lundi 10 octobre 2016

Livres en Vignes 2016 : le poids des mots, le show des photos !

D'accord, je suis très en retard pour rendre compte de cet événement vieux de deux semaines... Mes excuses seraient-elles valables ? Allez, pas de blabla...



Ce midi seulement (je parle du vendredi 23 septembre) j'ai reçu dans ma boîte aux lettres "Jukebox Motel", le premier roman de Tom Graffin, qui a obtenu le prix Méo-Camuzet de l'édition 2016 de Livres en Vignes. Impossible de se faire une idée avec la quatrième de couverture. Tiens, il y a un CD avec ! A défaut de lire, je vais écouter de la musique sur le chemin. A la sortie d'autoroute, après Nuits Saint Georges, je glisse le disque dans le lecteur... Le soleil me caresse à travers les vitres de l'habitacle, je souris malgré moi. Des petits bonheurs simples. La mélodie transporte une part de moi sur les longues routes américaines... Je me sens presque comme Beatrice Kiddo à la fin de Kill Bill. Libre. Projetée dans un road movie et pourtant ici ! Les pancartes indiquent Vosne Romanée, on est on ne peut plus au cœur de la Bourgogne. Un panneau à l'entrée du bourg prévient même : " Attention village en vendanges roulez prudemment". J'aime le décalage...



On trouve toujours de nouvelles perspectives pour photographier le Château du Clos de Vougeot. Immuable.

Dans la grande cour, mon ami Michel a commencé à mitrailler, avec sa double casquette de mécène et photographe. Bernard Lecomte, apprenant ma participation au chapitre de l'équinoxe de la plume et du vin me confie bien vite la mission de rédiger le compte-rendu pour la revue du Tastevin. Je trouve ça amusant et j'oublie qu'on m'a visiblement refilé le bébé ! Jean-Robert Pitte, président d'honneur à vie de Livres en Vignes, se souvient qu'il m'a demandé l'année passée de lui envoyer la lettre que je lui avais écrite lorsqu'il a reçu le Prix de la Paulée.
On attend les auteurs, retardés avec leur bus par un accident de voiture à la sortie de Dijon. Enfin, la nuée d'officiels est rejointe par les littéraires et les lauréats des Prix. 


Jean-Marie Rouart, Président de l'édition 2016, Evelyne Philippe, Organisatrice et Vincent Barbier, Grand Maître de la Confrérie des Chevaliers du Tastevin.







Livres en Vignes version 2016 peut commencer. Evelyne, qui a beaucoup donné, n'a cependant pas fini de courir partout durant tout le week-end pour s'assurer du bon déroulement de la manifestation.
Jean-Marie Rouart confesse qu'il est un arriviste... Exactement comme dans " Ne pars pas avant moi", son dernier roman, que je suis en train de lire. Faute avouée à moitié pardonnée, cet homme est un malin ! Il se plaint par jeu de passer toujours après les autres... Après Bernard Pivot au Figaro littéraire, après ses collègues académiciens, dont Jean d'Ormesson, auquel est adressé sans doute le titre du livre, pour devenir Chevalier du Tastevin : "Tout le monde croit que je voulais être Académicien. En fait, je voulais juste être Académicien pour être un jour Chevalier du Tastevin". Si c'est convenu, cela n'en est pas moins jovial !
Il parle ensuite d'Antoine Blondin, écrivain oublié (par beaucoup) mais toujours célébré par les fidèles admirateurs des Hussards. Un auteur à découvrir ou à redécouvrir, comme le suggérait un journaliste du Elle au début de l'été. Plongez-vous dans "L'humeur vagabonde"... Vous y trouverez les travers de la société (rien ne change) et les malentendus de l'âme humaine... Un vrai bonheur ! Le vice de Blondin ? L'alcool... Souvenez-vous d'"Un singe en hiver"... C'est lui aussi.



Metin Arditi, Prix Albert-Bichot  et Albéric Bichot

Le lauréat du Prix Albert Bichot est aussi discret que son Curriculum Vitae est prestigieux. Diplômé de l'Ecole Polytechnique de Lausanne et de l'Université de Stanford, il a enseigné la physique mais aussi  l'économie et la gestion et l'écriture romanesque. Très engagé dans la vie culturelle il a créé une fondation et œuvre aussi pour la paix à travers des initiatives d'éducation musicale d'enfants de Palestine et d'Israël. Et cette liste est non exhaustive. Il est ambassadeur de bonne volonté à l'UNESCO et envoyé spécial. Il  fait un discours juste et plein d'humour.




Après la cérémonie et l'apéritif servi dans la cour du Château, direction les Caves Saint-Nicolas de la maison Albert-Bichot où Anna-Marina, Valeria et Jean-François s'activent pour offrir aux invités de cette soirée off  des mets succulents qui accompagnent délicatement les vins du domaine, soigneusement sélectionnés pour l'occasion.

Avec Romain Sardou

Francesca Sardou, Michel Crestanello et Isabelle Alonso



Tom Graffin et Olympia Alberti
Le dîner me permet de retrouver le couple Sardou et d'évoquer la Chapelle Saint-Jacques, où fut intronisé Jacques de Molay en 1265. A ma droite, une personne lumineuse avec laquelle je fais très vite connaissance. La connivence est instantanée. Olympia Alberti a écrit de nombreux ouvrages, romans et poésie. Je ne connaissais pas son œuvre. Je comprends, entre autres, qu'elle a vécu en Inde. Elle a écrit plusieurs livres sur Mère Teresa. La rencontrer, c'est avoir envie de tout lire d'elle. Je reparlerai d'elle... A côté d'elle, Tom, dont j'ai déjà parlé, originaire de la Sarthe ! On aura l'occasion de se croiser plusieurs fois au cours du week-end et d'avoir une discussion passionnante à table le dimanche midi sur l'utilité d'écrire (avec Jérôme Attal).



Jean-Joseph Julaud en pleine dictée
Le samedi matin la dictée peut commencer sous la houlette de Jean-Joseph Julaud (auteur de beaucoup d'ouvrages "pour les nuls"). Pédagogue, accessible, humble, c'est un plaisir de le retrouver chaque année. La dictée évoque un curieux personnage, Gabriel-Julien Ouvrard. Né en 1770, il anticipe que le bouillonnement révolutionnaire va être propice à l'imprimerie et fait fortune en achetant toute la production de papier de la région nantaise. A l'aube du XIXème siècle il est le propriétaire du Château du Clos Vougeot. Après divers épisodes de fortune et de revers au côté de Napoléon, il est chargé de fournir en chaussures l'armée de ce dernier. Par souci d'économie, il livre des souliers en faux cuir, à semelles en carton, en les faisant passer pour des chaussures en cuir. Cette arnaque méconnue aura un effet désastreux lors du fameux hiver russe, et on peut lui imputer en partie la défaite de l'armée de l'Empereur !


