mardi 10 octobre 2017

Livres en Vignes 2017 : Dix ans !





Livres en Vignes a duré quasiment toute l’année pour moi. Peu après la neuvième édition en effet, un comité de soutien, dont je fais partie, se réunissait. L’idée ? Mutualiser les forces pour contribuer à faire de la dixième édition une fête aussi extraordinaire que les précédentes.
Pendant des mois, de discussions en brainstorming, les choses avancent doucement et début juin, je me jette dans l’aventure Instagram pour Livres en Vignes. Il y a tant à faire. J’ai l’impression d’être une goutte d’eau dans l’océan… Mais je fais mon petit bonhomme de chemin et l’échéance approche. En élève consciencieuse et passionnée, je relaye les informations dans l’Echosdcom et je suis très contente que mes « dix commandements » donnent envie aux lecteurs de se déplacer jusqu’à Vougeot.


Les vendanges, moment d’intense activité, sont l’occasion pour mes amis viticulteurs de retrouver le sourire. La récolte, abondante après quelques années difficiles, est terminée. On travaille désormais en cuverie. La météo nous joue des tours et l’été indien que l’on aime tant semble s’être fait la malle. Les yeux rivés sur l’application de mon smartphone, je respire ! Le soleil revient pour le grand week-end.

C’est la musique de Lalaland qui m’accompagne cette année sur la Route des Vins. Quand j’arrive, un peu en retard, à l‘inauguration, au Château du Clos de Vougeot, je retrouve des têtes connues. Les discours ont déjà commencé et les prix sont en cours de distribution.



Luc Ferry, Albéric Bichot, Bernard Lecomte. Photo MC.


Une partie de l’assemblée attend le traditionnel rendez-vous dans les Caves Saint-Nicolas de la maison Albert-Bichot à Beaune, où Albéric reçoit une petite centaine de personnes. Le sourire du maître de maison et la chaleur de l’accueil ne se démentent pas. Les fumeurs s’éternisent sur le trottoir mais la plupart des hôtes s’engouffrent bien vite dans l’escalier. Guidés par des bougies au sol, ils suivent un long couloir bordé de tonneaux avant de déboucher dans une cave spacieuse, où Albéric prend la parole avant que chacun gagne sa place à table.


Anna-Marina, ma charmante et talentueuse belle-sœur, chef de la Comédie des mets, a concocté un menu qui met l’eau à la bouche. Nul besoin de faire les présentations, la bonne humeur se répand comme une traînée de poudre. Le brouhaha des conversations et les rires s’intensifient. Les ravioles de foie gras et le suprême de volaille magnifient un Savigny-Les-Beaune 1er Cru « Les Peuillets » 2013 et le Morey Saint-Denis 1er Cru « Les sorbets » 2011. Autour de moi les vieux complices Neuhoff, Coulomb des Arts et Guillon se comprennent d’un simple regard. La lumineuse Aïda fait chanter son délicieux accent roumain. Brunor le malicieux réussit à nous faire parler philosophie grâce à ses bandes dessinées. Il y a aussi Anne, Françoise et les autres…


 La tarte au chocolat et son petit macaron à la vanille de l’île Maurice avalés, tout le monde sait qu’il ne faut pas tarder à regagner les hôtels. La journée du samedi sera longue et les agapes ne font que commencer. Albéric, comme à son habitude, ne résiste pas au plaisir d'ouvrir une vieille bouteille pour quelques convives qui s’attardent. Luc Ferry se souviendra donc longtemps du Chambolle-Musigny premier cru 1971 servi par le maître des lieux.



Le réveil est rude samedi matin et la pendule avance trop vite pour moi. Malgré tous mes efforts, je ne serai pas à temps au Clos Vougeot pour me soumettre à la dictée (acte manqué ?). Dans ma voiture, avançant sur la route pavée qui mène à l’entrée du Château du Clos de Vougeot, je monte le son. « You’ve got the invitation, you’ve got the right address. You need some medication, the answer’s always yes »… je souris. Cette chanson de Lalaland, au moment où le personnage joué par Emma Stone rechigne à se préparer pour la soirée qui (elle ne le sait pas encore) va faire basculer sa vie, donne une pêche d’enfer.




