lundi 21 décembre 2020

Un petit tour du côté de chez Maupassant

 

Sous le Guy

 


Quand mon fils, en quatrième, m’annonce que « Les contes de la bécasse » de Guy de Maupassant figurent en bonne place au programme de français cette année, je reste dubitative. Malgré une offre pléthorique en littérature jeunesse, on a un mal fou à faire lire nos enfants. Diantre, ces garnements de 13 ans pourraient-ils nourrir un quelconque intérêt pour des histoires souvent sordides se déroulant pour la plupart au fin fond de la Normandie ? La preuve par l’expérience (et quelques conseils de lecture).

 

Guy de Maupassant a l’âge de nos collégiens lorsqu’il est renvoyé de son institution religieuse pour avoir produit des textes subversifs. Si on lui avait dit, alors, que ses écrits seraient un jour étudiés dans les mêmes établissements que celui duquel il était banni, quelle aurait été sa réaction ? Un auteur allemand, Arne Ulbricht, s’est récemment penché sur la biographie de l’écrivain, mort à quarante-trois ans des suites, entre autres, de la syphilis. L’occasion pour le lecteur de passer de l’autre côté du miroir. De marcher dans les pas d’un enfant choyé par sa mère et amoureux de la nature. Puis de suivre un jeune homme avide d’écriture. Flaubert entre dans la danse et on a l’impression d’être dans le salon avec eux lors de leur première rencontre. De la pièce de théâtre pornographique initiale à la parution des nouvelles et romans, en passant par les emplois dans l’administration et les séances de canotage sur la Seine, la vie de Maupassant est décortiquée dans un style à la fois précis et pudique, soutenu par une documentation solide. « Cette crapule de Maupassant » est incontestablement le roman qu’il faut à ceux qui veulent en savoir plus.

 

Mais revenons à mon collégien. Contre toute attente, il a dévoré les « Contes de la Bécasse » en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire… Il s’est passionné pour ces histoires courtes. Le professeur de français ayant donné un devoir à la maison comprenant la rédaction d’une critique littéraire, le jeune homme, enthousiaste, s’est totalement investi. Je crois avoir déjà signalé ici que je faisais, moi aussi, lecture des ouvrages étudiés en classe. Cette fois encore, et comme mon fils, j’ai été emportée par l’écriture somptueuse de Maupassant. Ses histoires, subtiles, oscillent entre le sombre et un comique grinçant. Qu’il soit question d’une femme abandonnant son chien par avarice ou d’un pauvre soldat prussien affamé, la plume est d’un réalisme époustouflant. Les mots suintent tantôt de cruauté, tantôt d’une fugace beauté. Chaque situation dissèque l’âme humaine dans ses travers, ses excès ou sa naïveté. Partager les lectures de nos jeunes donne l’occasion d’un échange riche entre générations et suscite ici débat et explications quant aux situations dépeintes par Maupassant. En plus de la complicité intellectuelle créée, cela permet aux parents d’accompagner  les enseignants dans leur rôle en stimulant le sens critique et la pensée de leurs élèves. Ces derniers peuvent faire belle la société de demain… fournissons-leur le maximum d’outils !

Sur ce, Joyeux Noël à tous… Regarder les jolies choses vous fera oublier j’espère, le temps de cette douce trêve, toutes les mauvaises !

 

Cette petite crapule de Maupassant. Arne Ulbricht. Les éditions du sonneur. 18,50€

Contes de la bécasse et autres contes de chasseurs. Guy de Maupassant. Pocket. 2,50€

 

 

 

mardi 8 décembre 2020

Noël pour tous les goûts.

 


 Cette année, sans doute plus que d’habitude, nous avons envie de succomber à la magie de Noël. Le désir nous étreint de préserver certaines traditions, de nous faire du bien. Sans céder à une frénésie consumériste qui ne nous comble pas, voici néanmoins une sélection non-exhaustive de livres doux, à mettre au pied du sapin pour ceux qu’on aime, ou à s’offrir, tout simplement.




 

Du bruit dans la cuisine…


On entendrait presque le brouhaha, cette agitation typique, près des fourneaux de Downtown Abbey. Plus qu’un livre de recettes traditionnelles de Noël, l’ouvrage nous révèle l’art culinaire de nos amis les « rosbifs » et explore les traditions d’Outre-Manche au fil de l’Histoire. Chaque recette est accompagnée d’un récit et de très belles illustrations. Les photos et citations de nos personnages préférés de la série viennent compléter l’ensemble, avec des astuces de décoration et dressage de table pour faire comme si on y était. A mettre dans les mains des inconditionnels de la série ou des amoureux de la cuisine.