Pierre Servent

 Tout au long du week-end ont lieu des conférences débats. Pierre Servent, journaliste et auteur, spécialiste des affaires militaires, expert en stratégie et colonel de réserve opérationnelle aborde le thème : "La France est-elle en guerre ?" Son discours, loin de la langue de bois, fin et étayé est une bouffée d'intelligence dans ce monde de médias où la surenchère de sensation et de bêtise est de plus en plus monnaie courante.




Librairie Le Meur. Livres anciens
Flâner dans la grande salle renaissance. Discuter avec Isabelle Alonso. De ses écrits mais aussi de ses prestations dans le jeu télévisé mot de passe... Passer d'un stand à l'autre. A t'on jamais pensé, spectateur, à ce que ressent l'auteur assis de l'autre côté de la table ? Assis tandis que l'autre est debout, ce dernier doit lever la tête pour discuter. Parfois, ce n'est pas utile. Le passant s'arrête. Ouvre l'ouvrage, le feuillette, le referme puis passe son chemin sans mot dire. Et l'écrivain de le maudire ? Ce lecteur finalement perdu, pas accroché... Allons, ne médisons pas. L'ambiance est bon enfant. Je croise la route d'Eric Genetet qui m'interpelle, un peu comme un vendeur des rues, me rappelant le jeu de deux auteurs très drôles, l'an passé, qui, pour tuer le temps (mais le tue-t-on ?) alpaguaient les visiteurs en leur proposant d'acheter deux livres pour le prix de trois ! On entre très vite dans le vif du sujet, surpris par ce qui ne ressemble pas à du hasard. L'orthophoniste et le dyslexique ont matière à échanger. Étonnamment, depuis que je suis arrivée, la veille, au Clos de Vougeot, ma "casquette" d'orthophoniste (alors que je suis là en observatrice, journaliste) a surgi plusieurs fois. Il y a des ponts qu'on ne peut nier.


Eric Genetet, Régine Crestanello, Thierry Lacour (grand lecteur pour le Prix Albert-Bichot)
 Le soir venu, c'est le Chapitre de l'équinoxe, de la plume et du vin qui bat son plein.

Isabelle Alonso, Vincent Barbare (éditeur)
Le récit de cette étonnante soirée, 1145ème Chapitre de la Confrérie des Chevaliers du Tastevins devrait faire à lui tout seul l'objet d'un autre article. A suivre, peut-être...


Le dimanche, la foule afflue sous un beau soleil d'automne...

Une lectrice en pleine conversation avec Olympia Alberti
A de nombreuses reprises au cours du week-end, j'ai pu échanger avec Olympia. Il est question, avec Jean-Paul Delfino je crois, des livres posés sur les stands, et dont certains, parfois, disparaissent. On évoque ces gens qui pour lire se font voleurs. A un autre moment, Olympia parle d'un salon au cours duquel une femme lui avoue avoir commencé un de ses livres mais s'être interrompue cinquante pages avant la fin. Un peu ennuyée que son ouvrage n'ait pas plu, Olympia s'étonne cependant de voir la dame acheter cinq volumes du dit livre. La lectrice lui explique alors que si elle n'a pas lu les cinquante dernières pages c'est pour le cas où un jour elle aille très mal. "Parce que je sais que ce sont alors ces cinquante pages qui me sauveront la vie". Olympia raconte ce bel hommage avec beaucoup d'humilité et un peu de malice. L'auteur de best sellers assis à côté d'elle à ce salon (on ne choisit pas ses voisins) en était resté comme deux ronds de flan !

Jérôme Attal
A midi, pas question de ne pas profiter des bonnes choses, malgré les excès de la veille. Le dessert ravit les pupilles avant les papilles.


L'après-midi s'étire... Le retour se fait avec des envies de lire, encore et encore...
Et la promesse d'être au rendez-vous l'année prochaine pour la dixième édition.


Crédit photos Michel Crestanello et moi-même. Article amené à être étoffé peut-être...

dimanche 31 juillet 2016

Farandole de festivals estivaux

Sons d'une Nuits d'été a ouvert le bal des festivals de l'été. Juillet envisagé studieux pour moi, il n'est prévu dans mon carnet que cette première danse ! Et quelle danse, relatée dans le post précédent. C'est sans compter sur le hasard (ou devrais-je dire les coïncidences ?)... Tout d'abord, Marie-Claude, ma patronne, me propose de l'accompagner à un concert dans le cadre du Festival de Bach à Bacchus. Comment refuser un petit tour à la Léproserie de Meursault (curieux écrin pour un concert, on peut en convenir !) que je n'ai encore jamais visitée ?



 C'est Denis Thomas (conseiller général) en personne qui nous fait la visite. Ici la salle des Pôvres, là, la salle des malades, la Chapelle... Je sais à peine ce que je viens écouter... Je crois vaguement qu'il s'agit de violoncelle. En réalité, les musiciens, Vassilena Serafinova et Rémi Delangle jouent respectivement du vibraphone et de la clarinette. Surprise totale ! Répertoire éclectique qui glisse de Gabriel Fauré (d'après un rêve) aux chants traditionnels bulgares.  Aux accents yiddish et slaves succèdent les airs de Piazzola qui nous transportent en Amérique Latine. La belle énergie des deux compères, totalement en phase, nous fait voyager une bonne heure... En sortant, c'est un autre spectacle, non moins somptueux, qui nous attend... Les couleurs du crépuscule sur les vignes de Meursault, et la lune, haut dans le ciel, quasi-pleine et majestueuse.







