lundi 22 mars 2021

Des diables et des saints

 

En portées…

 


Vous est-il arrivé d’ouvrir un livre et, dès les premières pages, de vous laisser happer par l’écriture, l’intrigue, de perdre la notion du temps ? Vous arrive-t-il, dans ces moments-là, de maugréer contre tout ce qui vient entraver votre lecture ? Un rendez-vous, un repas, un horaire à respecter… Vous arrive-t-il d’oublier ce qui se passe autour de vous ? Le clapotis des vagues sur la plage, la sonnerie annonçant la fermeture des portes dans le métro, le bruit des conversations, les appels d’un enfant ?

Oui, sans doute. Une telle tornade ne se produit pas tous les quatre matins. Et on peut prendre un grand plaisir à la lecture sans pour autant se laisser balayer. Mais là, là, Des diables et des saints dans les mains, j’ai été soufflée. Emportée par une puissante respiration.

Il y a des gares, des aéroports et un piano à disposition. Il y a un vieux professeur de piano juif, rescapé des camps de la mort. Des claques derrière la nuque. Il y a un avion avec un angle d’incidence trop élevé, un orphelin. D’autres enfants sans parents. Leur institution s’appelle « Les Confins », un mot qui suinte l’enfermement, l’impasse tout comme le « Fond de l’étang du film « Les Choristes ». Aux Confins, on ne chante pas. Seule la musique de Beethoven bat maladroitement dans les temps de Joe. Il y a Momo, son mutisme, sa peluche et les autres. Un bang supersonique toutes les trente minutes. Michaël Collins. Il y a là un monde de sévices et de révolte silencieuse. Un monde d’humiliations et d’humanité, de douceur et de lâcheté, de fraternité et de trahisons. Il y a une page d’encyclopédie déchirée. Il y a Rose et Marc Bohan. Il y a Joe. Il doit découvrir quelque chose. Le rythme.

Si j’ose un résumé aussi elliptique, c’est pour ne rien entacher. Préserver cette pépite. Subjuguée par un style virtuose, je ne voudrais pas le ternir en livrant une pâle paraphrase. Avec une maîtrise de la langue époustouflante, Jean-Baptiste Andrea nous fait pénétrer dans un monde où la cruauté ne semble avoir aucune limite. Mais comment fait-il pour relater autant de perversité avec une écriture aussi aérienne et poétique ? Comment fait-il pour que de la noirceur émane tant de beauté ? L’encre de sa plume a l’âme d’un enfant, la pureté chevillée au corps. Quelle revanche plus efficace que la résilience face à ses ennemis, manipulateurs en tout genre ? Le pardon rend inatteignable celui qui l’accorde, même inconsciemment. Il lui apporte une paix qui manquera toujours à son agresseur. L’auteur, dans son titre, a condensé tout ce qu’il laisse s’épanouir ensuite au fil des pages. La rage de vivre court le long des lignes, se heurte à la férocité. Elle se rétracte comme une fleur fragile. Un coup de vent, un soupçon de tendresse la font s’ouvrir à nouveau.

Alors, vous voulez une claque littéraire ? Foncez, ça s’appelle Des diables et des saints. C’est éblouissant et ça donne diablement envie de découvrir les autres romans de cet auteur.

 

Des diables et des saints. Jean-Baptiste Andrea. Editions L’iconoclaste. 19€.

Ce roman a reçu le Grand Prix RTL-Lire Magazine littéraire et le Prix Livres & Musique 2021.