Downton Abbey Recettes de Noël. Regula Ysewijn. Marabout. 35€.

 

Pour les petits et les grands.


Arthur et Zéphir, Pom, Flore et Alexandre attendent en vain une réponse à leur lettre au Père Noël. Touché par leur déception, Babar part donc en Europe à la recherche du Père Noël... Qui ne connaît pas les aventures de Babar ? Cet éléphant sorti de l’imagination d’une mère de famille, avant d’être mis en scène par le père, artiste-peintre. De fil en aiguille, l’histoire racontée aux petits est publiée. L’album est un succès. Babar et ses compères, traversant le XXème siècle, ont séduit plusieurs générations. N’y a-t-il pas une sorte de magie à lire à ses enfants ou petits-enfants les histoires qui ont bercé notre propre jeunesse ?

Babar et le Père Noël. Jean de Brunhoff. Hachette Jeunesse. 6,50€

 

Cadeau !


Plongée onctueuse dans le passé avec l’écriture raffinée de Colette qui fait renaître les Noëls d’antan. Fragiles instants de volupté ou de nostalgie, Colette les fixe sur le papier comme le givre sublime la nature en hiver. Réunis par Frédéric Maget (Société des amis de Colette) dans un court opus, ces textes de Noël et jour de l’an, publiés dans la presse entre 1909 et 1948 sont un bijou de littérature. A savourer en respirant les arômes de pin, d’épices et de feu de bois caractéristiques de la période.

Cadeaux de Noël. Colette. Archipoche. 7,95€

 



Love Noël.


Guimauve et chocolat, plaid et bande-originale de Love Actually ? Vous êtes parés pour vous plonger dans la nouvelle production de la TeamRomCom. Les six romancières de Noël et Préjugés récidivent avec de courtes histoires de noël plus romantiques les unes que les autres… En toile de fond, le film culte et la chanson de Mariah Carey All I want for Christmas is you ! Livre doudou par excellence, ce recueil remplit parfaitement son usage. Il y a de la neige, des héroïnes en galère et de l’amour, beaucoup d’amour, surtout là où on ne l’attend pas. Alors, pourquoi se priver quand Love is all around ?

Noël Actually. Isabelle Alexis,Tonie Behar, Adèle Bréau, Sophie Henrionnet, Marianne Levy et Marie Vareille. Poche. 6,90€

Livres en série

 


Le format numérique du journal au mois de novembre m'a donné envie de prendre quelque liberté avec la présentation habituelle de ma rubrique "la moisson". Après avoir longuement tourné et retourné les choses dans ma tête (eh non, l’inspiration n’apparaît pas toujours d’un coup de baguette magique), j’ai choisi de vous raconter mon 15 novembre, troisième dimanche du mois.


Réveil un jour de Vente des Vins sans Vente des Vins. L’atmosphère est particulière. Silence, air presque doux, un ciel qui ne sait pas quelle teinte adopter. Seule à la maison, je décide de m’octroyer une journée hors du temps. Plongée depuis plusieurs jours dans un roman historique passionnant, je me laisse happer par La chambre des dupes dès le petit déjeuner. Pauline de Vintimille, maîtresse de Louis XV, vient de mourir en couches. Le Roi rappelle son ancienne maîtresse, sœur de la première. Mais il convoite une troisième sœur, Marie-Anne de la Tournelle, comtesse jeune, veuve et fort jolie. La belle veut un destin, pas question de baisser les armes sans conditions. Elle sera Duchesse de Châteauroux. Tourbillon de la cour, querelles d’étiquette, complots politiques, poids de la religion et secrets d’alcôve, l’auteur ne recule devant aucune prouesse de langage pour décrire les coulisses de la Monarchie dans cette première moitié du XVIIIème siècle. La plume est facétieuse, le vocabulaire, foisonnant. Un ouvrage dense (512 pages) mais palpitant.



La dernière ligne engloutie, je jette un œil dehors. Les rues sont incroyablement désertes. J’y accomplis ma marche dominicale, intermède sportif entre deux lectures.





Au retour, je jette mon dévolu sur une biographie. Anne de Cossé-Brissac, l’auteur, est l’arrière-arrière-petite-fille de la Comtesse de Greffulhe dont elle raconte la vie. On retrouve les descendants des personnages de ma lecture précédente. Elisabeth de Caraman-Chimay, comtesse de Greffulhe appartient en effet à la lignée du fils né de Pauline de Vintimille et Louis XV. La jeune femme, belle, cultivée et curieuse, épouse d’un homme richissime, a marqué la fin du XIXème et le début du XXème siècle en recevant dans son salon et en œuvrant pour les plus grands, musiciens, scientifiques, hommes politiques, écrivains… Elle a aussi inspiré Proust pour le personnage de la Duchesse de Guermantes. Au fil des pages, je croise des protagonistes déjà rencontrés ailleurs et observe des événements disséqués dans d’autres ouvrages, comme l’incendie du Bazar de la Charité (La part des flammes. Gaëlle Nohant) ou l’affaire Dreyfus (Assassins. Jean-Paul Delfino). Captivant et instructif !