Ce même soir, un de mes amis, au sortir d'un concert de jazz manouche- il est guitariste- m'informe qu'il sera en fin de semaine à Carry Le Rouet pour le festival de Boogie-Woogie ! Une piqûre de rappel, après le Beaune Blues Boogie et Kaiserslautern... Pourquoi pas ?
Un appareil photo, deux robes d'été, un maillot de bain et un tube de crème solaire dans la valise plus tard, me voici dans le sud... sous le déluge. Dans ma précipitation (c'est le cas de le dire, les pluies sont torrentielles !) j'ai oublié de jeter un œil à la météo, tellement sûre que dans le sud, à cette époque, il ne peut y avoir que du soleil !
Les nuages n'entament pas la bonne humeur contagieuse des musiciens et je retrouve avec grand plaisir Jean-Pierre, Nicolas et Richard.

 Selon un rituel qui m'est désormais familier et que j'ai la chance de partager avec une équipe de joyeux drilles, tout le monde se retrouve autour d'un repas après la balance et avant le concert. Richard prend les commandes et inscrit sur une feuille le programme de la soirée... Qui sera sur scène et quand. Et c'est à peu près tout. Que vont-ils jouer ? Quelle question ! Ils ne peuvent pas répondre ! Cela dépendra de l'énergie du moment. Il y a autour de la table un contrebassiste, Olivier, un batteur, Zef, des pianistes, JP mais aussi Richard et son ami Clemens, Daniel aussi, Nico et sa guitare bien sûr, sans oublier Christian avec son saxophone soprano. Ils ont pour la plupart l'habitude de se retrouver au fil des festivals toute l'année et de jouer ensemble.
Je ne suis pas la seule fille de l'assemblée. L'adjointe à la culture de Carry le Rouet est là... Et je retrouve Véronique (bénévole du BBB et sophrologue à Beaune) qui accompagne Christian ! Il y a comme une atmosphère familiale. A Kaiserslautern, j'entendais majoritairement parler allemand et ne pouvais qu'observer les postures, les rires et les visages. Là, je suis pleinement immergée. Les autrichiens parlent très bien français, sauf peut-être Daniel et sa femme, qui doivent souffrir un peu...
Les conversations sont légères et sans chichi mais avec une vraie profondeur. Il y beaucoup de rires. L'heure du concert arrive. Artistes et spectateurs se séparent.  La scène est installée sur une esplanade face au port. les musiciens se l'approprient et le boogie fait sa magie. Bientôt des couples envahissent l'espace laissé libre au pied du podium. J'en remarque un en particulier... Cheveux blancs et belle allure, l'homme, un moustachu rieur, conduit sa cavalière, crinière bouclée poivre et sel avec une grande élégance. Se dégage de ces deux personnes un plaisir non dissimulé, celui de ne faire qu'un dans la danse, subtil accord des corps qui se meuvent en rythme. C'est très beau. Cela donne envie de croire en l'amour qui dure...


Le spectacle est partout.

Sur la scène, Max, un petit garçon de huit ans, entonne la chanson d'Eddie Mitchell "Pas de boogie-woogie" avec une décontraction et un sens inné du tempo. Richard annonce un morceau de Pinetop Smith, "Pinetop's Boogie". Le premier morceau enregistré serait "The Rocks" de George W.Thomas en 1923. Mais c'est Clarence "Pinetop" Smith qui est fit naître le mot "boogie-woogie" en enregistrant son morceau en 1928. Depuis ce moment, cette expression sert à désigner ce style de musique très caractéristique ! Les discrets contrebassiste, batteur et guitariste, pourtant indispensables, sont mis à l'honneur le temps d'un solo. J'aime cet instant ou l'artiste, seul avec son instrument, partage avec le public. Concentré sur les cordes, les percussions ou les touches, il bénéficie de toute la lumière, de toute l'attention, de la bienveillance de ses camarades qui ont suspendu leurs gestes pour que chacun, à tour de rôle, puisse exprimer son art, à la fois seul au monde et bien entouré. J'aime cet instant indéfinissable où, d'un regard imperceptible, d'un changement de rythme, d'une mesure qui s'achève, le groupe s'ébroue. A peine une respiration, un mouvement, et la mélodie reprend là où elle a été interrompue, dans une explosion de sons, de joie et d'applaudissements.

Ritchie Loidl

Clemens Vogler et Ritchie Loidl

Daniel Ecklbauer et Jean-Pierre Bertrand


La nuit est courte... Après le concert, tout le monde s'est retrouvé dans un bar et les instruments ont été ressortis pour prolonger la fête. De petits groupes se sont formés. Il fait frais. On discute. Ça joue encore. Puis on rentre dormir.

Samedi matin le ciel est gris... Qu'importe. Rien ne m'empêche d'aller faire mon yoga sur la plage. Mes cinq tibétains m'accompagnent partout. La plage de Carry le Rouet n'est pas à proprement parler une plage. C'est une langue de gravier mêlé de sable, coincée entre la sortie du port et la digue. Derrière, sur les hauteurs, la maison dans laquelle Fernandel s'était établi. Il ne reconnaitrait sans doute pas grand chose car on observe des aménagements modernes, tout a été restauré ou modifié. Après l'exercice, je griffonne quelques lignes sur mon carnet. La pluie s'invite et s'en est fini de l'épisode plage. La crème solaire n'a pas vu la lumière...

La journée s'étire. Après un déjeuner animé entre français, l'heure de la sieste est la bienvenue. Pagnol, où sont les cigales qui bercent normalement cet instant délicieux ?
Au réveil, un rayon de soleil traverse les persiennes et les insectes méridionaux ont repris leur chant.

Nico travaille sa guitare. Jean-Pierre se débat avec ses horaires de train. Richard s'active. Les prévisions météo évoquent une possibilité d'orage. On oublie le plein air pour ce soir. Le repli s'organise vers la salle de l'espace Fernandel, qui jouxte le casino.




Les coulisses. Rien ne me fascine plus qu'observer l'envers du décor. Cela ne donne que plus d'épaisseur au reste. Pendant que les employés municipaux s'agitent pour installer les chaises dans la salle, les musiciens, concentrés, procèdent aux réglages qu'on appelle "balance". On joue, on s'interpelle, on écoute. On effectue des modifications. On tourne un bouton comme ci, un bouton comme ça, on recommence. On teste les micros, on joue seul, à deux, ensemble... Un ballet !

On se retrouve tous pour le dîner... Puis l'heure vient à nouveau !

