mercredi 2 septembre 2020

L'embarras du choix

 



Cette rentrée littéraire, riche, généreuse, colorée, éclectique et palpitante, nous fait sentir, nous, lecteurs, comme un enfant accroc au sucre devant un étal de bonbons. Ne sachant plus où donner de la tête, nous furetons parmi les rayons du libraire, consultant frénétiquement les quatrièmes de couverture. Ici le roman d’un auteur en vue. Là, un titre dont on a entendu parler… Une photographie effleurée, un mot suscitant la curiosité, le hasard intervient aussi un peu dans nos choix. Où et quand s’évade-t-on en lecture ? Petite sélection.

 

D’homme à homme



Mai 1985 dans le sud du Liban. Favrier est un jeune soldat en poste depuis quelques mois. Belleface, son supérieur, approche de la soixantaine. D’ordinaire assez taiseux il laisse planer le mystère autour de son histoire et de sa personne. Il intrigue pourtant, avec des citations de L’Ecclésiaste et cette Bible à laquelle il semble tenir comme à la prunelle de ses yeux. Favrier a envie d’en savoir plus. Cela tombe bien. Le Vieux, comme il le surnomme, s’est pris d’affection pour la jeune recrue. L’ancien colonel de l’armée israélienne a renoncé à son grade pour servir dans l’Armée du Liban Sud. Il ne sait rien faire d’autre que combattre, il n’était pas prêt pour la retraite. Il s’interroge. La guerre, pourquoi Favrier l’a-t-il choisie aussi ?

Dans Le Métier de mourir, Jean-René Van der Plaetsen entremêle le destin de ces deux hommes avec rudesse et douceur. Le décor oscille entre l’aridité du sol et les mille nuances de la mer. Le sol exhale les parfums de la terre promise dans un environnement où la plus insignifiante étincelle peut mettre le feu aux poudres. En permanence sur le qui-vive, les personnages se frayent un chemin vers leur humanité en se racontant l’un à l’autre. Le lecteur, plonge dans le cœur des hommes au fil d’un récit empreint de spiritualité sur la quête d’identité et la transmission. L’auteur signe là un très beau roman.

 

Le Métier de mourir. Jean-René Van der Plaetsen. Editions Grasset. 19.50€. 270 pages.

 

 

Blanc et noir



Août 1963, en Alabama. Adela est noire, veuve et femme de ménage. Elle trime pour ses enfants et entretient son beau-frère infirme. Une de ses employeuses la congédie. A l’intérieur d’elle, commence à souffler un vent de révolte. Il est attisé par la disparition de fillettes noires dont les flics, blancs, ne semblent pas faire cas. Les noirs, Bud Larkin, détective privé, a culturellement appris à les mépriser. Viré de la police après une bavure commise sous l’emprise de l’alcool, il végète. Un jour, le père d’une victime lui confie l’enquête pour rechercher sa fille. Au même moment, Adela, répondant à une petite annonce écrite par les amis de Bud, débarque pour faire le ménage. Ces deux protagonistes que tout oppose réussiront-ils à s’apprivoiser ? L’improbable duo a-t-il une chance de résoudre l’enquête ?

Passée la première impression d’un remake de « La couleur des sentiments » à la sauce polar, on se laisse emporter par l’intrigue, très bien servie par les personnages surprenants d’Adela et de Bud. Au fil des pages, se révèlent leurs failles et leurs forces. On hume l’atmosphère irrespirable de la ségrégation, héritage pesant des siècles ou l’esclavagisme était la norme. Il en faut des générations pour faire bouger les lignes. L’actualité estivale montre qu’un long chemin reste à parcourir. Dans Alabama 1963, Ludovic Manchette et Christian Niemec manient la plume habilement pour amorcer le pas, brouiller la piste des clichés. Sans tomber dans le lieu-commun et avec finesse, ils peignent une délicate complémentarité et démontrent que rien n’est jamais tout blanc ou tout noir.

Alabama 1963. Ludovic Manchette et Christian Niemec. Editions du Cherche-Midi. 17€. 380 pages.

 

 

Les à-côtés de l’Histoire.



3 nivôse de l’an IX (24 décembre1800) à Paris, rue Saint-Nicaise. Joseph de Limoëlan est coincé entre deux époques. Celle qui s’annonce n’augure, d’après lui, rien de bon. Il est exclu de celle qui s’achève. La valeur de son nom et de son blason ont chuté vertigineusement. Il n’y a plus ni cour ni perruques, ni bals ni chasses. Qu’est-il possible de restaurer après que la guillotine a emporté son père avec les derniers vestiges de l’ancien monde ? Que fait-il là, rue Saint-Nicaise, sur le passage du cortège de Bonaparte, à ourdir un complot censé ôter la vie du premier consul ? Bonaparte (ce n’est pas la première fois), échappe à l’attentat. L’échec passe au second plan car Joseph voit ses certitudes vaciller quand une petite fille de dix ans, sacrifiée par un de ses complices, est pulvérisée dans l’explosion. La noblesse n’est pas qu’une question de titres. Hanté par sa culpabilité, il cherche désespérément un chemin de rédemption. Fouché traque infatigablement les coupables. Dans le même temps, il déporte une centaine d’opposants. Du fond de sa cachette, Joseph réfléchit à sa propre déroute.

Sur la couverture, peint par David, le regard conquérant de Napoléon Bonaparte franchissant les Alpes est trompeur. La figure du futur empereur est une discrète toile de fond à cette magnifique fresque qui conduit le lecteur du côté des petites gens. Ils sont imprimeurs, pâtissiers, aristocrates déchus. Perdus dans cette Histoire troublée, ils agissent, espèrent, se trompent ou meurent. Avec érudition et délicatesse, Gwenaële Robert dessine le sort de tous ces anonymes, accolé à celui, tortueux, de Joseph de Limoëlan. Elle nous fait découvrir le pendant de la grande Histoire, éclairant du même coup cette dernière d’une lumière nouvelle.

 

Never Mind. Gwenaële Robert. Collection Les Passe-Murailles. Robert Laffont. 20€. 350 pages.

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