Fin juillet, au retour de quelques jours au soleil, « Cet autre amour », de Dominique Dyens, m’attend dans la boîte aux lettres avec quelques autres ouvrages de la rentrée littéraire. Des épreuves non corrigées un peu austères, sans quatrième de couverture. A priori l’histoire d’une femme qui tombe amoureuse de son psy. Je comprends très vite que c’est bien plus subtil que cela.
Ai-je envie d’emmener ce livre en
vacances ? Non. C’est comme une évidence. Je le tiens loin de moi, le
temps de mes voyages. Dans le réel, à l’ombre du catalpa et des charmes du
terrain de mon enfance, puis sur les plages désertes de l’océan Atlantique, que
le petit d’homme que j’emmène semble apprécier autant que moi. Dans
l’imaginaire des lectures, moi avec des femmes hors du commun (des
protagonistes de « La Tresse » à l’héroïne de « La vie ne danse
qu’un instant »), le petit d’homme avec Arthur et autres héros. Puis la
rentrée arrive et Livres en Vignes approche, je voudrais lire encore un ouvrage. Lequel choisir ?
Sur la couverture du roman que j’ai mis de côté, une femme, allongée dans un
semi-abandon. Le trouble est déjà là. Physiquement, on n’est jamais comme cela
sur le divan d’un psy. Pourtant, n’est-ce pas l’espace où l’on est le plus
exposé ? Le plus vulnérable ? Le plus mis à nu ? J’allais donc me
plonger dans ce qu’une autre racontait du transfert. Je ne me doutais pas
encore que la lecture m’entraînerait à explorer et revisiter mon propre rapport
au transfert. Et plus encore.
La narratrice s’expose sans fard.
Elle livre avec précision et sans emphase tout ce qu’elle ressent. Ce n’est
jamais fouillis. Elle expérimente de plein fouet le transfert avec son
psychanalyste sans savoir de quoi il retourne. Et elle tombe amoureuse de lui,
ce qui lui est cruel à bien des égards car elle est mariée et aime son mari.
Elle est longtemps tourmentée avant de découvrir le principe du transfert (toutes
les émotions enfouies, voire refoulées, peur de l’abandon, attachement, etc…
vécues avec nos relations, se rejouent-et se dénouent- avec le thérapeute). Là,
elle fait des recherches mais les choses s’éclairent peu. Dans la littérature,
ce qui est expliqué du transfert est en général assez abscons et l’on décroche
vite. Pour avoir moi-même tenté ce genre de lecture, je me suis sentie inculte,
à revenir plusieurs fois sur la même phrase sans en comprendre le sens. Bien
qu’ayant suivi des cours de psychologie et de psychiatrie au cours de mes
études, je trouvais ces écrits totalement inaccessibles. Or, j’aime bien
comprendre les mécanismes qui m’animent. Et visiblement, je ne suis pas la
seule.
Bref. On se sent très vite en
empathie avec le personnage féminin de l’histoire qui, si elle patauge, ne se
résout pas à couler. On la suit dans les méandres de ses questionnements.
Inévitablement, elle nous renvoie aux nôtres. Pour ceux qui, comme moi, se sont
allongés sur le divan d’un psy, c’est d’un réconfort absolu. C’est une mine. Un
partage, une sorte de connivence. Toutes les émotions dont on a pu se défendre,
qu’on a finalement acceptées, on se rend compte que l’autre les a ressenties
aussi. Et même si on avait fini par comprendre que cela fait partie du travail,
lire les doutes, les peurs, les tâtonnements de l’autre, cela nous rassure sur
notre fonctionnement propre, sur notre « normalité », sur les
bénéfices de la cure. Dominique Dyens, à travers un récit sincère, offre un
espace d’humilité et de bienveillance semblable à la chaleur de l’antre du psy.
Livres en Vignes pointe le bout
de son nez sans que j’aie tourné la dernière page. Je réserve la lecture à mes
insomnies. La femme alanguie s’attarde sur mon lit. J’ai tellement regardé les
photos de tous les auteurs que je ne sais plus, sur place, qui est qui (pour
ceux, entendons-nous, que je ne connaissais pas ; je n’ai pas bu à ce
point !). Au cours de la soirée du vendredi, dans les caves Saint-Nicolas
de la Maison Albert-Bichot, j’aperçois Arnaud (nda : Guillon, auteur de
« En amoureux ») en grande discussion avec une élégante dame aux
cheveux longs très noirs. Elle est lumineuse, souriante, je lui trouve beaucoup
de grâce. Curieuse, j’interroge un peu plus tard mon voisin de table sur
l’identité de son interlocutrice. Et je réunis enfin le visage et le nom.
Le lendemain, Dominique Dyens est
assise à l’entrée de la grande salle Renaissance du Château du Clos de Vougeot.
Parfois, elle chausse de petites lunettes rondes, de couleur foncée, dont le
rebord supérieur, sous le sourcil, cassant l’arrondi, forme deux petites barres
horizontales. La discussion s’engage, fluide, naturelle. Les sensibilités
s’accordent. Elle a éprouvé le besoin d’écrire ce livre en pensant à ceux qui
traversaient le même état. Elle livre un récit intime sans jamais être
impudique, sorte de bouée de sauvetage lancée à tous ceux qui, comme elle, ont
failli perdre pied dans cette aventure (de plus en plus souvent décriée) de l’analyse.
Chacun peut se retrouver dans cette histoire…
Blessures d’enfance ou d’adolescence, sentiment d’absence de statut pour la
mère au foyer, choc dans la relation amoureuse… L’allusion à l’écriture m’a touchée
particulièrement. Ce bouillonnement interne, ce sentiment d’imposture qu’il
faut sans cesse combattre. Ah, tiens, je ne suis pas la seule ? Voilà ce
que réussit l’auteur. A prendre son lecteur par la main et lui montrer que dans
sa solitude d’analysé (et dans sa relation exclusive avec son analyste), il
n’est pas seul. Unique, oui, mais pas seul. Et que le cheminement, même s’il
est absolument personnel, a quelque chose d’universel. Et cela rassure sur la
nature humaine, sur la capacité de l’individu à aller au-delà des apparences,
sur ce qu’il peut réparer grâce à l’introspection.
En me relisant, je me demande si
tout ce que j’ai écrit est nécessaire (c’est l’éternelle question !).
Ne devrais-je pas me contenter d’écrire que j’ai aimé ce livre ? Et que je
vous le conseille…
Lisez-le où il vous plaira. Au
lit ou enroulé dans un plaid sur le canapé. Sur une chaise longue au soleil des
tropiques ou au coin du feu. Mais surtout, choisissez d’accompagner votre lecture
de la boisson qui vous fait voyager… Un café au lait, la limonade de votre
enfance, le chardonnay frais de votre été…
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