Rien ne se passe comme la veille. Le décor a changé, l'acoustique n'est plus du tout la même. La configuration de la salle permet aux spectateurs une plus grande proximité avec les artistes. Ils le perçoivent. L'énergie est intense. Clemens, Richard et Jean-Pierre sont au sommet de leur forme et multiplient les exploits.
Les compères autrichiens Clemens et Richard

Nicolas Peslier et Ritchie Loidl



 L'un fait un discours plein d'humour, l'autre joue du piano couché, le troisième saute, chante, danse et vole ! Tous se déchaînent pour le plus grand bonheur de l'assemblée, conquise. La reprise de "It's wonderful" de Paolo Conte est délirante. Christian improvise un "scat" qui s'il semble couler de source a dû demander des heures d'entraînement.

Christian Vaudecranne et Ritchie

Nicolas et Jean-Pierre

Pour terminer, les pianistes se regroupent autour d'un seul instrument et font le show grâce au tube des Blues Brothers... "Everybody needs somebody" !



Someone to love, sweetheart to miss, sugar to kiss, I need, you, you, you... I need you, you, you, when my soul's on fire !


Dimanche matin, le soleil est revenu sur le quai de la gare d'Aix en Provence... Chacun repart vers sa vie. La parenthèse se referme jusqu'au prochain rendez-vous...

A LaRoquebrou, du 11 au 14 août prochain, ça va swinguer ! Et danser... Save the date !
Si vous passez par là, arrêtez-vous ! Vous ne le regretterez pas !

Et n'oubliez pas : "Shake the life" !

lundi 25 juillet 2016

"Proust, c'est Marcel ou Kevin ?"...

  ..."Proust, il est tombé dans le domaine public. Maintenant, tout le monde a le droit d'écrire du Proust !"
Brèves de comptoir. Jean-Marie Gouriot.

Tout le monde a peut-être le droit... Mais ça ne suffit pas forcément !

Citation : "Il est rare qu'on se quitte bien car si on était bien on ne se quitterait pas."
A qui le dites-vous Marcel !




mardi 12 juillet 2016

Du vin, de l'art, du spectacle...

L'été a fini par gagner son cache-cache avec l'hiver... Les organisateurs de Sons d'une Nuits d'été peuvent envisager leur festival sous les meilleurs hospices ! Quelle trouvaille que ce nom... Il élargit le "chant" des possibles...une porte ouverte à l'imagination...
Est-il quelque chose de plus doux que les sonorités qui jaillissent au crépuscule ? Shakespeare n'oserait pas me contredire en disant que ce n'est pas beaucoup de bruit pour rien !
Les responsables de la maison Bichot ne s'y sont pas trompés, en mettant gracieusement à disposition de l'événement le château et la cour du Clos Frantin, cadre féerique.

Ce soir, mardi 5 juillet 2016, c'est l'ouverture de la douzième édition du  festival. En marge du cocktail officiel,  Albéric Bichot et son acolyte Michel Crestanello, secondés par Isabelle Philippe, ont imaginé un programme haut en couleur  à l'attention de leurs clients locaux. On s'éloigne du centre et on grimpe à flan de coteau. Il faut marcher à travers les rangs de vigne. Fouler un sol caillouteux, de ceux qui donnent à la vigne de quoi produire un raisin admirable puis un vin unique. Parvenir jusqu'à la terrasse du Château Gris.


 Il domine la Côte de Nuits et offre une perspective infinie. Ou presque... D'ici, certains jours, on peut voir le Mont Blanc. Les invités, partenaires d'entreprises, hôteliers, restaurateurs, arrivent par grappes... Michel officie en maître de cérémonie et la dégustation peut commencer. Trois rouges... dont un pinot noir  d'excellence mystérieusement nommé "secrets de famille"... dans lequel se révèle toute la philosophie de la maison... Sorte de transmission ancestrale du respect de la terre et de ce qu'elle produit.

Michel et Albéric

 Les langues se délient, les groupes se font et se défont, des conversations s'engagent, s'interrompent, se poursuivent tandis que le soleil décline lentement. On poursuit avec trois blancs (blanc sur rouge : rien ne bouge !) et on termine par un Crémant.


  L'horizon prend des couleurs rosées.


 L'heure tourne et en bas, dans la cour du Clos Frantin, le public attend Christelle Chollet. Il faut redescendre. Sur le chemin, mon œil est attiré par le fruit naissant. Si l'on n'y prête pas attention, il se confond avec les feuilles de la vigne. Il est la promesse fragile de la vendange future.

 Arrivés en bas, il fait nuit. Nous rejoignons nos places... La scène s'éclaire et voilà la jeune femme. Une blonde pétillante et énergique. Ses longs cheveux bouclés retenus en une queue de cheval faussement négligée sont comme une crinière indomptable. Coiffée d'un haut de forme noir, elle fait parfaitement illusion en Liza Minelli. New York à Nuits Saint Georges. Dans le spectacle alternent chant et sketches...
"Nous les filles on stocke de l'eau comme les chameaux, sauf que l'eau nous on la stocke dans les cuisses. Du coup j'ai arrêté de boire de l'eau. Quitte à stocker autant stocker du rouge !".
Puis sa voix s'élève puissante, accompagnée par ses musiciens déguisés en Batman et Captain America. La coupure "pub" projette les spectateurs de plus de 40 ans dans leur enfance ou leur jeunesse avec les airs rebattus de "Hollywood Chewing Gum" (petite, j'entendais : "oh les bouts d'chewing gum") ou ceux, tombés en désuétude comme "Dis donne-nous un peu de ton fromage... Dis donne-nous en un peu... Belle des Champs !"


Puis l'artiste repart de plus belle. Interpelle le public : "Qui veut vivre une histoire d'amour avec moi ? -j'en vois qui sont dégoûtés d'être venus avec leur femme !"
Elle joue avec son décor. Habile.
"Si un homme politique était un artiste ce serait quoi ? Un homme-orchestre. Ils jouent tous les deux du pipeau, du violon et ils tapent dans la caisse."
Quand elle danse, des silhouettes à la manière de La Linea accompagnent ses mouvements sur grand écran. Synchronisation parfaite. Une vraie voix, un sens du spectacle aiguisé, une belle scénographie, du rythme, des rires, des émotions, des vérités joliment énoncées... Du Madonna dans la bouche de Piaf et Carmen qui s'invite chez Mylène Farmer. Chapeau l'artiste. 


Et pour profiter pleinement de ce moment, il ne reste qu'à lever la tête vers le firmament. Les feux de la Rampe, étonnamment, n'altèrent pas le spectacle de la nuit étoilée. Envoûtant... 


La folie des années 80 !


