lundi 27 juillet 2015

Vice-versa

La bande-annonce du film d'animation vice-versa était alléchante ! L'idée de faire entrer les neurosciences dans un dessin animé : Quel exploit ! Je me réjouissais...
L'interaction entre les personnages, les regards, les silences et ce que tout cela engendre dans le cerveau, cela me paraissait très bien vu. 
Or, l'extrait choisi pour inciter à entrer dans une salle obscure n'a rien à voir avec la réalité du film. C'est  le seul moment où les sentiments des uns sont confrontées à ceux des autres. Le seul ! Le reste du temps, on a affaire aux tribulations des émotions dans le cerveau de Riley. Elle gèrent, certes avec beaucoup de pertinence et d'humour, des situations internes ou externes face auxquelles chaque individu a pu être confronté dans sa vie.
Pour les plus jeunes, l'histoire vécue au premier degré me paraît un peu légère.
J'ai aimé néanmoins le parcours de Joie, cette boule d'énergie, optimiste à en être agaçante parfois, qui parvient à lâcher son omniscience au fil des événements. Devant le cataclysme "provoqué" par Tristesse, elle se met tout d'abord des œillères, avant de découvrir, au fil des minutes, l'importance des autres émotions qui l'entourent, et la nécessité de la pluralité. La mémoire et la personnalité se construisent aussi avec les événements qui provoquent peine, dégoût, colère et j'en passe.
Nier la tristesse ne résout pas les conflits. S'enfermer dedans non plus. Voilà ce que j'ai retenu finalement du film, assez déculpabilisant pour les personnes qui, comme moi, ne parviennent pas à être optimistes 100% du temps mais qui n'en sont pas moins heureuses de vivre pour autant.

dimanche 26 juillet 2015

Citation.



"En tout cas, je devais préserver ce qu'il y a de plus estimable en moi : mon goût de la liberté, mon amour de la vie, ma curiosité, ma volonté d'écrire."

Simone de Beauvoir. Mémoires d'une jeune fille rangée.1958



Mon exemplaire des mémoires est dans un carton..
 Voilà pourquoi j'ai choisi de montrer un autre ouvrage,
 non moins pertinent !

samedi 25 juillet 2015

Tour Eiffel.

Paris le 14 juillet.




Une foule compacte se dirige vers le Champ de Mars où l'on attend environ 500000 spectateurs. Les tenanciers de brasserie et commerces divers ont flairé le filon et des échoppes éphémères vendent des sandwiches à tire-larigot. Une fragile ligne de policiers tente de vérifier qu'aucune bouteille en verre n'entre sur le site. Cordon bien inefficace dont l'effectif, trop faible, et l'organisation, inexistante, ne peuvent contenir la marée humaine qui déboule, pressée de trouver un coin de pelouse pour assister, aux première loges, au concert et au feu d'artifice. Avec des heures d'avance, les petites fourmis ont envahi l'espace. Les moins prévoyants, arrivés plus tard, cherchent les trous, comblent les allées, déclenchant des bousculades et des piétinements. Certains, philosophes, prennent leur mal en patience, d'autres s'échauffent un peu. Des petits resquilleurs se frayent un chemin, proposant des boissons. Tous se tassent finalement les uns contre les autres.

Stéphane Bern, juché sur une estrade commente visiblement pour l'émission de télévision qui retransmet l'événement. Quand enfin les premières notes retentissent après son intervention, c'est un peu la surprise. On dirait que le plein air aspire la musique vers le haut. Les imposantes enceintes disposées de part et d'autre des spectateurs ne parviennent pas à restituer l'émotion à laquelle on s'attendait. Carmina Burana résonne pourtant avec plaisir à mes oreilles, d'autant que l'extrait choisi fait chanter le chœur des enfants (inaudible sur Champ de Mars), cher à mon souvenir. Quel plaisir d'écouter aussi "Over the rainbow", l'intemporelle chanson de Dorothy dans le Magicien d'Oz. Verdi n'est pas en reste, Bernstein entre dans la danse et finalement, c'est la Marseillaise que la foule, se levant, reprend à l'unisson. Je me déplie avec l'espoir d'une sensation intense à l'idée d'entendre autant de monde chanter d'une seule voix. Je me dis que la protection policière, purement symbolique, n'aurait pu empêcher un fou de se glisser parmi nous et de faire des dégâts. Je songe à ce jour de janvier où l'horreur a pris le nom de Charlie Hebdo. J'entends gronder l'intégrisme assassin, dans un moyen orient pas si lointain. Je me dis qu'être tous ensemble ici, c'est ce que nous pouvons faire de mieux pour la liberté. Alors, même si l'émotion est absente car je distingue à peine le chant de mes voisins, je participe à la ferveur, que, Dieu merci, les téléspectateurs, devant leur petit écran, ont ressentie.