Le soir, ivre de tous ces noms qui ont fait l’Histoire, j’abandonne le papier pour l’écran. Pas question, en effet, de manquer la quatrième saison de The Crown, série addictive et passionnante retraçant l’histoire du règne d’Elisabeth II. Même s’il s’agit d’une fiction, le spectateur a la sensation vertigineuse de basculer de l’autre côté du miroir. A regarder en V0, of course* !

Passer ma journée avec des têtes couronnées aura finalement relégué le corona-(du latin couronne) –virus et ses conséquences fâcheuses au second plan ! Evasion réussie.


*bien sûr

La chambre des dupes. Camille Pascal. Editions Plon.2020. 22€.

La Comtesse de Greffulhe. Anne de Cossé-Brissac. Editions Perrin. Terre de Femmes. 1991. Epuisé. A retrouver sur leslibraires.fr

La part des flammes. Gaëlle Nohant. Publication originale 2015. Poche. 8,70€

Assassins. Jean-Paul Delfino. EHO. 2019. 18€

The Crown. Série Netflix. Sortie 2016. 4ème saison en ligne depuis le 15 novembre 2020.

lundi 9 novembre 2020

Sur le vif

 

Bonjour l’ivresse…


Et hop ! La moisson est à nouveau confinée. A quelque chose malheur est bon, la cave est dans le périmètre autorisé. On est en Bourgogne. Pas question de se laisser abattre. Les librairies ne sont pas tout à fait fermées. Avec ce changement d’heure, la nuit tombe plus vite. On tire les rideaux, on allume les lampes. Le fauteuil nous tend les bras. S’y caler avec un bon bouquin est plus que tentant. Question de survie. Sur une étagère de la bibliothèque, on attrape « Sur le vif », le dernier livre d’Eric Neuhoff. Un recueil de chroniques habilement édité par l’inénarrable Arnaud le Guern. Delon, Bardot, Clooney ou encore Clint Eastwood et Pascal Thomas y font leur cinéma. On a envie de les rencontrer. Truffaut, Mastroianni et Audiard ne sont pas en reste. Catherine Deneuve, Marthe Keller et Sharon Stone sont elles aussi sous les projecteurs. La plume concise de Neuhoff cisèle les portraits de Louise de Vilmorin, Françoise Sagan ou Truman Capote. Elle fait la part belle aux hussards, d’hier et d’aujourd’hui, de Jacques Laurent à Frédéric Beigbeder. Elle dévoile un univers. « Sur le vif », autoportrait ? L’auteur niera… Il se balade de Venise à Cadaqués en passant par Capri et Juan-les Pins. Il s’arrête même en Côte d’Or, Festival International du Film Policier oblige. « Les festivals se suivent. Ils ne se ressemblent pas. Beaune n’est pas Cannes. La mer est loin. Des tonneaux la remplacent. Au fil des jours, leur effet se fait délicieusement sentir ». Allez monsieur Neuhoff, un petit verre de Chablis en attendant de pouvoir siroter un « gin and tonic » au bar Hemingway du Ritz ?

 

« Sur le vif ». Eric Neuhoff. Editions du Rocher. 18,90€.

A commandez chez votre librairie préféré. Envoi, livraison à domicile ou en point de retrait.

lundi 26 octobre 2020

La nuit du premier jour

 

Sur le fil de l’aventure.


Blanche a grandi sur les terres du Mont-Liban, où son père dirige une petite filature. A l’aube de ses dix-huit ans, elle est mariée à l’héritier d’une soierie lyonnaise. Les promesses de bonheur ne se concrétisent pas. En 1896, mère de deux enfants, Blanche ne trouve pas sa place et étouffe dans la bonne société. Son seul ami est un maître-tisseur de la Croix-Rousse. C’est chez lui qu’elle rencontre Salim Zahhar, marchand de soie à Damas. Leur sort est scellé. Ils savent leur amour impossible. Mais, à la faveur d’un voyage sur sa terre natale pour honorer la tombe de sa mère récemment décédée, Blanche retrouve des sensations oubliées, se connecte à son intuition et fait le choix de ne pas rentrer. Exil, discrétion, rupture avec ses enfants, elle accepte tous les sacrifices que lui impose la situation et construit sa nouvelle vie en accord avec ce qu’elle est.