Autant dire que j'avais eu vent de cet événement sans pour autant m'y intéresser. Si j'ai écouté leurs tubes sur les ondes et dansé sur ces airs incontournables de mon adolescence, je n'avais pas franchement prévu d'assister, trente ans après, à un concert de Cookie Dingler, Emile et Images et consorts... Je ne l'aurais déjà pas fait à l'époque ! Oups, j'ai bien l'impression de parler d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître...
Bref. Sauf que Marie-Claude (ma patronne, pas ma maman !) a-en tant que partenaire de la manifestation-une invitation dont elle me fait profiter. Quelques unes de mes amies et consœurs me disent qu'elle sont de la fête. Je me laisse convaincre. Ce sera une expérience !
Un vendredi soir de mai, un flux important de spectateurs converge vers le Palais des Congrès de Beaune. J'observe les êtres humains qui m'entourent, un peu étourdie déjà par la foule. Il y a des spécimens de toutes les formes, de toutes les tailles, des faciès inconnus, voire incongrus, et des visages familiers. Toutes les couches de la société beaunoise sont représentées et réunies. Je croise la nourrice d'un de mes enfants avec son mari et des amis. Je salue un de mes prescripteurs. Je retrouve une amie du théâtre venue avec sa maman et son frère. Il y a aussi une complice du Beaune Blues Boogie... Bref, chaque fois que je tourne la tête, il y a un bout de mon histoire en Bourgogne (commencée quand les années 80 ont tiré leur révérence !).
Dans la salle il fait chaud. Je m'enfonce dans la foule pour rejoindre les copines. Je suis affreusement circonspecte. Tout le monde est debout, il n'y a pas de sièges. Je regrette déjà les couches de vêtements que j'ai superposées sur mon tee-shirt en ce mois de mai frisquet. J'ôte le maximum de ce que je peux ôter pour éviter l'évanouissement qui guette. Je maudis mes bottines.  

Après les discours d'introduction (le spectacle est joué en faveur d'une association), les "vieilles" vedettes montent sur scène avec un bel enthousiasme. Des noms, depuis longtemps relégués dans un coin oublié de la mémoire, refont surface. Comme Jean-Pierre Mader ! Et avec eux les mélodies de notre adolescence à l'époque des radios libres... "Au Macumba" !
Les tubes se succèdent, empruntés parfois à Etienne Daho ou Serge Gainsbourg. La caissière du Carrefour, derrière moi, arbore fièrement une perruque à paillettes.
"Quel ange nous veille... Le monde est bleu comme toi... J'avoue j'en ai bavé pas vous... Avant d'avoir eu vent de vous..."
Et puis résonne le fameux : "Ne la laisse pas tomber, elle est si fragile, être une femme libérée tu sais c'est pas si facile !" qui entraîne la foule dans un chant collectif et cadencé !
L'entr'acte arrive et on n'a plus envie de s'en aller. L'instant de claustrophobie s'en est allé et avec lui la peur du ridicule. On s'amuse franchement et on repart pour un tour avec Emile et Images. Je suis impressionnée, chanson après chanson, par la quantité de tubes que ce groupe a produits. On se déhanche... "Dans nos corps à corps". Une bande de kinés se déchaîne sur le dance floor. "Ohé, ohé Capitaine abandonné..."
Les fans sortent soudain leurs portables ! Que se passe-t-il ? Il veulent filmer "Les démons de minuit", un peu en avance sur l'horaire...
"Ils m'entraînent au bout de la nuit..."
Un autre air l'emporte :" Ville de  lumière, qu'ont-ils fait de toi ?"
"Ne plus pleurer, rester là, à se demander pourquoi, n'exister que pour toi t'aimer jusqu'au dernier combat"...
On chante à tue-tête. Il n'y en a pas un pour racheter l'autre. Nous sommes tous, tout à coup, de grands enfants de quatorze ans... C'est très amusant, gentiment régressif, avec un petit côté : "Je me sens si fragile, le cœur en exil !"
Cette soirée a le goût de "rythmes qui t'entraînent jusqu'au bout de la nuit" et "réveille en toi un tourbillon de folie !"


Je décline toute responsabilité si la lecture de cet article vous met pour la journée un air dans la tête...