photo Céline Garcia
Vient ensuite le spectacle pyrotechnique qui enflamme et envoûte la Dame de Fer. Vivaldi côtoie Adèle dans un scintillement éblouissant de quarante minutes au cours desquelles Paris veut montrer au monde qu'elle mérite les jeux olympiques de 2024. Parfois à la limite du prosélytisme, le multiculturalisme est porté aux nues mais, indulgent, on se laisse porter par les effets de lumière qui nous propulsent dans la magie de l'enfance et des feux d'artifice.

Il est temps de quitter les lieux. Le mouvement compact des participants ne crée pas de désordre. Il fait doux ce soir dans la capitale. Les piétons ont envahi les artères et les véhicules à moteur se font rares. Flottement irréel. Le retour est épique, avec des stations de métro condamnées, des trains bondés et des demi-tours pour déjouer le débordement d'humains regagnant leurs pénates. Le sourire aux lèvres, car les situations inhabituelles sont toujours un moment excitant, je croise le regard lointain et un peu perdu d'Eva Darlan, toute de noir vêtue, crinière rousse encore flamboyante, visage familier et pourtant anonyme, qui revient elle aussi, à n'en pas douter, de la fête.

dimanche 19 juillet 2015

Ma séance de bodypainting

Read this post in English at the bottom of the page. Special thanks to Jessica for the translation.





Après avoir longuement réfléchi, j'ai choisi de ne pas laisser interférer mon propre ressenti sur le bodypainting dans le récit que j'ai fait du parcours de Marina. Je ne peux néanmoins pas faire silence sur l'expérience que j'ai vécue, tandis qu'elle peignait et que nous parlions.
Comme je l'ai écrit dans le précédent article, et avec un peu d'avance sur la suite d' "Angelina Jolie... et les autres",  je confiais à l'artiste mon espace intime, lieu de déchirure, de deuil et de douleur mais aussi d'espoir, de reconstruction, de terrain lentement reconquis sur la vie et les sens.
Après avoir dépassé la pudeur qui retient toujours un peu le geste, l'appréhension tombe et je me montre sans fard. Dans les yeux de Marina, je ne vois pas les cicatrices. Je ne perçois que le tableau qu'elle imagine. Le premier coup d'éponge me surprend toutefois. Je me sens barbouillée. Au sens propre. Après les chirurgiens et les infirmières, c'est à la peintre que je confie mon buste, cette fois pourtant de mon plein gré. Je retiens mon souffle.

Le dernier fil de la dernière intervention s'est résorbé il y a quelques jours à peine et la peau est rosacée à l'endroit où le bistouri est passé. Heureusement, Marina, que j'ai encouragée à se raconter, parle, étonnée elle-même de son propre flux de paroles. Chacune de nous se prête à quelque chose de totalement inédit, ce qui scelle la complicité de l'instant. Le vert et le bleu se mélangent, le blanc se pose par touches. Je vois le pinceau se déplacer. Parfois, j'ai presque la sensation agréable des poils légers de l'outil  sur ma peau, mais c'est fugace... C'est comme si mes yeux transmettaient l'information à mon cerveau, qui, se remémorant la sensibilité de cette zone-là, me donnait un petit aperçu en lot de consolation... Impression étrange de carton pâte ! N'y penser pas.
Le travail est long. Il fait terriblement chaud. On a la chance que je ne transpire pas. Marina est penchée sur son ouvrage, recule, revient. Je la laisse modeler un nouveau et éphémère visage à mes seins. Je vois apparaître des bulles. Air neuf à respirer... 
Plusieurs heures de minutie et de patience plus tard, le résultat est là !
Algues, eau, ciel... une sirène timide cherche à sortir de sa tanière sous-marine. Elle a envie de chanter, danser, voler, essayer...

