lundi 27 avril 2015

Gratin de légumes d'été



Ratatouille... Ce simple mot est directement associé au cri du cœur des enfants : "j'aime pas ça !"
Il est vrai qu'en dehors des steaks, pâtes, purée et frites, il est rare de rencontrer l'adhésion de sa progéniture (hors familles exceptionnelles qui voudront bien me donner leur recette !).
Pourtant, un jour, et après avoir visionné le film éponyme, une idée a surgi de mon cerveau de mère engourdi(e)... Euh, est-ce la mère qui est engourdie ou le cerveau ?
Et le résultat, c'est un plat que l'on me réclame dès l'arrivée des beaux jours.

Ingrédients : aubergine, courgette, pommes de terre, tomates, jambon, huile d'olive, crème liquide, sel, poivre, herbes de Provence, chapelure.
Ces ingrédients ( pour 4 personnes) sont proposés à titre indicatif, et la recette peut certainement être améliorée ou agrémentée.

Couper en rondelles très fines les courgette, aubergine et pommes de terre (au robot c'est rapide). Couper les tomates. Hacher le jambon. Tapisser le fond d'un plat préalablement huilé d'une couche d'aubergine, puis courgette. Assaisonner. Ajouter une couche de pommes de terre et des herbes de Provence. Huiler. Ajouter les rondelles de tomates puis le jambon haché. Crémer. Recommencer avec une rangée d'aubergines etc... Terminer par une rangée de pommes de terre. Saupoudrer de chapelure, huiler et enfourner.

La cuisson, c'est entre 180 et 200 degrés...  Une heure au moins, un peu au feeling !

Cette ratatouille à ma façon se mange tellement vite que je n'ai pas de photo à la sortie du four !

A noter que le temps de préparation est inversement proportionnel à celui de la dégustation, car même si c'est un plat "de tous les jours", il est un peu long à réaliser.


Bon appétit... J'attends vos suggestions ! 

dimanche 26 avril 2015

Anton Ego

Anton Ego est le nom (pour le moins bien choisi) du critique culinaire osseux et austère du film d'animation "Ratatouille", des studios Disney Pixar, sorti en 2007. L'homme, longiligne, un faux air de Louis Jouvet cynique, terrorise les restaurateurs, dont il peut détruire en quelques lignes la renommée. Jusqu'au jour où il déguste un plat simplissime, arrangé à la sauce... Ratatouille. Ce film est un régal. Depuis longtemps je voulais transcrire la longue tirade finale d'Ego. C'est de mon point de vue une belle leçon d'humilité et la preuve qu'on peut, au détour de la vie, transformer... En mieux, en meilleur, en plus beau !

"À bien des égards le travail des critiques est facile. Nous ne risquons pas grand chose. Et pourtant nous jouissons d'une position de supériorité par rapport à ceux qui se soumettent avec leur travail à notre jugement. Nous nous épanouissons dans la critique négative, plaisante à écrire et à lire. Mais l'amère vérité qu'il faut bien regarder en face, c'est que dans le grand ordre des choses, le met le plus médiocre a sans doute plus de valeur que notre critique qui le dénonce comme tel. Il est pourtant des circonstances où le critique prend un vrai risque. C'est lorsqu'il découvre et défend l'innovation. Le monde est souvent malveillant à l'encontre des nouveaux talents et de la création. Le nouveau a besoin d'amis. Hier soir j'ai vécu une expérience inédite et dégusté un plat extraordinaire d'une origine singulière s'il en est. Avancer que ce plat et son créateur ont changé l'idée que je me faisais de la grande cuisine serait peu dire. Ils m'ont bouleversé au plus profond de mon être. Je n'ai jamais fait mystère du mépris que m'inspirait la devise d'Auguste Gusteau : tout le monde peut cuisiner. Mais ce n'est qu'aujourd'hui, aujourd'hui seulement, que je comprends ce qu'il voulait dire. Tout le monde ne peut pas devenir un grand artiste. Mais un grand artiste peut surgir n'importe où."