samedi 9 avril 2016

Angelina Jolie et les autres #6

Mon voyage à Paris m'a assommée et j'ai laissé tomber mes recherches pour terminer mes cartons. Les enfants et moi avons trouvé un point de chute, leur père me cédant sa place dans le grand appartement qu'il occupe pour éviter d'aller s'entasser dans 80m2 quand lui vit seul dans 250.
Vient le jour de la deuxième rencontre avec le chirurgien du centre Leclerc. Avant la consultation, j'ai des rendez-vous pour le fameux bilan d'extension, dont le nom, évocateur, indique qu'on va m'inspecter sous toutes les coutures pour voir si par hasard le crabe ne serait pas allé se nicher ailleurs. J'accepte la radiographie des poumons et l'échographie pelvienne. Je suis en revanche très partagée pour la scintigraphie osseuse. D'un côté on me dit : "C'est un petit cancer pas agressif" et de l'autre on aligne les examens. Passons. Nous sommes le 1er août. Après un intense travail et l'aide précieuse de mes amis pendant que monsieur faisait du "business" en Grèce, la maison a été vidée, nettoyée et vendue. On est passés chez le notaire la veille. Je passe sur les péripéties de la signature et les problèmes de levée d'hypothèque...
Je suis éreintée. De plus, sans doute très affectée par tous ces événements, j'ai eu deux cycles en l'espace de 28 jours, moi qui suis réglée comme du papier à musique d'ordinaire. Je suis donc à fleur de peau. On le serait à moins, je pense. Échographie. La dame qui m'accompagne et m'installe en salle d'examen allume la mèche en m'intimant sèchement d'ôter mon slip. Je regarde mes délicats dessous, couleur taupe. J'ai envie de pleurer. Heureusement, la radiologue vient à mon secours : "Oh ! Mais ce n'est pas un slip voyons... C'est une jolie culotte en dentelle !". Elle sourit, bienveillante. Ma peine est adoucie l'espace d'un instant. C'est l'interne qui pratique l'examen. Elle se débat, ne parvenant pas à distinguer l'ovaire gauche du droit. Il y a un truc pas normal. C'est évident, avec deux ovulations au lieu d'une, il y a eu surchauffe en juillet ! Personne ne m'écoute. Après avoir baladé la sonde à l'extérieur, m'écrasant la vessie pleine, l'interne change de stratégie. Délestée de mes deux litres d'urine, je me rallonge sur la table de torture pour subir l'épreuve suivante. Tout sauf une partie de plaisir, comme si mon corps refusait de laisser entrer cet étrange engin. Le médecin est appelé et là, branlebas de combat, ça y est , le feu est aux poudres. Explosion : kyste "suspect dans le contexte". On appelle à la hâte le chirurgien. J'ai beau demander à plusieurs reprises qu'on m'explique (je sais très bien faire la débile parfois !) ce que veulent dire les mots : "suspect dans le contexte", c'est l'affolement général. Je vois le mot cancer des ovaires écrit dans les yeux de tous les protagonistes.
J'ai juste envie d'être vulgaire et de leur dire : "Les gars, pétez un coup, détendez-vous et écoutez-moi. Ok, je suis porteuse d'un BRCA2- si vous voulez faire peur à un médecin, dites-lui cette formule pas magique, l'effet de panique est garanti !- mais toutes les femmes porteuses de cette mutation ne développent pas un cancer des ovaires ? Si ? Vos statistiques, elles sont où, là ? Maintenant vous allez m'écouter : je viens d'apprendre que j'ai un cancer du sein et vous êtes incapables de me proposer une prise en charge thérapeutique cohérente. Je suis passée devant un juge pour divorcer, un arrangement de pacotille, monté de toute pièce, j'ai vidé ma grande maison quasi seule, dû supporter les envies de ménage à trois d'un mari qui veut vivre sa vie sans quitter la mienne. Tout ça en gardant le sourire et en cherchant un chirurgien qui accepte de me faire une reconstruction immédiate car c'est impensable pour moi de me réveiller avec rien à la place du sein. J'ai encaissé tout ça entre le 17 juin et aujourd'hui. Et j'en passe. Putain mais vous êtes incapables de comprendre ça ? Cela fait une demi-heure que je m'époumone à vous dire que j'ai eu deux fois mes règles dans le mois. Deux fois !!! Et ça, ça ne justifie pas ce putain de kyste ??? Un simple kyste fonctionnel ?"

Alors je sais qu'ils voient des jeunes femmes mourir tous les jours. Je sais qu'ils veulent sauver des vies. Je sais qu'ils ne veulent pas passer à côté d'un signal d'alerte pour ne pas s'en mordre les doigts plus tard. Je sais qu'il n'y a pas de bonne ou mauvaise solution. Il y a des circonstances. Mais à ce moment-là, je suis dans une telle détresse, une telle impuissance, un tel épuisement physique et moral... Je me raccroche à ce que je peux. Et là, il s'agit de la volonté de maîtriser ce qui est fait de mon corps, en écoutant et mon intuition et la raison. Exercice périlleux. Je ne tiens qu'à ça. Je ne veux pas leur livrer mon corps en pâture au nom du principe de précaution. Je veux faire les choses de telle façon que je puisse continuer à vivre. Et pas seulement survivre. Comment leur dire que je sais tout des cicatrices qu'ils me décrivent comme un remède ? Comment leur dire que je sais tout des désillusions de leurs fausses promesses de reconstruction mammaire ? Comment leur dire ?
Allez voir un psy ! Combien de fois ai-je entendu cela ? Ce n'est pas moi qui ai besoin de cela... C'est vous, les soignants, qui devez apprendre à composer avec la personnalité des femmes qui sont en face de vous. Et les femmes, comme moi, qui ont vu leur mère ballotée d'hôpital en clinique, de chimio en rayons, d'opérations en rendez-vous divers et qui, aujourd'hui, ne sont pas orphelines, combien y en a t-il ? Des femmes comme moi qui ont vu leur petite sœur se battre, subir, encaisser, remonter la pente, accepter, raconter, souffrir, espérer... Savent-ils seulement écouter ? Car je ne leur demande pas de me comprendre (est-ce que je me comprends moi-même ?), seulement d'écouter mon questionnement et de chercher avec moi des réponses thérapeutiques qui ne relèvent pas de la prise en charge psychologique mais bien d'un protocole de soins personnalisé au regard de ce que les connaissances en médecine et l'expérience peuvent apporter...

C'est le début d'un mois d'août ubuesque. Je repousse le rendez-vous de la scintigraphie osseuse que je ne ferai de toute façon pas. Je discute longuement avec le chirurgien qui veut bien chercher des solutions avec moi. J'obtiens que mon dossier passe en RCP, c'est à dire une réunion de concertation pluri-disciplinaire. Je prends rendez-vous avec la psychologue du centre. Là, j'hallucine. Pour se rendre au bureau de consultation, il faut traverser le service de chimiothérapie. De chaque côté du couloir, des boxes, avec des gens en plus ou moins bon état, branchés à leur perfusion. Cerise sur le gâteau, j'apprends que la psychologue, n'étant pas médecin, n'a pas le droit de participer à la RCP. J'ai l'impression de marcher sur la tête. Lors d'un rendez-vous suivant, à peine suis-je installée dans le bureau du chirurgien que ce dernier, s'adressant à mon fils aîné pas encore majeur qui a voulu m'accompagner ce jour-là, assène : "Il faut que vous fassiez la prise de sang pour voir si vous êtes porteur de la mutation génétique car les hommes sont touchés aussi. Ils ont des risques accrus de cancer du sein aussi et de cancer de la prostate !"
Je sors de mes gonds. C'en est trop !
-Vous plaisantez j'espère ? Vous savez quel âge il a ? Il ne peut de toute façon pas prendre une décision maintenant. Votre façon de faire, à chercher la petite bête systématiquement, confine au harcèlement. Mais c'est quoi votre problème ? Vous passez votre temps à me mettre la pression et vous cherchez à la mettre à mes enfants, c'est insupportable. Qu'on soit conscient des risques d'accord, mais vous exagérez !
Et là, j'entends, ébahie, la réponse du monsieur :
-C'est vrai qu'à force de chercher constamment quelque chose, on finit par rendre les gens malades.
Je scrute son visage mais il n'y a pas la moindre trace de second degré !