Alors qu’éclate la Première Guerre Mondiale, l’Empire ottoman réprime avec brutalité les velléités d’indépendance arabes. Blanche, au cœur de la tourmente, assiste au déchirement de son univers. En France, son fils est sur le front. Oriane, sa fille, ne sait pas que sa mère est en vie. C’est un sujet tabou. Elle traverse donc le conflit seule, avec pour tout soutien sa grand-mère qui lui cherche un mari. A Lyon ou à Palmyre, mère et fille, à leur manière, s’affranchissent de leur époque pour suivre leur instinct farouche de liberté. Se retrouveront-elles ou resteront-elles à jamais séparées dans des destins parallèles ?

Autant le dire d’emblée, les presque cinq cents pages de « La nuit du premier jour » de Theresa Révay vous happent de la première à la dernière ligne. Cavalcade ébouriffante, l’intrigue vous transporte des traboules aux ruelles chaleureuses de Damas, de la place Bellecour aux portes du désert. L’auteur excelle dans l’art de transcrire les ambiances. Elle embarque le lecteur dans l’humidité et le brouillard lyonnais pour l’immerger ensuite dans les effluves chauds et épicés de l’Orient. On devine le galop des chevaux dans la grande et lumineuse Syrie. On entend le va et vient des navettes sur les métiers à tisser, contrastant avec le silence étouffé des vies corsetées derrière les lourdes tentures des appartements bourgeois. A son habitude, Theresa Révay brosse le portrait de femmes libres et d’hommes d’honneur. Au récit des grandes passions, elle mêle une analyse géopolitique ciselée, limpide pour le lecteur. Sa plume délicate permet donc de mieux comprendre les enjeux de l’Histoire du début du XXème siècle. Elle place, dans la bouche d’hommes éclairés de cette époque, des paroles douloureusement actuelles et résolument modernes : « Nous sommes surtout attachés comme nos prédécesseurs à faire revivre la littérature arabe et à combattre l’ignorance. […] Seule la connaissance peut lutter contre le fanatisme et faire émerger un idéal commun ». Pont entre passé et présent, promesse d’avenir, hymne à la liberté, ce livre, prônant la parole et l’honnêteté pour briser les secrets, est un superbe chemin vers la résilience.

 

La nuit du premier jour. Theresa Révay. Albin Michel. 22,90€

lundi 12 octobre 2020

La mémoire des vignes


Septembre 2015. Meursault. Kate, américaine, est sommelière à San Francisco. D’origine française, elle revient pour les vendanges dans le domaine familial, repris par son cousin, Nico. Ce retour à ses racines fait surgir des souvenirs consciencieusement enfouis de sa vie d’étudiante. En effet, c’est en Bourgogne que vit également Jean-Luc, son premier amour perdu. Et Kate s’était juré de s’épargner une visite dans les parages. Mais elle se prépare pour le Master of Wine, le plus prestigieux des concours d’œnologie, et elle a un talon d’Achille. Ce sont, paradoxalement, les vins français. A la faveur de la fermeture du grand restaurant dans lequel elle travaillait, elle a donc décidé d’un voyage de plusieurs mois sur le vieux continent pour perfectionner ses connaissances.

Il reste quelques jours avant que le raisin soit mûr. L’épouse de Nico demande à Kate de l’aider à débarrasser une cave encombrée des reliques des générations précédentes. Là, au milieu d’un amas de cartons et de vieux meubles hors d’usage, Kate trouve une valise aux initiales mystérieuses. A l’intérieur, des vêtements à la mode des années 1940. Elle découvre l’existence d’une étonnante jeune fille, bizarrement disparue de la généalogie familiale. Elle se met en tête de faire la lumière sur cette affaire et est entraînée malgré elle dans les heures sombres de l’Histoire, entre 1939 et 1945.

Evidemment, un roman dont l’intrigue se situe au cœur de notre terroir avait toutes les raisons de susciter ma curiosité. D’autant plus qu’il a été écrit par une Américaine, journaliste et écrivain . Sur la couverture, un petit coup de pouce de Tatiana de Rosnay. « L’incroyable livre d’Ann Mah saura vous émerveiller » donne le ton… Si quelques descriptions sont approximatives et que certains lieux dont il est question dans l’ouvrage sont totalement fictifs, on se repère néanmoins ; le cadre est familier et on est tout de suite à l’aise avec le décor. On plonge rapidement dans les méandres de l’Histoire et tous les fantasmes qu’elle a soulevés : les caves murées pour préserver les meilleurs crus de la gourmandise allemande, les oscillations parfois inévitables de la population entre collaboration et résistance, passivité ou action. On pénètre au cœur d’une problématique bien plus complexe que cette dichotomie longtemps évoquée dans les œuvres littéraires et cinématographiques au sujet de la Seconde Guerre Mondiale. Le passé fait écho au présent et interroge Kate sur ses choix, ses blocages et ses aspirations profondes. Chaque page lue éveille le désir insatiable de passer à la suivante et il est fort probable qu’une fois dans cette lecture, vous ne puissiez pas vous arrêter avant d’avoir tourné la dernière page, tant « La mémoire des vignes » est un récit captivant... Nul doute qu’après cela, vous ayez envie d’en découvrir plus sur l’histoire de Beaune et de ses alentours pendant cette période.