Bon, dans le grand cellier, Jean-Joseph Julaud dicte. Aïda Valceanu, mais aussi Eric Neuhoff, Erwan Larher, Loulou Robert, Jérôme Attal et plus d’une centaine de candidats planchent. « La lie et l’hallali. Plus que d’autres provinces, la Bourgogne a su tirer parti de son agriculture. Lorsque le blé d’Inde fut introduit en France, la Bresse développa une tradition volaillère et céréalière. Certes, les gourmets se sont toujours laissé séduire par les fameux gallinacés blanc cassé des Bressans plutôt que par aucunes gaudes à base de farine de maïs. […] Comme il serait extravagant d’utiliser du chambertin ou du montrachet pour faire un savoureux coq au vin ou un délectable poulet Gaston Gérard, les gourmets conseillent d’utiliser la lie de ces vins nobles, plus onctueuse et plus liante. Un gastronome averti ne clamait-il pas : « Quand la lie lie bien, c’est l’hallali du coq ! » ? » (texte intégral à retrouver sur le site jeanjosephjulaud.fr).
Je me creuse la tête… Aurais-je mis une majuscule là ? Correctement orthographié les aulx (pluriel peu usité de ail) ? Aurais-je écrit en un seul mot ipécacuana ? Les fautes potentielles dansent devant mes yeux et je ne suis pas mécontente de n’avoir pas de copie à rendre.

Revenue à l’air libre, je laisse le soleil me réchauffer quelques minutes dans la cour baignée de lumière du Clos de Vougeot. Dans la grande salle, les rangées de livres bien alignés attendent auteurs et visiteurs. Les uns commencent à s’installer, les autres à se promener. Les dessinateurs dessinent, les écrivains écrivent.


Mon œil parcourt les salles à la recherche des meilleurs angles pour engranger les photos qui illustreront le compte IG dans les prochains mois. Je réalise que je ne pourrai pas discuter avec tous les auteurs présents. Je me dirige vers ceux dont j’ai lu les livres ou avec lesquels j’ai communiqué via Instagram… Échanges riches.





Pendant ce temps, dans la cuisine du Clos de Vougeot, le chef Olivier Walsh et sa brigade s’affairent. Ce sont environ mille repas qui seront servis durant le week-end.




Des concurrents de la dictée demandent où se restaurer dans les environs. Quel bonheur de pouvoir leur répondre que le restaurant "Le P’tit Vougeot" propose un menu spécial et que des « food truck » sont installés sur la place au bas de la rue. Ils attendent les résultats de la dictée en début d’après-midi. Jean-Joseph Julaud prend le micro, appelle les lauréats et distribue les prix…






 Erwan Larher m’a expliqué un peu plus tôt l’étymologie de son nom de famille (l'artisant qui fabrique les coffres), nom familier puisque c’est aussi celui de mon arrière-grand-mère, native de Morlaix. Il ne cache pas sa joie d’avoir fait deux fautes de moins qu’Eric Neuhoff. Ils sont tous deux sur le podium.

La conférence de Luc Ferry sur le transhumanisme attire une grande foule. Les ventilateurs brassent l’air dans le dortoir des moines. Les spectateurs studieux sont pour certains assis par terre et beaucoup prennent des notes. Luc Ferry, orateur hors pair, captive la foule.








Les amateurs de vins préfèrent la cuverie, plus fraîche, où se déroulent d’un côté les conférences de la thématique (avec Jean-Robert Pitte notamment, fidèle au poste en sa qualité de Président d’honneur à vie de Livres en Vignes). De l’autre côté, les élèves du lycée viticole proposent un parcours des saveurs avec cave aux arômes et dégustation.




 En début de soirée, le décor change. Le château s’illumine. Les participants au Chapitre de l’Équinoxe de la Plume et du Vin envahissent la cour. 







Smocking, robe du soir, kilt ou kimono, aucun des six-cents participants (quinze nationalités différentes) ne boude les coupes de crémant, les gougères et autres mises en bouche.
Cécilia Dutter arbore une longue robe noire tout en transparence. Aïda Valceanu a choisi la sienne couleur lie de vin (sciemment ? Etait-elle de mèche avec Jean-Joseph Julaud ?) ; savamment lacée, elle laisse entrevoir son dos nu. A la table « Volnay », c’est un joyeux bazar. Beaucoup d’allées et venues, des reportages sur le vif d’Aïda et Jérôme Attal, armés de leur smartphones au bout d’une perche. Les plaisanteries fusent. Eric Neuhoff griffonne un commentaire dans le carnet où je consigne mes notes en vue de rédiger le compte-rendu du Chapitre pour la revue Tastevin en Main.




Les sommeliers stoïques, serviables et souriants, font des allers-retours avec pour l’un du blanc, pour l’autre du rouge… 







C’est la valse des Corton et Clos-Vougeot grands crus. Jérôme Attal demande deux œufs en meurette tandis qu’une partie de ses voisins se contente d’un seul. Fred Bernard a brillamment illustré la couverture du menu.