C'est le moment de la séance photo. Poser, s'exposer, lâcher. Marina guide et suggère.




Je m'inquiète déjà de la tenue du dessin... Il est décidé de le garder jusqu'au lendemain après application du fixateur et il est convenu d'un nouveau défi : sortir dans la rue, vêtue, sur mon jean, d'une simple tunique en dentelle.

Après une courte nuit, juchée sur mes talons pailletés, je descends, dans l'air encore frais du matin, à peine couverte par une étoffe blanche dont les mailles très lâches laissent deviner la peinture sur ma peau nue.
Mon cœur palpite de cette bravade adolescente qui me fait pourtant me sentir tellement vivante, tellement invincible. Quelque chose explose dans ma poitrine qui ressemble à un morceau de bonheur, capté là, comme ça. Je me tiens droite et tente d'oublier, malgré la douce brise qui caresse mes seins bleutés, que je ne porte rien d'autre que les couleurs de l'espoir. En fait je n'oublie pas. Je suis fière d'oser. Je me rends compte que ça ne fait pas mal, pas honte. Je le sais pourtant. Pourquoi faut-il que la vie doive me le rappeler parfois avec tant de rudesse ? 
Une voiture passe, une vitre se baisse, un compliment jaillit... et je souris.
Je marche seule...
Vers mon destin. Je le veux aussi libre qui soit, rempli d'amours possibles, de réalisation de rêves, de paix et de sérénité... et d'un grain de fantaisie.





Merci à Marina...
www.facebook.com/TohuBohuHappyFacePainting
tohubohumaquillage@hotmail.fr 




My body painting experience


After much thought, I chose not to allow my own thoughts and emotions on my body painting experience seep into my account of Marina’s personal journey. Yet I cannot remain silent about the time we spent together; us chatting, her painting. As mentioned in my previous article, and as I will touch on in the follow up to “Angelina Jolie... et les autres”, I trusted this artist with one of the most intimate areas of my body; an area which has suffered great pain, destruction and mourning, yet which is also full of hope of being rebuilt, slowly regaining sensation and feeling.

After the initial awkwardness, all nervousness fades and I reveal my naked body. In Marina’s eyes, I do not see my scars. All I see is the painting she has in her mind. The first stroke of the sponge surprises me. I feel smeared. Literally. After the surgeons and nurses, it’s with a painter to whom I entrust my breasts, yet this time of my own accord. I hold my breath.

The final stitch from the last operation dissolved just a few days ago and my skin is red where the scalpel sliced its way through. Fortunately, Marina, who I encourage to speak, surprises herself with a steady flow of conversation. We both prepare ourselves for something out of the ordinary, which seals the complicity of the moment. Green and blue combine, with white accents here and there. I see the brush move. Sometimes, the feathery brush strokes on my skin are almost pleasant, although it is fleeting...it’s as if my eyes are transmitting information to my brain which, recalling the sensitivity of this area, gives me a small insight into my consolation prize...a strange cardboard-like feeling. I try not to think about it.

Marina’s task is no short affair, and it’s incredibly hot outside. I’m lucky that I don’t sweat much. Marina leans into her work, takes a couple of steps back, then returns. I allow her to give my breasts a new, temporary appearance. I see bubbles starting to appear. Fresh air to breathe...
After several hours of meticulous work and patience, her work is complete!

Seaweed, water, sky...a shy mermaid seeks to leave her underwater lair. She wants to sing, dance, fly, live her life...
It’s now time for the photoshoot. Pose, expose oneself, let go. Marina guides me and gives suggestions.


I’m immediately concerned about the staying-power of Marina’s artwork....I decide to wear it until the next day and she applies a fixing agent to ensure it stays put. I agree to another challenge: go out in public wearing only a pair of denim jeans and a simple lace tunic.