La mémoire des vignes. Ann Mah. Pocket. 7,95€.

lundi 5 octobre 2020

Courage au coeur et sac au dos

 

Prendre soin de ses aînés



 

« L’actualité déverse régulièrement des images dérangeantes ou choquantes de personnes âgées, livrées à elles-mêmes, dans des mouroirs dont on tente de camoufler la réalité derrière des acronymes rassurants. Les médias, les pouvoirs publics, nos élites, les philosophes, nos concitoyens, s’interrogent régulièrement. Quel est le devenir d’une société incapable de prendre soin de ses aînés ? »

Ainsi commence « Courage au cœur et sac au dos ». Cette expression, Nathalie Levy l’a entendue un nombre incalculable de fois de la bouche de sa grand-mère, un leitmotiv agissant comme une bouffée d’optimisme. Au début des années soixante, Rosine, jeune veuve, quitte l’Algérie. En France, elle se consacre à ses deux filles, puis, plus tard, à ses petits-enfants. Des liens familiaux profonds se tissent entre les trois générations. Nathalie et sa grand-mère cultivent leur complicité, en week-end, en vacances mais aussi au quotidien, au fil de confidences, sur les trajets d’école. Le temps a passé et les rôles ont fini par s’inverser. Ce sont désormais ses filles et sa petite-fille qui prennent soin de Rosine. Tous les matins, Nathalie va passer quelques heures avec sa grand-mère. Sa tante, puis sa mère, prennent le relai pour le reste de la journée. Cette organisation permet le maintien à domicile de la vieille dame, dépendante.

Journaliste, Nathalie Levy raconte ici sa drôle de vie. Pendant dix ans, elle est entrée tous les soirs chez de nombreux français via BFMTV et, la saison passée, les ondes d’Europe 1. Dans ce livre, elle ouvre la porte sur l’envers de son décor. Un grand écart quotidien entre la lumière des plateaux et la douche prise à la hâte le matin chez sa Mamie. Elle raconte le parcours de Rosine et la façon dont elle l’accompagne, avec les autres femmes de sa famille. Elle célèbre l’incroyable complicité qui la lie à sa grand-mère avec des mots plein de tendresse. Elle évoque aussi le stress des rendez-vous médicaux, l’angoisse du téléphone qui sonne dans le vide, les émissions à préparer avec Mamie qui s’inquiète à côté, les tensions que crée parfois la logistique familiale, la culpabilité de négliger son mari et sa fille. Elle s’adresse d’ailleurs à cette dernière d’une façon touchante, lui souhaitant de trouver sa place entre loyauté familiale et liberté.

Son quotidien d’aidant-elle préfère dire « aimante »-, Nathalie Levy le partage avec plus de huit millions de français. Nul doute que beaucoup se retrouveront dans cette histoire attachante. Ce récit est aussi l’occasion de s’interroger sur la société actuelle et la façon dont sont accueillies les personnes âgées dans les structures dédiées. Comment sont-elles prises en charge ? Dans quelles conditions le personnel  travaille-t-il ? Ces conditions permettent-elles à tous d’être dans la bienveillance ? Comment, quand on a des parents ou grands-parents très âgés et dans la dépendance, concilier vie professionnelle et solidarité familiale ? A l’heure où la crise sanitaire a mis un peu plus en lumière la situation délicate de nombreux anciens, Nathalie Levy interpelle sans juger et remet l’essentiel au centre du débat, à savoir, ce qui constitue notre humanité.

 

Courage au cœur et sac au dos. Nathalie Levy. Editions du Rocher. 17.90€

samedi 19 septembre 2020

Un coup de jeune 2.