On peut transposer, bien sûr, le vocabulaire de la cuisine à celui de n'importe quelle autre forme d'art... 

samedi 25 avril 2015

Beaune. Parc de la Bouzaize.

On connaît Beaune, en Côte d'Or, pour sa renommée mondiale en matière de vins, pour les tuiles vernissées de ses célèbres hospices ou encore malheureusement pour le triste accident de 1982 (accident d'autocar le plus meurtrier en France). La position géographique de la ville et sa notoriété en font un lieu animé à la croisée des chemins d'Europe. Si vous passez par là, n'hésitez pas à vous éloigner des pavés du centre ville, des échauguettes et des colombages pour musarder au parc de la Bouzaize.




 Créé en 1883, il couvre cinq hectares. Site classé depuis 1949, il abrite des arbres centenaires, la source de la Bouzaize (petit cours d'eau qui passe notamment sous les hospices de Beaune), des espaces jeux, un carrousel, de grandes plages de verdure et un plan d'eau sur lequel il fait bon canoter aux beaux jours. Sur les sentiers, coureurs, marcheurs et enfants à vélo déambulent, se croisent ou devisent. But de promenade dominicale ou halte touristique, ce parc en toute saison est un enchantement. Mille couleurs et nuances. Toujours pareil, mais sans cesse différent.












  A deux pas, le Parc de la Creuzotte, plus récent, incite à l'exploration. Méandres de planches et labyrinthe, c'est l'endroit idéal pour profiter des extérieurs pendant les grosses chaleurs. Climatisation naturelle oblige, la fraîcheur y est toujours de mise.





Bonne promenade !