After a sleepless night, I step outside into the fresh morning air in a pair of sequin heels, my skin barely covered thanks to a loose, sheer fabric which subtly reveals a glimpse of Marina’s artwork on my naked body.

My heart beats wildly thanks to this newfound adolescent bravado which makes me feel so alive, almost invincible. In that moment, something in my chest explodes, happiness radiates from within. I stand tall with my head held high, despite the gentle breeze that caresses my blue breasts; I wear little but the colours of hope. I’ll never forget. I’m proud to be bold. I realise that it doesn’t hurt and I’m not ashamed. But I know. Why must life remind us of the harshness we have endured?
A car drives past, the window winds down and a yell of appreciation ensues. I smile. I walk alone...

Towards my destiny. I want to be free as a bird, live a life filled with future lovers, make my dreams reality, find peace and be serene...something out of this world.

 translated by Jessica Rose March

 

Angelina Jolie et les autres #3

Il fait une chaleur terrible, alors que nous roulons vers Dijon et le fameux centre Leclerc (comme si on allait faire des courses) ! Je conduis, mais je ne suis pas seule. Mon mari est avec moi. Je suis tétanisée. J'y vais à reculons. A l'entrée, le gardien de la barrière exige, pour l'ouvrir, un papier bleu que je ne possède pas. C'est agaçant ! Je dois expliquer que c'est la première fois que je viens et que je n'ai pas obtenu par téléphone en prenant rendez-vous le carton qu'il me réclame (on n'est pas non plus au pince-fesses de l'ambassadeur !). Il consent à me laisser passer en me demandant de penser à présenter le précieux sésame la prochaine fois. Je rétorque vertement que j'espère qu'il n'y aura pas de prochaine fois, même si au fond, je sais qu'hélas, il y en aura une et même plusieurs.
Après des aléas administratifs -il ne faut pas dépasser la ligne, répéter son identité, longer des couloirs et suivre des flèches- nous parvenons au sous-sol où doit avoir lieu la biopsie. La blouse blanche qui vient me chercher interdit à mon mari de m'accompagner malgré ma panique visible. Enfermée dans un petit box je dois exposer les raisons de ma présence à une manipulatrice radio. J'ai le malheur de prononcer BRCA2. Ça s'agite. Je dois, torse nu cette fois, affronter le médecin qui revient avec la dame et résume la situation en concluant inquiet: "Vous avez la mutation génétique..." Ils ont l'air encore plus paniqué que moi. Mais vont-ils arrêter de m'agresser avec ça ?
J'apprends déconfite que je vais devoir passer à la mammographie. Je dois me contorsionner et je souffre le martyre tandis que la blouse qui s'occupe de moi me bouscule et me demande d'une part de me tenir droite et d'autre part si j'ai un torticolis -j'ai un bras écarté, la tête tournée, mon œuf au plat écrasé entre ses plaques en plexi : je rêve !!!
Alors, ce qu'il faut savoir, c'est que la mammo, c'est une partie de plaisir à côté de ce qui se passe après. On m'allonge sur une table, on me badigeonne le sein de Bétadine et on me pose un champ stérile tout ça en m'expliquant qu'il va y avoir quatre piqûres qui vont faire comme une petite décharge de pistolet mais que ça ne fait pas mal. Ben voyons ! La douleur m'arrache un cri et mes paupières se mouillent. C'est juste inhumain. Mais il s'est enfoncé son aiguille dans le sein le connard qui ose me dire que c'est indolore ? L'examen se fait sous échographie et les ponctions me semblent interminables. Je termine en larmes dans l'indifférence quasi absolue. Seule une petite dame a proposé d'aller chercher mon mari qui attend, impuissant, les bras ballants dans un coin de la pièce. Je ne ressemble à rien avec mon sein tuméfié, en petite culotte sur la table. A part inspirer de la pitié à cet homme qui ne veut plus trop de moi, que puis-je bien espérer ? Je me sens finalement pathétique et humiliée.
Je demande son avis à l'échographe concernant la nature potentiellement cancéreuse de la lésion. Il ne se prononce pas mais dit catégoriquement  que vu la grosseur, il faut quoiqu'il en soit supprimer cette image !
Supprimer cette image ?
Il parle de mon sein là ? Au secours Hippocrate ! Mais d'où sort ce genre d'humain qui prétend avoir le pouvoir de guérison sur un autre genre d'humain sans être capable d'être humain ??
L'image, comme il dit, c'est un morceau de moi qui se manifeste. Et si c'est de toute façon trop gros et qu'il faut opérer, alors pourquoi m'infliger cette biopsie ? Pourquoi ne pas enlever, puisqu'il n'y a visiblement pas d'alternative, et effectuer les analyses ensuite ? Cela économiserait de l'argent, du temps, de l'énergie et de l'angoisse... Je suis consternée. Pourquoi, donc?
Tombe la réponse leitmotiv que je vais entendre des dizaines de fois dans les semaines qui vont suivre :
"C'est le protocole !"
Je me retiens de hurler : "Tu sais ce que j'en fais de ton protocole ? Moi, je ne suis pas un numéro ! Comment font les autres ? Ils se laissent faire comme des moutons ? Je sens la révolte gronder en moi ! "
 Mais je me tais, avec mon pansement sur le sein. Je vais docilement récupérer mon carton bleu au secrétariat et on me donne directement rendez-vous avec un chirurgien dix jours plus tard.
Du voyage de retour, je ne me souviens pas. Tout juste que la chaleur est écrasante et que je dépose l'homme de ma vie d'avant à son bureau, tandis que je rentre seule dans la maison qu'il a désertée. Les larmes coulent sur mon visage. Les enfants sont au bord de la piscine. Je n'ai pas le droit de me baigner. Ils me réclament de les rejoindre. Jamais je ne leur ai menti. Je ne sais pas faire. Mais je ne peux ni ne veux rien leur dire pour le moment. J'essaye de noyer le poisson en ravalant mes sanglots. 


