare pour vous réfugier dans un Relay, arpenter le rayon librairie et trouver l’ouvrage qui vous fera passer le temps sur les rails ? Moi, oui, et cette fois-ci, mon choix s’est porté sur la couverture rouge de ce “J’ai lu” étincelant, rideau de velours et lumières clignotantes. Gilles Legardinier, je connaissais, mais avais-je déjà lu ? Impossible de me souvenir. Hop, je tente. Mon tour de manège se lit tout seul (c’est bien écrit). L’auteur nous entraîne dans un univers foisonnant où l’intrigue ne se limite pas aux tribulations du personnage principal et explore les fêlures des autres protagonistes. Saupoudré d’humour et de fantaisie, c’est un roman doudou mais pas gnangnan, qui rappelle avec bienveillance et malice que la roue tourne et qu’on n’a droit qu’à un tour de manège ; alors, on mérite de se donner toutes les chances de faire de notre vie le meilleur des moments ! A lire installé confortablement auprès de la cheminée ou enroulé sous un plaid, un bon chocolat chaud ou une tisane à portée de main, pour prolonger un peu la magie de noël. Une bonne façon de prendre des forces et aborder cette nouvelle année avec détermination et enthousiasme. Meilleurs vœux pour 2025.
Mon tour de manège. Gilles Legardinier. Editions J’ai lu. 8,90 €.