samedi 19 septembre 2020

Un coup de jeune 2.

 




Un autre de mes coups de cœur s'adresse aux plus jeunes, à partir de 8 ans. Jérôme Attal a écrit l'histoire et Fred Bernard l'a illustrée. Il s'agit, pour ceux qui l'auront reconnue, d'Alcie et la forêt des fantômes chagrins. Qu'en dire sinon que dès la première phrase on sent la patte facétieuse de l'auteur. Une narratrice bien curieuse s'immisce en caractères gras. On aime instantanément Alcie et sa famille alambiquée. La petite fille doit partir en vacances avec ses parents chez sa tante, dont elle vient juste de découvrir l'existence. Ses parents, happés par leur travail, ne peuvent pas rester et laissent leur fille seule. Tante Oupelaoupe (oui c'est un drôle de nom n'est-ce pas ?) habite un camping dans les bois. Mais le décor est un peu différent de ce à quoi s'attendait Alcie. Les oiseaux et les poissons ont disparu. Le lac est à sec et une horrible machine dévore les arbres de la forêt. Coup de cafard. Mais voilà que le soupir d'Alcie se transforme en fantôme chagrin. Les deux compères cherchent à comprendre ce qui se passe.

Il se dégage de ce livre une poésie incroyable. Jérôme Attal joue avec la sonorité de la langue et la richesse des sens propre et figuré avec un plaisir communicatif. L'imagination foisonnante fait le reste et on sent la jubilation dans l'écriture. Quand les paronymes s'en mêlent, c'est encore plus magique. Fred Bernard n'est pas en reste avec des illustrations en noir et blanc mais hautes en couleur. Les sentiments les plus variés transpirent à chaque page. La tristesse, l'euphorie, l'inquiétude, la joie, l'espoir, la détresse... les émotions, mots et images mêlées, ricochent et font écho. Une belle réussite. J'attends la suite avec impatience !


Alcie et la forêt des fantômes chagrins. Jérôme Attal. Illustrations Fred Bernard. Robert Laffont Jeunesse. 12,90 €

jeudi 17 septembre 2020

Un coup de jeune.

La littérature jeunesse est foisonnante. J'y fais des incursions régulières, la plupart du temps heureuses.
Depuis l'entrée en sixième de mon "petit" dernier, je me suis fixé un objectif :
Lire tous les ouvrages inscrits sur la liste donnée par le professeur de français.
Partager les lectures crée une complicité dont j'aurais tort de me passer. Bien évidemment, cela demande un peu d'adaptation et de temps. Mais le jeu en vaut vraiment la chandelle.
Pour ce début de la quatrième, le professeur de français propose de la poésie et la lecture d'Andrée Chedid, "Le message" (voir article plus loin)... 
En attendant la suite (elle n'a pas donné le programme de l'année complète), voici un de mes coups de cœur estivaux.






Alma, Le vent se lève de Timothée de Fombelle. Premier volet d'une trilogie prometteuse, ce roman épique raconte l'histoire d'Alma, l'une des dernières de sa tribu d'Afrique, les Okos. 1786. Elle part à la recherche de son frère Lam. Elle lui a inventé un monde imaginaire, de l'autre côté des ronces qui limitent leur domaine. Il a voulu aller voir. Elle croisera entre autres, la route des navires négriers.
Et puis, il y a Joseph, ce mousse mystérieux et malin, qui réussit à embarquer sur "La Douce Amélie" à Lisbonne. Pour qui travaille-t-il ? Après quelle fortune court-il ?
Cet épais roman se lit d'une traite. Il est captivant et admirablement écrit (l'auteur a été récompensé pour son œuvre à de multiples reprises). S'il est à mettre entre les mains de nos jeunes adolescents, il plaira aussi aux parents. J'ai été happée par les odeurs et les couleurs du monde d'Alma, protégé, où sa famille vit en harmonie avec la nature. J'ai été bouleversée par ce qu'il y a au-delà du ravin, un monde de feu, de haine, de trahison de son prochain et de traite des hommes. Il y persiste néanmoins de sublimes traces d'humanité, de celles auxquelles on peut se raccrocher pour ne pas sombrer. J'ai été saisie par les personnages, attachants. J'ai chevauché Brouillard avec Lam, Alma et Sirim. Je me suis envolée avec Joseph dans le mât de misaine. J'ai commencé à comprendre l'histoire de Mosi et Nao.
Timothée Fombelle nous entraîne avec lui. Tout est palpable, des gouttes de sueur qui perlent au front d'Alma au poids du secret d'un charpentier, en passant par la douceur du chant d'une mère ou la détresse et la détermination d'une orpheline.
J'ai hâte de retrouver en 2021 ce monde bigarré et ses protagonistes au caractère trempé qui tous, font face avec intelligence et dignité au destin et à ses cruels revers.