J'en veux tellement à leur père de me laisser me dépatouiller seule de tout cela. Je dis très doucement que j'ai une petite blessure et qu'il m'est interdit d'aller dans l'eau. Les enfants ne se contentent pas d'une explication aussi évasive, mais, voyant mon air rassurant masquer mon désarroi, ils n'insistent pas. Je reste à les observer, assise sur la margelle, les pieds dans l'eau. Je profite de ces instants magiques, de la fraîcheur des éclaboussures. Chaque minute passée à cet endroit de la maison a été un moment d'éblouissement pour moi. J'avais accepté la piscine à condition de ne pas avoir à gérer la maintenance. Bien évidemment, les conditions n'avaient finalement pas été remplies, ce qui me faisait râler, mais à aucun moment je ne suis passée à côté du bassin blasée ou découragée. Chaque baignade, chaque reflet de l'eau verte sur le mur en pierre, chaque rire d'enfant, chaque rayon de soleil sur ma peau nue a été comme un luxe auquel j'ai goûté intensément, ne sachant pas combien de temps il durerait. Et le temps était désormais compté puisque, la maison vendue, les lieux devaient être débarrassés à la fin du mois de juillet.
J'ai mal. C'est comme si la tumeur, à l'intérieur, s'insurgeait d'avoir été dérangée. Tout à coup, la voilà qui durcit et grossit. Je n'ai pas vraiment peur. Je suis juste fatiguée.
Deux jours plus tard, c'est une date importante, un anniversaire de mariage. Vingt ans. J'ai pris il y a fort longtemps un billet pour assister au concert de Marc Lavoine au Zénith à Dijon. L'achat date d'une période où il semblait que l'histoire entre mon homme et moi était définitivement close (mais comment termine-t-on une histoire si longue qui n'était pas censée avoir de fin ?). J'avais pensé que ce divertissement serait un bon exutoire. Quand contre toute attente les choses s'étaient un peu arrangées, j'avais prévenu, un peu brutale peut-être (mais j'avais tant souffert), que je ne changeais pas mes projets. J'avais toutefois suggéré un autre moment à deux pour célébrer l'événement, aussi fragile que la porcelaine qui le symbolise.
A mes copines, toutes guillerettes, je ne dis rien, même quand elles me suggèrent qu'on utilise ma voiture pour le co-voiturage alors que j'aurais bien aimer me laisser conduire. Les nuits sans sommeil grignotent ma force de vie. Dans la salle de spectacle, c'est l'ébullition. Nos places sont assez éloignées de la scène. Mais après quelques refrains et les réprimandes des agents de sécurité, ces derniers sont débordés par la foule qui se rue au pied du chanteur.
L'envie d'être au cœur de l'action prend le dessus sur ma douleur, les basses qui résonnent dans ma poitrine et la crainte d'être bousculée. Et, les yeux dans ses yeux révolver (ou presque) je chante à pleins poumons ! Ce qui est pris n'est plus à prendre...