 Une vouivre faite femme aux cheveux roux vipère, escarboucle au front, surveille les convives avinés. Ceux qui le connaissent n’attendent pas le signal et entonnent le ban bourguignon quand bon leur semble. Au début du repas, à la tribune, Vincent Ravier, en parlant du marc et de la fine, enjoignait les convives : « Ne mélanCHons pas tout ! ». Les indisciplinés, devrais-je dire les insoumis au risque d’en vexer certains, rient de bon cœur, rendant difficile la tâche aux orateurs. Seul Luc Ferry, obtient le silence en évoquant deux récits de la création du vin par Noé et Dionysos. Un tonnerre d’applaudissements suit la conclusion de monsieur le ministre couvrant la voix de Neuhoff qui s’exclame : « Ferry good ! ». Cécilia Dutter, seule femme adoubée pendant la cérémonie, regagne sagement la table d’honneur », ruban pourpre et or et tastevin autour du cou, tandis que Kervéan et Benegui jouent les mauvais élèves et reviennent s’asseoir du côté de « Volnay ».




Dimanche, il faut émerger. La grande salle bruisse. Le flot des visiteurs gonfle d’heure en heure. C’est l’été. Les pauses dans la cour sont les bienvenues. Fred Bernard dessine et dessine encore. Les conférences-débats se succèdent. Les flâneurs admirent les vieux livres, exposés cette année autour du vieux puits.






A l’heure du déjeuner, Evelyne Philippe s’arrête enfin quelques minutes, le temps de souffler, émue aux larmes, les bougies du gâteau d’anniversaire. Livres en Vignes a dix ans ! Cela se fête. Pas avare pour deux sous, l’assemblée entonne le énième ban bourguignon du week-end pour rendre hommage à l’organisatrice du salon.





Le petit cellier se vide. C’est reparti pour la dernière ligne droite. L’après-midi dominical apporte son flux de curieux et d’amoureux des livres. Jérôme Attal sort sa guitare et Loulou Robert l’accompagne... ils chantent « City of stars » extrait de la bande originale de Lalaland.



 Le soleil inonde la grande pièce où les auteurs continuent de signer et d’échanger avec leurs lecteurs. Le temps s’étire... l’heure est déjà venue de se quitter. Les yeux plein d’étoiles et les papilles rassasiées de saveurs. Certains disent  : « À l’année prochaine ! », déjà joyeux à la perspective des futures retrouvailles. C’est cela aussi le succès de Livres en Vignes. Des rencontres dans un cadre unique marquées par la fête et la douceur de vivre. 





mercredi 4 octobre 2017

Cet autre amour.




Fin juillet, au retour de quelques jours au soleil, « Cet autre amour », de Dominique Dyens, m’attend dans la boîte aux lettres avec quelques autres ouvrages de la rentrée littéraire. Des épreuves non corrigées un peu austères, sans quatrième de couverture. A priori l’histoire d’une femme qui tombe amoureuse de son psy. Je comprends très vite que c’est bien plus subtil que cela.
Ai-je envie d’emmener ce livre en vacances ? Non. C’est comme une évidence. Je le tiens loin de moi, le temps de mes voyages. Dans le réel, à l’ombre du catalpa et des charmes du terrain de mon enfance, puis sur les plages désertes de l’océan Atlantique, que le petit d’homme que j’emmène semble apprécier autant que moi. Dans l’imaginaire des lectures, moi avec des femmes hors du commun (des protagonistes de « La Tresse » à l’héroïne de « La vie ne danse qu’un instant »), le petit d’homme avec Arthur et autres héros. Puis la rentrée arrive et Livres en Vignes approche, je voudrais  lire encore un ouvrage. Lequel choisir ? Sur la couverture du roman que j’ai mis de côté, une femme, allongée dans un semi-abandon. Le trouble est déjà là. Physiquement, on n’est jamais comme cela sur le divan d’un psy. Pourtant, n’est-ce pas l’espace où l’on est le plus exposé ? Le plus vulnérable ? Le plus mis à nu ? J’allais donc me plonger dans ce qu’une autre racontait du transfert. Je ne me doutais pas encore que la lecture m’entraînerait à explorer et revisiter mon propre rapport au transfert. Et plus encore.
La narratrice s’expose sans fard. Elle livre avec précision et sans emphase tout ce qu’elle ressent. Ce n’est jamais fouillis. Elle expérimente de plein fouet le transfert avec son psychanalyste sans savoir de quoi il retourne. Et elle tombe amoureuse de lui, ce qui lui est cruel à bien des égards car elle est mariée et aime son mari. Elle est longtemps tourmentée avant de découvrir le principe du transfert (toutes les émotions enfouies, voire refoulées, peur de l’abandon, attachement, etc… vécues avec nos relations, se rejouent-et se dénouent- avec le thérapeute). Là, elle fait des recherches mais les choses s’éclairent peu. Dans la littérature, ce qui est expliqué du transfert est en général assez abscons et l’on décroche vite. Pour avoir moi-même tenté ce genre de lecture, je me suis sentie inculte, à revenir plusieurs fois sur la même phrase sans en comprendre le sens. Bien qu’ayant suivi des cours de psychologie et de psychiatrie au cours de mes études, je trouvais ces écrits totalement inaccessibles. Or, j’aime bien comprendre les mécanismes qui m’animent. Et visiblement, je ne suis pas la seule.
Bref. On se sent très vite en empathie avec le personnage féminin de l’histoire qui, si elle patauge, ne se résout pas à couler. On la suit dans les méandres de ses questionnements. Inévitablement, elle nous renvoie aux nôtres. Pour ceux qui, comme moi, se sont allongés sur le divan d’un psy, c’est d’un réconfort absolu. C’est une mine. Un partage, une sorte de connivence. Toutes les émotions dont on a pu se défendre, qu’on a finalement acceptées, on se rend compte que l’autre les a ressenties aussi. Et même si on avait fini par comprendre que cela fait partie du travail, lire les doutes, les peurs, les tâtonnements de l’autre, cela nous rassure sur notre fonctionnement propre, sur notre « normalité », sur les bénéfices de la cure. Dominique Dyens, à travers un récit sincère, offre un espace d’humilité et de bienveillance semblable à la chaleur de l’antre du psy.