 




Un autre de mes coups de cœur s'adresse aux plus jeunes, à partir de 8 ans. Jérôme Attal a écrit l'histoire et Fred Bernard l'a illustrée. Il s'agit, pour ceux qui l'auront reconnue, d'Alcie et la forêt des fantômes chagrins. Qu'en dire sinon que dès la première phrase on sent la patte facétieuse de l'auteur. Une narratrice bien curieuse s'immisce en caractères gras. On aime instantanément Alcie et sa famille alambiquée. La petite fille doit partir en vacances avec ses parents chez sa tante, dont elle vient juste de découvrir l'existence. Ses parents, happés par leur travail, ne peuvent pas rester et laissent leur fille seule. Tante Oupelaoupe (oui c'est un drôle de nom n'est-ce pas ?) habite un camping dans les bois. Mais le décor est un peu différent de ce à quoi s'attendait Alcie. Les oiseaux et les poissons ont disparu. Le lac est à sec et une horrible machine dévore les arbres de la forêt. Coup de cafard. Mais voilà que le soupir d'Alcie se transforme en fantôme chagrin. Les deux compères cherchent à comprendre ce qui se passe.

Il se dégage de ce livre une poésie incroyable. Jérôme Attal joue avec la sonorité de la langue et la richesse des sens propre et figuré avec un plaisir communicatif. L'imagination foisonnante fait le reste et on sent la jubilation dans l'écriture. Quand les paronymes s'en mêlent, c'est encore plus magique. Fred Bernard n'est pas en reste avec des illustrations en noir et blanc mais hautes en couleur. Les sentiments les plus variés transpirent à chaque page. La tristesse, l'euphorie, l'inquiétude, la joie, l'espoir, la détresse... les émotions, mots et images mêlées, ricochent et font écho. Une belle réussite. J'attends la suite avec impatience !


Alcie et la forêt des fantômes chagrins. Jérôme Attal. Illustrations Fred Bernard. Robert Laffont Jeunesse. 12,90 €

jeudi 17 septembre 2020

Un coup de jeune.

La littérature jeunesse est foisonnante. J'y fais des incursions régulières, la plupart du temps heureuses.
Depuis l'entrée en sixième de mon "petit" dernier, je me suis fixé un objectif :
Lire tous les ouvrages inscrits sur la liste donnée par le professeur de français.
Partager les lectures crée une complicité dont j'aurais tort de me passer. Bien évidemment, cela demande un peu d'adaptation et de temps. Mais le jeu en vaut vraiment la chandelle.
Pour ce début de la quatrième, le professeur de français propose de la poésie et la lecture d'Andrée Chedid, "Le message" (voir article plus loin)... 
En attendant la suite (elle n'a pas donné le programme de l'année complète), voici un de mes coups de cœur estivaux.






Alma, Le vent se lève de Timothée de Fombelle. Premier volet d'une trilogie prometteuse, ce roman épique raconte l'histoire d'Alma, l'une des dernières de sa tribu d'Afrique, les Okos. 1786. Elle part à la recherche de son frère Lam. Elle lui a inventé un monde imaginaire, de l'autre côté des ronces qui limitent leur domaine. Il a voulu aller voir. Elle croisera entre autres, la route des navires négriers.
Et puis, il y a Joseph, ce mousse mystérieux et malin, qui réussit à embarquer sur "La Douce Amélie" à Lisbonne. Pour qui travaille-t-il ? Après quelle fortune court-il ?
Cet épais roman se lit d'une traite. Il est captivant et admirablement écrit (l'auteur a été récompensé pour son œuvre à de multiples reprises). S'il est à mettre entre les mains de nos jeunes adolescents, il plaira aussi aux parents. J'ai été happée par les odeurs et les couleurs du monde d'Alma, protégé, où sa famille vit en harmonie avec la nature. J'ai été bouleversée par ce qu'il y a au-delà du ravin, un monde de feu, de haine, de trahison de son prochain et de traite des hommes. Il y persiste néanmoins de sublimes traces d'humanité, de celles auxquelles on peut se raccrocher pour ne pas sombrer. J'ai été saisie par les personnages, attachants. J'ai chevauché Brouillard avec Lam, Alma et Sirim. Je me suis envolée avec Joseph dans le mât de misaine. J'ai commencé à comprendre l'histoire de Mosi et Nao.
Timothée Fombelle nous entraîne avec lui. Tout est palpable, des gouttes de sueur qui perlent au front d'Alma au poids du secret d'un charpentier, en passant par la douceur du chant d'une mère ou la détresse et la détermination d'une orpheline.
J'ai hâte de retrouver en 2021 ce monde bigarré et ses protagonistes au caractère trempé qui tous, font face avec intelligence et dignité au destin et à ses cruels revers.


Alma, le vent se lève. Thimothée de Fombelle. Gallimard jeunesse. 18€.




lundi 14 septembre 2020

L'enfant céleste

Les étoiles ! 