Marina. Profession : Bodypainter.

Read this post in English at the bottom of the page. Special thanks to Jessica March for the translation.




Lors d'une kermesse d'école, j'ai vu Marina maquiller les enfants qui, entre ses doigts, devenaient tigres, papillons, princesses... Elle m'a semblé passionnée. Au détour d'une conversation, j'apprends que peindre sur les gens, c'est son métier. Je lui demande comment elle est arrivée jusque là parce que je suis curieuse de connaître le parcours de ceux qui sourient. Et Marina sourit tout le temps. Elle prononce le mot autodidacte. "Ça m'intéresse que tu m'en dises plus", proposai-je. Les yeux de Marina plissent et sa bouche s'élargit. Mais on en reste là.

Un an et quelques péripéties plus tard, je l'aborde à nouveau. Je sais qu'elle fait de la photo, et je voudrais réunir plusieurs femmes qui osent montrer leur corps pour casser les clichés esthétiques des magazines (cf mon article #ImNoAngel). Ce projet n'aboutira pas... Toutes les idées ne parviennent pas forcément à maturité, mais d'autres germent, et l'on finit, après quelques timides conversations, par reparler de Bodypainting. Quelque chose me trotte dans la tête. Reste à oser. Je me jette à l'eau et propose à l'artiste une séance avec moi.
Il s'agit d'une expérience à double sens. En même temps qu'elle me raconte son parcours, afin que j'en fasse un article pour le blog, elle peint mon corps. Une partie de mon corps. Et pas n'importe laquelle. Les seins. Espace intime s'il en est. Espace bousculé, espace arraché, espace remodelé. Une peau, des formes, des sensations et une configuration à s'approprier, se ré-approprier.
Un défi pour chacune de nous. Marina accepte. Nous parvenons à fixer une date.
Le jour J, nous ne savons pas très bien où nous allons. Je branche le dictaphone tandis qu'elle dispose pinceaux et pots. Tourner autour, c'est ce qu'on fait avant que je parvienne à ôter mes vêtements et que dans le même temps, elle veuille bien répondre à mes questions.


Nous choisissons ensemble les couleurs qu'elle va utiliser. Pour le reste, c'est son inspiration qui va travailler.
Marina commence à parler et le malaise se dissipe. Penchée sur son travail, la pulpe de la main à peine appuyée sur mon corps pour soutenir son geste, elle commence à raconter son parcours. Un chemin atypique et caillouteux. Un chemin sur lequel elle a regardé les fleurs plutôt que les ornières.
Tout en scrutant son modèle, elle évoque son enfance et son parcours scolaire. Elle voue une vraie passion à l'école. Elle a soif d'apprendre et se sent malheureuse quand arrivent les vacances. Là-bas, elle a des interlocuteurs pour répondre à ses questions, pour nourrir sa curiosité.
Malheureusement, très jeune, elle est contrainte de quitter le cursus ordinaire malgré ses bons résultats. Elle travaille sur les marchés et dans un magasin. Elle est reçue à l'école des beaux arts qu'elle a préparée. Elle n'y mettra jamais les pieds. Quelqu'un a décidé pour elle qu'il en serait autrement. Un jour elle rencontre un garçon. Puis, dans la boutique en face de la sienne, un couple d'opticiens à qui elle donne un coup de main. Elle agence les vitrines, a le coup d'œil pour aider un client à choisir sa monture. Les propriétaires l'initient aux subtilités du métier jusqu'au jour où, ayant besoin d'embaucher, ils lui proposent le poste et la formation en alternance. Commence une collaboration fructueuse de plusieurs années. Marina s'épanouit dans son travail, a un enfant.