Alma, le vent se lève. Thimothée de Fombelle. Gallimard jeunesse. 18€.




lundi 14 septembre 2020

L'enfant céleste

Les étoiles ! 




Célian est un enfant sensible et intelligent. Cependant, distrait, il souffre à l’école et agace sa maîtresse. « Enfant paresseux ». « Demande de redoublement ». Mary, elle, est à la dérive depuis que Pierre a rompu en écrivant « Je ne peux pas faire l’amour sans amour ». Mary patine, plombée par tous ces mots, violents et insensés. Elle se réfugie avec son fils dans le Morvan, chez sa mère. Célian, d’habitude si peu concentré, reste des heures à contempler la nature. Mary s’y reconnecte aussi. Dans le jardin, elle retrouve pêle-mêle les repères et les blessures de son enfance... En levant la tête vers la voûte étoilée, les souvenirs de son père défunt affluent. Elle se rappelle leurs conversations au sujet de Tycho Brahe. Elle prend alors une décision salutaire. Elle déscolarise Célian et l’emmène en voyage sur une île de la Baltique où l’astronome a vécu, observé et cartographié le ciel. Sur place, ils rencontrent un universitaire anglais, spécialiste de Shakespeare, qui cherche à établir un lien entre Tycho Brahe et Hamlet. Dans un environnement sauvage et préservé, mère et fils explorent la nature heurtée et pure. La faune, la flore, l’histoire tourmentée du scientifique de la Renaissance, les légendes d’Hamlet, tout est prétexte à la découverte. Ils trouvent, ensemble et séparément, les chemins de la réassurance et des apprentissages.

La contrariété provoquée par quelques regrettables coquilles  (je chipote mais ça me vrille le cœur à chaque fois pour le travail de l’auteur), la contrariété, donc, est bien vite effacée par la poésie de ce premier roman. Ode à la lenteur, à la respiration, il invite le lecteur à tout regarder intensément, autrement peut-être. Chaque page est un enchantement. Les personnages, déboussolés, solides pourtant, se fondent peu à peu dans l’univers tout entier pour parvenir à s’ancrer. La magie des étoiles, le fascinant et sombre parcours de Tycho Brahe, les mystères infinis qui planent toujours autour de Shakespeare ; le rythme d’écriture, avec des chapitres courts où se succèdent les voix de Célian et de la narratrice… tout cela donne à  l’ensemble une légèreté et une profondeur qui se savourent.

Au fur et à mesure de la lecture, on a envie de partir à l’aventure et laisser le vent marin fouetter notre visage. On se rappelle cet été sans nuage permettant aux curieux de lever les yeux vers les étoiles (et d’admirer la comète Neowise, dont le prochain passage est prévu pour dans 6800 ans). On veut lire et relire Shakespeare… Plonger dans « Tycho Brahe, l’homme au nez d’or » (Henriette Chardak, Presses de la Renaissance). Il trône patiemment dans la bibliothèque familiale depuis très longtemps en attendant d’être lu, c’est sans doute le moment… J’aime les livres qui nous invitent à en ouvrir d’autres.

 Avec « L’enfant céleste », Maud Simonnot (qui recevra le Prix Méo-Camuzet du premier roman lors du Salon Livres en Vignes fin septembre) offre au lecteur un regard lumineux et délicat sur les façons d’accepter la différence et de guérir les chagrins d’amour. Brillant.

 

L’enfant céleste. Maud Simonnot. Éditions de l’Observatoire. 17€

mercredi 2 septembre 2020

L'embarras du choix

 



Cette rentrée littéraire, riche, généreuse, colorée, éclectique et palpitante, nous fait sentir, nous, lecteurs, comme un enfant accroc au sucre devant un étal de bonbons. Ne sachant plus où donner de la tête, nous furetons parmi les rayons du libraire, consultant frénétiquement les quatrièmes de couverture. Ici le roman d’un auteur en vue. Là, un titre dont on a entendu parler… Une photographie effleurée, un mot suscitant la curiosité, le hasard intervient aussi un peu dans nos choix. Où et quand s’évade-t-on en lecture ? Petite sélection.

 

D’homme à homme



Mai 1985 dans le sud du Liban. Favrier est un jeune soldat en poste depuis quelques mois. Belleface, son supérieur, approche de la soixantaine. D’ordinaire assez taiseux il laisse planer le mystère autour de son histoire et de sa personne. Il intrigue pourtant, avec des citations de L’Ecclésiaste et cette Bible à laquelle il semble tenir comme à la prunelle de ses yeux. Favrier a envie d’en savoir plus. Cela tombe bien. Le Vieux, comme il le surnomme, s’est pris d’affection pour la jeune recrue. L’ancien colonel de l’armée israélienne a renoncé à son grade pour servir dans l’Armée du Liban Sud. Il ne sait rien faire d’autre que combattre, il n’était pas prêt pour la retraite. Il s’interroge. La guerre, pourquoi Favrier l’a-t-il choisie aussi ?