Célian est un enfant sensible et intelligent. Cependant, distrait, il souffre à l’école et agace sa maîtresse. « Enfant paresseux ». « Demande de redoublement ». Mary, elle, est à la dérive depuis que Pierre a rompu en écrivant « Je ne peux pas faire l’amour sans amour ». Mary patine, plombée par tous ces mots, violents et insensés. Elle se réfugie avec son fils dans le Morvan, chez sa mère. Célian, d’habitude si peu concentré, reste des heures à contempler la nature. Mary s’y reconnecte aussi. Dans le jardin, elle retrouve pêle-mêle les repères et les blessures de son enfance... En levant la tête vers la voûte étoilée, les souvenirs de son père défunt affluent. Elle se rappelle leurs conversations au sujet de Tycho Brahe. Elle prend alors une décision salutaire. Elle déscolarise Célian et l’emmène en voyage sur une île de la Baltique où l’astronome a vécu, observé et cartographié le ciel. Sur place, ils rencontrent un universitaire anglais, spécialiste de Shakespeare, qui cherche à établir un lien entre Tycho Brahe et Hamlet. Dans un environnement sauvage et préservé, mère et fils explorent la nature heurtée et pure. La faune, la flore, l’histoire tourmentée du scientifique de la Renaissance, les légendes d’Hamlet, tout est prétexte à la découverte. Ils trouvent, ensemble et séparément, les chemins de la réassurance et des apprentissages.

La contrariété provoquée par quelques regrettables coquilles  (je chipote mais ça me vrille le cœur à chaque fois pour le travail de l’auteur), la contrariété, donc, est bien vite effacée par la poésie de ce premier roman. Ode à la lenteur, à la respiration, il invite le lecteur à tout regarder intensément, autrement peut-être. Chaque page est un enchantement. Les personnages, déboussolés, solides pourtant, se fondent peu à peu dans l’univers tout entier pour parvenir à s’ancrer. La magie des étoiles, le fascinant et sombre parcours de Tycho Brahe, les mystères infinis qui planent toujours autour de Shakespeare ; le rythme d’écriture, avec des chapitres courts où se succèdent les voix de Célian et de la narratrice… tout cela donne à  l’ensemble une légèreté et une profondeur qui se savourent.

Au fur et à mesure de la lecture, on a envie de partir à l’aventure et laisser le vent marin fouetter notre visage. On se rappelle cet été sans nuage permettant aux curieux de lever les yeux vers les étoiles (et d’admirer la comète Neowise, dont le prochain passage est prévu pour dans 6800 ans). On veut lire et relire Shakespeare… Plonger dans « Tycho Brahe, l’homme au nez d’or » (Henriette Chardak, Presses de la Renaissance). Il trône patiemment dans la bibliothèque familiale depuis très longtemps en attendant d’être lu, c’est sans doute le moment… J’aime les livres qui nous invitent à en ouvrir d’autres.

 Avec « L’enfant céleste », Maud Simonnot (qui recevra le Prix Méo-Camuzet du premier roman lors du Salon Livres en Vignes fin septembre) offre au lecteur un regard lumineux et délicat sur les façons d’accepter la différence et de guérir les chagrins d’amour. Brillant.

 

L’enfant céleste. Maud Simonnot. Éditions de l’Observatoire. 17€

mercredi 2 septembre 2020

L'embarras du choix

 



Cette rentrée littéraire, riche, généreuse, colorée, éclectique et palpitante, nous fait sentir, nous, lecteurs, comme un enfant accroc au sucre devant un étal de bonbons. Ne sachant plus où donner de la tête, nous furetons parmi les rayons du libraire, consultant frénétiquement les quatrièmes de couverture. Ici le roman d’un auteur en vue. Là, un titre dont on a entendu parler… Une photographie effleurée, un mot suscitant la curiosité, le hasard intervient aussi un peu dans nos choix. Où et quand s’évade-t-on en lecture ? Petite sélection.

 

D’homme à homme



Mai 1985 dans le sud du Liban. Favrier est un jeune soldat en poste depuis quelques mois. Belleface, son supérieur, approche de la soixantaine. D’ordinaire assez taiseux il laisse planer le mystère autour de son histoire et de sa personne. Il intrigue pourtant, avec des citations de L’Ecclésiaste et cette Bible à laquelle il semble tenir comme à la prunelle de ses yeux. Favrier a envie d’en savoir plus. Cela tombe bien. Le Vieux, comme il le surnomme, s’est pris d’affection pour la jeune recrue. L’ancien colonel de l’armée israélienne a renoncé à son grade pour servir dans l’Armée du Liban Sud. Il ne sait rien faire d’autre que combattre, il n’était pas prêt pour la retraite. Il s’interroge. La guerre, pourquoi Favrier l’a-t-il choisie aussi ?