Alors que son mari quitte la région pour faire une formation dans le milieu de l'animation sportive, Marina prend finalement une année sabbatique et décide de le suivre.  Elle passe ses diplômes d'animatrice et de directrice de centre. Elle aime le sport et devient accompagnatrice de moyenne montagne. Se perfectionne à skis. Elle laisse libre cours à sa créativité pour dessiner les affiches et autres supports utiles dans le cadre de l'animation. Elle se met à peindre.
Puis, un jour, elle rentre au bercail et reprend son activité d'opticienne avec plaisir. Elle se retrouve seule pour élever son enfant et continue d'aller de l'avant. Quand ses patrons décident de vendre pour des raisons de santé, elle est licenciée. Elle s'engage alors dans  une association qui promeut l'art contemporain où elle côtoie des artistes (sculpteurs, plasticiens, stylistes...) qu'elle met en valeur grâce à des structures géantes le long du canal de Bourgogne. Elle obtient des responsabilités, devient chargée de communication. Pendant un an et demi elle découvre une vie différente avant de partir sur les routes pour un nouveau travail dans l'optique. Enfin, lorsqu'elle attend un nouvel enfant, elle décide de se poser pour l'élever. Elle peint, imprime, met sur toiles. Quelqu'un qui connaît son don la contacte : un artiste s'est désisté pour une exposition. On ne lui laisse quasiment pas le choix. Elle apporte ses productions. Elles sont toutes vendues. Pourtant, Marina se cherche encore. On lui propose un poste pour travailler sur l'art visuel avec des enfants en difficulté. Pendant quatre ans elle monte des spectacles avec et pour eux et c'est dans ces circonstances qu'elle découvre le face painting. C'est la révélation... Une autre manière de peindre. Depuis, elle n'a plus touché une toile :
"Il faut que ce soit vivant ! Tu n'es plus face à ta solitude ou à tes démons, tu es face à quelqu'un dans la création !"


Et elle explique se caler sur le rythme cardiaque de son sujet quand elle peint. Bien sûr, pour arriver là, elle a énormément lu et travaillé, cherché la meilleure qualité de peinture pour optimiser son travail et être à la hauteur de ses ambitions. Elle partage avec des professionnels du monde entier (ce mode d'expression est plus développé dans les pays anglo-saxons) et crée un groupe d'échange en France. Installée en tant qu'auto-entrepreneur, elle se déplace aussi bien à domicile pour décorer des ventres de femmes enceintes ou une tête que la chimiothérapie a privée de ses cheveux que dans les événements festifs où son activité a toujours un franc-succès. Marina sourit, écoute et aime ce qu'elle fait. Captivée par son sujet, elle a à cœur de sentir ce qui fera vraiment plaisir et de le donner. Elle choisit scrupuleusement ses produits et ses outils afin d'offrir le meilleur de son art.


Toutes les photos (c Tous droits réservés-article L111-1 et L123-1 du code de la propriété intellectuelle) sont publiées avec l'autorisation de Marina. Retrouvez plus d'informations et de photos sur la page facebook : www.facebook.com/TohuBohuHappyFacePainting ou en écrivant à l'adresse suivante : tohubohumaquillage@hotmail.fr






It was at a school fair one day that I first saw Marina painting the faces of children who, thanks to her talented brushstrokes, became tigers, butterflies, princesses...she seemed passionate about her work. Whilst chatting, I discovered that she’d made a career out of body painting. I asked her how she ended up doing what she does today, because I’m always curious to find out more about those who smile. And Marina is always smiling. She mentions the word self-taught. ‘I’d love to know more’, I hint. Marina’s eyes twinkle and her mouth forms a wide smile. Although that’s as far as I got that day to finding out more.