Dans Le Métier de mourir, Jean-René Van der Plaetsen entremêle le destin de ces deux hommes avec rudesse et douceur. Le décor oscille entre l’aridité du sol et les mille nuances de la mer. Le sol exhale les parfums de la terre promise dans un environnement où la plus insignifiante étincelle peut mettre le feu aux poudres. En permanence sur le qui-vive, les personnages se frayent un chemin vers leur humanité en se racontant l’un à l’autre. Le lecteur, plonge dans le cœur des hommes au fil d’un récit empreint de spiritualité sur la quête d’identité et la transmission. L’auteur signe là un très beau roman.

 

Le Métier de mourir. Jean-René Van der Plaetsen. Editions Grasset. 19.50€. 270 pages.

 

 

Blanc et noir



Août 1963, en Alabama. Adela est noire, veuve et femme de ménage. Elle trime pour ses enfants et entretient son beau-frère infirme. Une de ses employeuses la congédie. A l’intérieur d’elle, commence à souffler un vent de révolte. Il est attisé par la disparition de fillettes noires dont les flics, blancs, ne semblent pas faire cas. Les noirs, Bud Larkin, détective privé, a culturellement appris à les mépriser. Viré de la police après une bavure commise sous l’emprise de l’alcool, il végète. Un jour, le père d’une victime lui confie l’enquête pour rechercher sa fille. Au même moment, Adela, répondant à une petite annonce écrite par les amis de Bud, débarque pour faire le ménage. Ces deux protagonistes que tout oppose réussiront-ils à s’apprivoiser ? L’improbable duo a-t-il une chance de résoudre l’enquête ?

Passée la première impression d’un remake de « La couleur des sentiments » à la sauce polar, on se laisse emporter par l’intrigue, très bien servie par les personnages surprenants d’Adela et de Bud. Au fil des pages, se révèlent leurs failles et leurs forces. On hume l’atmosphère irrespirable de la ségrégation, héritage pesant des siècles ou l’esclavagisme était la norme. Il en faut des générations pour faire bouger les lignes. L’actualité estivale montre qu’un long chemin reste à parcourir. Dans Alabama 1963, Ludovic Manchette et Christian Niemec manient la plume habilement pour amorcer le pas, brouiller la piste des clichés. Sans tomber dans le lieu-commun et avec finesse, ils peignent une délicate complémentarité et démontrent que rien n’est jamais tout blanc ou tout noir.

Alabama 1963. Ludovic Manchette et Christian Niemec. Editions du Cherche-Midi. 17€. 380 pages.

 

 

Les à-côtés de l’Histoire.



3 nivôse de l’an IX (24 décembre1800) à Paris, rue Saint-Nicaise. Joseph de Limoëlan est coincé entre deux époques. Celle qui s’annonce n’augure, d’après lui, rien de bon. Il est exclu de celle qui s’achève. La valeur de son nom et de son blason ont chuté vertigineusement. Il n’y a plus ni cour ni perruques, ni bals ni chasses. Qu’est-il possible de restaurer après que la guillotine a emporté son père avec les derniers vestiges de l’ancien monde ? Que fait-il là, rue Saint-Nicaise, sur le passage du cortège de Bonaparte, à ourdir un complot censé ôter la vie du premier consul ? Bonaparte (ce n’est pas la première fois), échappe à l’attentat. L’échec passe au second plan car Joseph voit ses certitudes vaciller quand une petite fille de dix ans, sacrifiée par un de ses complices, est pulvérisée dans l’explosion. La noblesse n’est pas qu’une question de titres. Hanté par sa culpabilité, il cherche désespérément un chemin de rédemption. Fouché traque infatigablement les coupables. Dans le même temps, il déporte une centaine d’opposants. Du fond de sa cachette, Joseph réfléchit à sa propre déroute.

Sur la couverture, peint par David, le regard conquérant de Napoléon Bonaparte franchissant les Alpes est trompeur. La figure du futur empereur est une discrète toile de fond à cette magnifique fresque qui conduit le lecteur du côté des petites gens. Ils sont imprimeurs, pâtissiers, aristocrates déchus. Perdus dans cette Histoire troublée, ils agissent, espèrent, se trompent ou meurent. Avec érudition et délicatesse, Gwenaële Robert dessine le sort de tous ces anonymes, accolé à celui, tortueux, de Joseph de Limoëlan. Elle nous fait découvrir le pendant de la grande Histoire, éclairant du même coup cette dernière d’une lumière nouvelle.

 

Never Mind. Gwenaële Robert. Collection Les Passe-Murailles. Robert Laffont. 20€. 350 pages.