Dans Le Métier de mourir, Jean-René Van der Plaetsen entremêle le destin de ces deux hommes avec rudesse et douceur. Le décor oscille entre l’aridité du sol et les mille nuances de la mer. Le sol exhale les parfums de la terre promise dans un environnement où la plus insignifiante étincelle peut mettre le feu aux poudres. En permanence sur le qui-vive, les personnages se frayent un chemin vers leur humanité en se racontant l’un à l’autre. Le lecteur, plonge dans le cœur des hommes au fil d’un récit empreint de spiritualité sur la quête d’identité et la transmission. L’auteur signe là un très beau roman.

 

Le Métier de mourir. Jean-René Van der Plaetsen. Editions Grasset. 19.50€. 270 pages.

 

 

Blanc et noir



Août 1963, en Alabama. Adela est noire, veuve et femme de ménage. Elle trime pour ses enfants et entretient son beau-frère infirme. Une de ses employeuses la congédie. A l’intérieur d’elle, commence à souffler un vent de révolte. Il est attisé par la disparition de fillettes noires dont les flics, blancs, ne semblent pas faire cas. Les noirs, Bud Larkin, détective privé, a culturellement appris à les mépriser. Viré de la police après une bavure commise sous l’emprise de l’alcool, il végète. Un jour, le père d’une victime lui confie l’enquête pour rechercher sa fille. Au même moment, Adela, répondant à une petite annonce écrite par les amis de Bud, débarque pour faire le ménage. Ces deux protagonistes que tout oppose réussiront-ils à s’apprivoiser ? L’improbable duo a-t-il une chance de résoudre l’enquête ?

Passée la première impression d’un remake de « La couleur des sentiments » à la sauce polar, on se laisse emporter par l’intrigue, très bien servie par les personnages surprenants d’Adela et de Bud. Au fil des pages, se révèlent leurs failles et leurs forces. On hume l’atmosphère irrespirable de la ségrégation, héritage pesant des siècles ou l’esclavagisme était la norme. Il en faut des générations pour faire bouger les lignes. L’actualité estivale montre qu’un long chemin reste à parcourir. Dans Alabama 1963, Ludovic Manchette et Christian Niemec manient la plume habilement pour amorcer le pas, brouiller la piste des clichés. Sans tomber dans le lieu-commun et avec finesse, ils peignent une délicate complémentarité et démontrent que rien n’est jamais tout blanc ou tout noir.

Alabama 1963. Ludovic Manchette et Christian Niemec. Editions du Cherche-Midi. 17€. 380 pages.

 

 

Les à-côtés de l’Histoire.



3 nivôse de l’an IX (24 décembre1800) à Paris, rue Saint-Nicaise. Joseph de Limoëlan est coincé entre deux époques. Celle qui s’annonce n’augure, d’après lui, rien de bon. Il est exclu de celle qui s’achève. La valeur de son nom et de son blason ont chuté vertigineusement. Il n’y a plus ni cour ni perruques, ni bals ni chasses. Qu’est-il possible de restaurer après que la guillotine a emporté son père avec les derniers vestiges de l’ancien monde ? Que fait-il là, rue Saint-Nicaise, sur le passage du cortège de Bonaparte, à ourdir un complot censé ôter la vie du premier consul ? Bonaparte (ce n’est pas la première fois), échappe à l’attentat. L’échec passe au second plan car Joseph voit ses certitudes vaciller quand une petite fille de dix ans, sacrifiée par un de ses complices, est pulvérisée dans l’explosion. La noblesse n’est pas qu’une question de titres. Hanté par sa culpabilité, il cherche désespérément un chemin de rédemption. Fouché traque infatigablement les coupables. Dans le même temps, il déporte une centaine d’opposants. Du fond de sa cachette, Joseph réfléchit à sa propre déroute.

Sur la couverture, peint par David, le regard conquérant de Napoléon Bonaparte franchissant les Alpes est trompeur. La figure du futur empereur est une discrète toile de fond à cette magnifique fresque qui conduit le lecteur du côté des petites gens. Ils sont imprimeurs, pâtissiers, aristocrates déchus. Perdus dans cette Histoire troublée, ils agissent, espèrent, se trompent ou meurent. Avec érudition et délicatesse, Gwenaële Robert dessine le sort de tous ces anonymes, accolé à celui, tortueux, de Joseph de Limoëlan. Elle nous fait découvrir le pendant de la grande Histoire, éclairant du même coup cette dernière d’une lumière nouvelle.

 

Never Mind. Gwenaële Robert. Collection Les Passe-Murailles. Robert Laffont. 20€. 350 pages.