lundi 1 avril 2024

Ce parfum rouge

 


1934. Nine, jeune femme un peu effacée, est ingénieur chimiste à Suresnes, dans le laboratoire de François Coty, fondateur de l’industrie moderne de la parfumerie. Descendante d’une lignée de parfumeurs français installés en Russie, elle a fui la révolution bolchévique avec sa mère et son frère après avoir assisté à l’arrestation brutale et la disparition de son père. Sélectionnée pour le concours des jeunes parfumeurs de la Foire internationale de Lyon, elle oscille entre fierté d’avoir été choisie et appréhension : sera-t-elle digne de l’héritage paternel ? Lorsqu’un incendie détruit ses échantillons et alors qu’elle n’a pas consigné les procédés au coffre-fort, elle doit aller chercher de nouveaux arômes chez Léon Givaudan, fournisseur. Leur rendez-vous les lie instantanément dans un sentiment filial qui ne se démentira pas. L’entreprise de Coty en difficulté, Nine est licenciée. Elle n’a pas gagné le concours mais elle a été repérée et son avenir est prometteur. Givaudan la recrute et l’envoie dans la capitale des Gaules. Là, elle rencontre Pierre Rieux. Commissionnaire en parfums, issu des classes populaires, ambitieux, il fraye avec le pouvoir de Moscou. Malgré leurs différences, ils sont attirés l’un par l’autre. Lorsqu’une délégation soviétique vient avec Pierre visiter l’usine où elle travaille, Nine est déstabilisée. Dans le sillage de Polina Molotova, personnalité haut-placée dans la hiérarchie, une fragrance unique. Nine la reconnaitrait entre mille, c’est le parfum inventé pour elle par son père et dont lui seul détient la formule.

Mettre le nez dans Ce parfum rouge, c’est ne plus en sortir jusqu’à la dernière page, s’enivrer des effluves de jasmin, musc et autre mousse de chêne. C’est toucher du doigt le bouillonnement de l’entre-deux guerres, ses hoquets et ses débordements. C’est se promener dans Lyon un soir de fête des lumières. C’est entrer dans un monde où enjeux économiques et politiques se discutent autour d’un alcool fort et dans la fumée des cigares. C’est porter le poids d’un exil, s’accommoder de l’odeur des abandons et des renoncements. C’est percevoir les émanations du désir, des secrets, des espoirs et du souvenir. C’est affronter les relents de peur, de haine et de trahison… La petite et la grande histoire s’enlacent sous la plume sensible de Theresa Révay. Cette dernière excelle dans l’art de raviver les senteurs d’un univers passé et oublié. Elle ressuscite des personnages ayant existé et notamment, de façon touchante, deux de ses aïeux. La fiction vient accentuer la dimension déjà hautement romanesque du sujet. Émotions fortes et tensions politiques imprègnent les relations entre les protagonistes ; intrigues et rebondissements donnent un rythme haletant à la lecture. La mémoire olfactive est l’une des plus puissantes. Une simple exhalaison nous fait voyager dans les replis du souvenir. Ce livre nous le raconte, l’Amour a un parfum. Respirez !


Ce parfum rouge. Theresa Révay. Éditions Stock. 21,90 €.