Lors de ces rendez-vous d'août, il a été question de faire de la chimiothérapie avant la chirurgie, ou bien, non, plutôt une hormonothérapie, enfin... La partie de ping pong entre le chirurgien, l'oncologue et moi me semble surréaliste... A chacun de leurs arguments, je tente de questionner pour évaluer les conséquences, et chaque fois, il y a un hic. Parallèlement, le chirurgien m'a flanqué une telle trouille pour les ovaires que je décide de l'ablation, le 20 août. Certes, j'ai ma petite idée derrière la tête...

Le jour J, ce sont mes beaux-parents, dévoués, qui m'accompagnent. Le mari est parti à Dubaï... Je passe sur les détails de son voyage et de ce que je découvrirai bien plus tard. Beaux-parents dévoués. Il n'y a que cela à retenir. Durant toute cette période, ils ont été près de moi, dans un silence réprobateur à l'égard du comportement de leur fils, tentant, du mieux qu'ils pouvaient, d'être humains avec cette belle-fille qui ne parvenait pas à sortir du cercle vicieux dans lequel la maintenait leur enfant. Et je resterai infiniment reconnaissante de cela. Ils ont mis beaucoup de douceur dans ma souffrance. Leur présence et leur soutien ont été un profond réconfort. A l'hôpital, on m'indique ma chambre. Je rencontre une nouvelle fois mon chirurgien. L'intervention doit avoir lieu le lendemain. Il me demande comment j'ai cheminé au sujet du sein depuis notre dernière rencontre. Il y a une chose que j'ai besoin de vérifier :
-En fait, si je fais un traitement au tamoxifène*, quoiqu'il en soit, ensuite, lors de l'intervention chirurgicale, vous enlevez la chaîne ganglionnaire... C'est bien ça ? Alors que si l'on fait une chirurgie primaire, il n'y aura que prélèvement du ganglion sentinelle et si ce dernier est sain, on ne touche pas à la chaîne ganglionnaire. J'ai bien compris ?
-Oui, c'est exactement ça...
-Alors pourquoi me proposer ce traitement au tamoxifène en première intention, pour ensuite procéder à une mastectomie-puisque vous avez dit vous-même que la tumeur était trop grosse par rapport à mon sein, pour permettre un résultat esthétique correct et que la mastectomie était la seule solution- avec en plus l'obligation d'enlever une chaîne ganglionnaire qui est peut-être saine ?
Encore une fois, je réagis comme la petite fille de maman. Maman qui a un bras énorme et douloureux, gonflé de lymphe depuis des années. Le chirurgien me présente cette phase de l'intervention comme anodine. Or, si les effets sont bien mieux pris en charge maintenant qu'il y a quarante ans, on ne peut ignorer ou minimiser les conséquences d'un tel acte. Je bous. Encore et toujours.
Nous voilà à la question du jour. Les ovaires. Je sais que lors d'une ovariectomie, le protocole (toujours lui !) veut qu'avant l'intervention soit pratiquée une échographie, c'est obligatoire. Les médecins, début août, n'ont pas accédé à ma demande de procéder à une échographie de contrôle un peu plus tard pour vérifier si le kyste observé pouvait être fonctionnel. J'obtiens donc satisfaction par ce biais-là.
-Je vais aller faire l'écho pelvienne ?
-Oui.
-Ce serait possible de faire une écho mammaire aussi ?
-Quelle drôle d'idée ! Pourquoi donc ?
-Euh... Ben quand même, pour voir si le cancer n'a pas trop évolué depuis la mi-juin !
-Si ça peut vous rassurer, pourquoi pas !
Je souris... Me rassurer ?
Mes beaux-parents m'attendent dans la chambre. Nous décidons d'aller nous installer au bout du couloir, dans un salon assez confortable et qui, dieu merci, ressemble plus à un lobby d'hôtel qu'à un hôpital. La pièce est baignée de soleil. Nous devisons et lisons les magazines pour tromper l'attente. Une infirmière surgit soudain, qui nous cherchait partout. Elle n'est pas fâchée, me conduit dans la chambre où m'attend l'anesthésiste. Elle plaisante en disant gentiment qu'elle reviendra plus tard pour me préparer pour l'opération demain. Me raser ? Le médecin anesthésiste est physiquement repoussant. Ce n'est évidemment pas celui que j'ai rencontré à la consultation préalable. Il me regarde à peine, le nez dans ses papiers. Il marmonne des réponses incompréhensibles à mes questions puis, lassé, prend congé en disant un peu agacé :
-Oh, mais c'est bon, laissez-moi faire mon boulot... Contentez-vous de guérir après.
Oups... J'ai des envies de meurtre. Autant dire que j'arrive remontée à bloc au sous-sol, où l'on m'a enfin appelée pour les échos. Là, je retrouve le même médecin que début août. Elle est détendue et à l'écoute, contrairement à la première fois. L'examen est absolument normal. Nous discutons longuement. Je lui fais part de mes doutes à l'égard du chirurgien et du processus thérapeutique flou qui m'est proposé. Je lui indique que je ne vois pas l'intérêt d’intervenir sur les ovaires en urgence. Elle acquiesce. Nous changeons de salle et de matériel pour l'écho mammaire. Là, elle constate sans grande surprise qu'il y a sans doute une propagation dans le sein, de tous petits foyers autour du premier. Je pense que j'ai fait le deuil de mon sein car cela ne m'inquiète pas outre mesure. Je me dis seulement qu'il faut agir vite. Et que l'on n'en serait probablement pas là si l'on s'était dispensé de la biopsie. Notre échange à bâtons rompus se poursuit et la femme prend le dessus sur le médecin. Elle parle de son ressenti, de la façon dont elle pense qu'elle réagirait si cela lui arrivait. Je lui confie que j'ai l'intention d'aller me faire soigner ailleurs. A l'institut Curie sans doute. "C'est ce que je ferais si j'étais à votre place". Cette phrase achève de me convaincre.