One year, and several twists and turns later, our paths crossed again. I knew she also did photography and I wanted to organise a group of women who were bold enough to show their bodies to the world, to break free from the typical airbrushed images of women we’re fed by the media (see my article #Iamnoangel). This project never did come to much...not all ideas come to maturity, yet others grow, and eventually, after several shy conversations, we returned to the subject of body painting. An idea ran through my head. All I needed to do was take the plunge. I threw caution to the wind and suggested we work together on a project. A two-way experience. Whilst telling me about her personal journey so I can feature her here on my blog, she could paint my body. A specific part of my body. Not just any old part. My breasts. It doesn’t get much more intimate than this. An area that has been prodded, torn, reformed. Skin, curves, sensations and an opportunity to reclaim and take back control of my body. A challenge for both of us. Marina agreed and we set a date. D-day. Neither of us are quite sure how things will pan out. I start the dictaphone recording whilst she arranges her pots and brushes. We both turn around as I summon my courage to undress and she begins answering my questions.

We choose the colours she will use together. As for the rest, she works from pure inspiration. Marina starts talking and the uneasiness begins to fade. Focused on her work, the soft flesh of her palm barely resting on my skin to support her hand, she tells me about her story. A rather unusual and bumpy ride. A path whereby she chose to see the roses rather than the thorns.
Continuing with her handiwork, she reminisces about her childhood and her school days. She was a very committed student, thirsty to learn, who dreaded the return of school holidays. There, her teachers would answer her every question, and feed her curiosity. Unfortunately, at a very young age, she was forced to abandon her studies, despite her promising grades. She worked on market stalls and in a shop. She was accepted into a School of Fine Arts, as she had planned, although she never did set foot in its grounds/building. Fate had decided that this was not to be her path in life. One day she met a boy. Then, she began to work for a couple of opticians who owned the shop opposite where she worked. She dressed shop windows, and had the eye to help clients select their frames. The owners introduced her to the basics of the profession until one day, when they were looking for a full-time member of staff, they offered her the job and training as part of her vocational course. This was the start of several fruitful years of collaboration. Marina’s career blossomed, and she gave birth to her first child.  

When her husband decided to move away from their hometown to pursue his studies in sports science, Marina decided to go with him and take a year out from working. She graduated from her animator degree. She liked sport and became a mountain leader, working on her skiing. She embraced her creative flair and began designing posters and other promotional materials for her work. She began to paint. Then, one day, she returned to the fold and happily picked up where she left at the opticians. She found herself having to raise her child alone yet continued moving forward with her life. When her employers decided to sell the business for health reasons, she was made redundant. She therefore decided to get involved with an association promoting contemporary art where she worked alongside other artistes (sculptors, ceramicists, designers), showcasing her talent thanks to giant structures created and put into place along the Burgundy canals. She was soon given more responsibility and became head of communication. Over the next year and a half, she continued to work creatively before deciding to relocate for a new job at another opticians. Finally, when pregnant with her second child, she decided to settle down to raise her new-born. She painted, created prints and even made canvases. Somebody who had heard of her talent contacted her: an artist had pulled out of an exhibition and they had no other options. She brought her paintings to the expo and sold them all. However, Marina was still on the road to self-discovery. She was offered a job that used visual arts to help children with learning difficulties. Over the next four years, she helped put together performances and through this she discovered face painting. It was a revelation...a totally different means of painting. Since then, she hasn’t touched a single canvas. “It needs to be living, breathing! You’re no longer facing your demons alone, you’re opposite a real-life creation!”

As she explains, she gradually slows into a steady heartbeat-like rhythm whilst she paints. Of course, she has worked incredibly hard and is extremely knowledgeable on her subject, only using the best quality paint to ensure the end result mirrors her high standards. She shares her ideas and collaborates with other professionals around the world and has created an exchange group in France. Thanks to her self-employed status, one day she can be painting the growing tummy of a mother-to-be or the head of a cancer victim who has lost their hair due to chemotherapy. The next, she can be helping out with festivals where her art form is always a big hit with crowds. Marina smiles, listens and loves what she does. Captivated by her subject, she has the heart to discover what the person in front of her truly desires and then makes it come to life. She selects her products and tools carefully, always delivering her best.


Translated by Jessica Rose March


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