Livres en Vignes pointe le bout de son nez sans que j’aie tourné la dernière page. Je réserve la lecture à mes insomnies. La femme alanguie s’attarde sur mon lit. J’ai tellement regardé les photos de tous les auteurs que je ne sais plus, sur place, qui est qui (pour ceux, entendons-nous, que je ne connaissais pas ; je n’ai pas bu à ce point !). Au cours de la soirée du vendredi, dans les caves Saint-Nicolas de la Maison Albert-Bichot, j’aperçois Arnaud (nda : Guillon, auteur de « En amoureux ») en grande discussion avec une élégante dame aux cheveux longs très noirs. Elle est lumineuse, souriante, je lui trouve beaucoup de grâce. Curieuse, j’interroge un peu plus tard mon voisin de table sur l’identité de son interlocutrice. Et je réunis enfin le visage et le nom.


Le lendemain, Dominique Dyens est assise à l’entrée de la grande salle Renaissance du Château du Clos de Vougeot. Parfois, elle chausse de petites lunettes rondes, de couleur foncée, dont le rebord supérieur, sous le sourcil, cassant l’arrondi, forme deux petites barres horizontales. La discussion s’engage, fluide, naturelle. Les sensibilités s’accordent. Elle a éprouvé le besoin d’écrire ce livre en pensant à ceux qui traversaient le même état. Elle livre un récit intime sans jamais être impudique, sorte de bouée de sauvetage lancée à tous ceux qui, comme elle, ont failli perdre pied dans cette aventure (de plus en plus souvent décriée) de l’analyse.
 Chacun peut se retrouver dans cette histoire… Blessures d’enfance ou d’adolescence, sentiment d’absence de statut pour la mère au foyer, choc dans la relation amoureuse…  L’allusion à l’écriture m’a touchée particulièrement. Ce bouillonnement interne, ce sentiment d’imposture qu’il faut sans cesse combattre. Ah, tiens, je ne suis pas la seule ? Voilà ce que réussit l’auteur. A prendre son lecteur par la main et lui montrer que dans sa solitude d’analysé (et dans sa relation exclusive avec son analyste), il n’est pas seul. Unique, oui, mais pas seul. Et que le cheminement, même s’il est absolument personnel, a quelque chose d’universel. Et cela rassure sur la nature humaine, sur la capacité de l’individu à aller au-delà des apparences, sur ce qu’il peut réparer grâce à l’introspection.
En me relisant, je me demande si tout ce que j’ai écrit est nécessaire (c’est l’éternelle question !). Ne devrais-je pas me contenter d’écrire que j’ai aimé ce livre ? Et que je vous le conseille…
Lisez-le où il vous plaira. Au lit ou enroulé dans un plaid sur le canapé. Sur une chaise longue au soleil des tropiques ou au coin du feu. Mais surtout, choisissez d’accompagner votre lecture de la boisson qui vous fait voyager… Un café au lait, la limonade de votre enfance, le chardonnay frais de votre été…