Mes beaux-parents sont toujours dans la chambre et m'attendent. Je m'installe en tailleur sur le lit et leur fais part de ma détermination. Le chirurgien arrive alors dans la pièce avec son air vainqueur, se postant au bout du lit, les mains sur le rebord :
-Alors, qu'est ce qu'on fait ?
-Alors je rentre chez moi.
Le praticien voit rouge et ne peut le masquer. Il était dans les starting block avec le bistouri, prêt à tout enlever le lendemain matin. Il manque de s'étouffer...
-Quoi ? Vous voulez rentrer chez vous avec votre cancer ?
Sa voix tonne. Assise en tailleur sur mon lit je suis obligée de lever la tête vers lui. Il me domine. Je tâche de ne pas me laisser impressionner. Cependant, je n'ai pas la présence d'esprit de faire un trait d'humour en lui demandant si c'est possible de repartir en laissant sur place le cancer en question. J'affirme juste d'une voix ferme :
-Oui, je rentre chez moi avec mes ovaires et mon cancer et je vais aller me faire soigner ailleurs. Ma sœur est suivie à l'institut Curie, j'irai là-bas.
-Eh bien allez-y donc ! Moi des seins, j'en fais mille par an, alors un de plus un de moins !
-Ben moi, je suis une personne et des seins j'en ai que deux, voyez-vous, et j'entends qu'ils soient traités de la meilleure façon qui soit !
-De toute façon à Curie, je les connais très bien, j'étais leur élève. Le docteur H et le professeur P... Mais à cette période de l'année vous ne pourrez jamais les avoir, vous serez opérée par je ne sais qui, c'est comme vous voulez !
Il déverse encore un peu sa haine et sa soif de reconnaissance, furieux de ma réaction, puis, voyant que je ne me démonte pas, il capitule et quitte les lieux en grommelant.





*tamoxifène : hormonothérapie destinée à combattre la prolifération des cellules cancéreuses dans un cancer hormono-dépendant. La molécule bloque l'absorption par la glande mammaire de l’œstrogène qui "nourrit" la tumeur. Si le traitement est pris avant la chirurgie, l'analyse du ganglion sentinelle peut donner un faux-négatif. Pour ne pas prendre de risque, la chaine ganglionnaire est donc enlevée systématiquement.

dimanche 3 avril 2016

Festival du film policier. Jour 4.



Samedi est une journée intense. Le centre ville de Beaune est animé. Les gens se promènent sur le marché. Rue Maufoux, la porte de la "Maison de Maurice" est ouverte. Un pianiste joue "chabadabada" et on se croirait dans un film de Lelouch.
Place Carnot, la foule se presse pour admirer des véhicules de police d’ici et d’ailleurs, d’aujourd’hui et d’autrefois. Outre un impressionnant Hummer et une légendaire Ford Mustang, sont exposés de vieux modèles de la police française, couleur pie, présentés par une association dont la plupart des membres sont d’anciens policiers passionnés. Les enfants ont le droit de s’installer au volant et d’actionner la sirène, grâce à un petit bouton rouge placé sous le tableau de bord.  
Les voitures de police étaient essentiellement des Renault (entreprise nationalisée). Celle-ci date de 1957.
 A la librairie "Des livres et des hommes", l'éclectique François-Henri Soulié signe dans la bonne humeur son ouvrage "Il n'y a pas de passé simple". La conversation s'engage avec un couple de clients qui se chamaillent gentiment. Quand la dame demande où habite l'auteur et qu'il répond "Montauban", le monsieur, taquin, commente : "On ne devrait jamais quitter Montauban". Remarque qui fait bien évidemment sourire les inconditionnels des "Tontons flingueurs" que nous sommes.
En fin de matinée, c’est la projection de « Diamant noir », un film français d’Arthur Harari. Les différents jurés se répartissent ensuite en plusieurs lieux pour un déjeuner de délibération. Sandrine Bonnaire (Jury long métrage) entraîne sa troupe au Cep, tandis que Serge Moati (Jury Sang Neuf) investit le Jardin des Remparts avec ses acolytes. Danielle Thiéry (Jury Police) et ses pointures s’installent à l’Hôtel de La Poste. Le discret jury des critiques doit également décerner un prix. Pour faire leur choix, les journalistes se réunissent au Piq’bœuf. Pendant ce temps, la foule se presse aux abords du Cap Cinéma. La leçon de cinéma de Brian de Palma commence en milieu d’après-midi. Jean-François Rauger, directeur de programmation de la Cinémathèque française, interroge Brian de Palma et soumet des extraits de films (Pulsions, L’impasse, Passion). Il est question de l’importance des musiques et de la technique du split screen (ou écran divisé, qui permet de montrer plusieurs images en même temps). Entre points précis de biographie et anecdotes savoureuses, une heure et demie se passe.
Masterclass. Brian de Palma avec le maître de cérémonie, traducteur.

Enfin, voilà le moment du dernier tapis rouge. Après la remise des prix littéraires et l’intervention de Dominique Manotti, récompensée pour son livre « Or Noir », le Palmarès de la Huitième édition du Festival du Film Policier de Beaune est dévoilé. Serge Moati attribue le Prix Sang Neuf au film « Les Ardennes », du flamand Robin Pront. Philippe Rouyer représente le jury des critiques, unanimes pour décerner le prix au film coréen « Man on High Heels ». Danielle Thiéry fait ensuite un discours très remarqué. Avec humour, elle tisse un lien entre l’événement culturel de l’industrie cinématographique et la région, soulignant « l’accueil formidable des producteurs de vin et de films qui savent faire partager leur passion chacun dans leur domaine. » Un petit coup d’œil à l’assemblée et elle répète : « leur domaine » ! Les rires fusent. Elle énonce ensuite le verdict de son jury. « Fritz Bauer, un héros allemand », revient sur un épisode sombre de l’histoire et c’est ce film qui a rencontré l’adhésion des policiers. Sandrine Bonnaire monte ensuite sur scène. Elle évoque en premier lieu le prix du Jury pour lequel le directeur du festival a validé la possibilité d’une égalité. Sans surprise donc, le public apprend que « Diamant Noir », et « Desierto » (Jonas Cuaron) sont tous deux primés. Enfin, le film « Man on High Heels » est à nouveau récompensé, cette fois par le Grand Prix 2016. Le producteur, ému, rappelle les difficultés pour distribuer un tel film et espère que ce trophée facilitera les choses.
Après une dernière projection, le cocktail du Palmarès se tient aux Ateliers du Cinéma de Claude Lelouch, très présent au cours de cette huitième édition. Huitième édition comme le symbole de l’infini qu’évoquait Alain Suguenot dans son discours d’ouverture, en souhaitant que la manifestation se pérennise. Huit, comme les merveilles du monde. « Je sais, a précisé Danièle Thiéry, il n’y en a que sept… Mais on en a tous une huitième quelque part ». Du grand art.

Le jury Long Métrage au complet avec le lauréat du Grand Prix.


Sandrine Bonnaire lumineuse en interview