dimanche 19 avril 2015

Anecdote



Emmanuel D a écrit : "marche recommandée" sur l'arrêt de travail. Ce matin donc, à la faveur d'un joli rayon de soleil, j'enfile la tenue adéquate et, motivée, pars en direction des vignes. J'essaye de courir mais je renonce au bout de quelques foulées, mon corps ne supportant pour le moment visiblement pas l'intensité des vibrations provoquées par un mouvement de course. J'opte pour de la marche rapide et en profite pour respirer en conscience.
Je sens glisser les pensées sans rien retenir. Je laisse derrière moi la ville et la chaleur des murs pour m'exposer à l'air frais et venteux des chemins qui bordent les rangs impeccablement alignés des ceps bourguignons. J'avance légère et libre. Derrière moi, dans un joli contrejour, se dessine le clocher de la collégiale Notre Dame, dominant les toits. Devant moi, le coteau, qui verdoie timidement. Des cabotes, ces toutes petites maisons qui servaient autrefois à entreposer les outils et qui restent dressées là, vestiges du temps, ancrent l'intemporalité de l'instant. Ça et là, au loin, s'agitent les petites mains qui préparent la vigne toute l'année pour l'intense moment des vendanges. Ma solitude extatique est troublée par une joggeuse qui arrive en face de moi, avec son chien. Un labrador retriever noir, je pense, bien que je ne sois pas un as des races canines, qui dès qu'il me voit, démarre en trombe et fonce vers moi. Sa maîtresse ne parvient pas à se faire obéir malgré ses rappels à l'ordre et je vois le molosse au galop, sa musculature puissante s'affichant dans l'allure,  s'approcher de moi. Il faut savoir que plus jeune, j'avais une peur panique des animaux. Ce qui ne manquait pas de me valoir une sorte de réprobation générale... Des personnes bien pensantes n'hésitaient pas en effet à poser des affirmations comme : "il faut vaincre ta peur" ou encore, très culpabilisant, "si on n'aime pas les animaux on n'aime pas les humains". Aujourd'hui, il y a un chat à la maison qui ne me fait plus sursauter à chaque fois qu'il saute sur le canapé sans que je l'aie entendu arriver. Quand je croise un chien, j'ai compris qu'il a besoin de me sentir et bien que la truffe humide de l'animal contre ma peau ne soit pas ma tasse de thé, je le vis calmement, sans plus éprouver cette montée désagréable d'adrénaline qui l'excite encore plus.
Le gros chien noir arrive sur moi et tout à ma respiration pour éviter la poussée d'angoisse, je ne parviens pas à identifier l'attitude de l'animal. Il commence par me respirer et se frotter à moi puis me saute dessus. Ses pattes se posent sur mes épaules et sa gueule est bien trop proche de mon visage  à mon goût. La maîtresse ne dit rien et arrive à petites foulées. Je me sens envahie dans mon espace vital. Un humain inconnu ne viendrait pas si près, ou alors ce serait une agression. Je jette un regard inquiet à la jeune femme, et les bras en croix sur mes seins m'entends réclamer : "s'il vous plaît!". Elle arrive enfin, le chien retrouve un semblant de docilité, il reprend ses distances. Et moi, mes esprits.
Là, stupeur. Au lieu de s'excuser pour l'attitude désobéissante de son animal de compagnie, la dame me tance pour ma remarque. "C'est bon, j'arrivais, faut pas exagérer, j'ai couru, je ne pouvais pas aller plus vite, vous le voyiez bien quand même !"
Un peu estomaquée je tente de répondre gentiment, en arguant du respect d'autrui. L'autre poursuit son chemin en râlant : " Il y a plein de gens qui courent ici avec leur chien, vous allez en croiser d'autres, faut vous y faire, alors je ne vois pas où est le problème !" Et comme j'essaye une nouvelle fois de discuter, elle se retourne pour m' invectiver : " Vous n'avez rien d'autre à foutre que de..."
Je n'entends pas la suite car cette fois c'est moi qui tourne les talons. C'est sa bêtise à elle qui a fait monter mon adrénaline. Je respire et marche... Marche, inspire, marche, expire. Et très vite tout retombe. C'est à nouveau calme. Je pense que je vais écrire cette histoire. Ce moment où une femme m'a aboyé dessus, tentant de se justifier de n'avoir pas su tenir son canidé. Je connais des gens qui éduquent leur animal. Et l'animal écoute son maître. Mais tout n'est pas toujours sous contrôle et je ne lui en veux pas. Un petit mot d'excuse de sa part aurait suffi, ce n'est pas humiliant de le faire,  j'aurais répondu par un simple "ce n'est pas grave, c'est juste impressionnant" et elle aurait sans doute dit comme le font la plupart des maîtres qui ne comprennent pas la peur de l'autre : "Il n'est pas méchant vous savez", ce à quoi je n'aurais rien répliqué car je sais désormais que c'est inutile -personne n'a ni raison ni tort- on se serait souhaité une bonne journée et c'est tout. Sauf que... Un " quelle conne" traverse mon esprit. Et puis...

Je pense à Jacques Villeret, inénarrable François Pignon, qui explique face à Thierry Lhermitte qu'on est toujours le "con" de quelqu'un d'autre. Je relativise et ça m'apaise.

Je pense à ce dîner de cons, film de Francis Veber tiré de la pièce éponyme, à voir et revoir sans modération. Et ça me fait rire.
Je rebrousse chemin car il est l'heure de rentrer. Sur la route, à l'endroit où je suis passée tout à l'heure et où seule a couru depuis la joggeuse, je dois enjamber une imposante déjection canine.


 

vendredi 17 avril 2015

Agathe #3



Dans le métro qui la conduit Porte de Versailles, lors d’un arrêt à une station, elle surprend une conversation entre deux femmes qui, d’après ce qu’elle comprend, s’y rendent aussi. La plus jeune, âgée d’une quinzaine d’années, regarde l’affiche publicitaire du Salon et demande, après avoir lu la mention : « Invité d’honneur Israël » :
« C’est qui Israël ? » comme s'il s'agissait d'un auteur. Si c'était le cas, le nom serait précédé du prénom (comme Lucien, par exemple, mais le psychanalyste était décédé depuis quelques années déjà). Le cœur d’Agathe se met à battre un peu plus vite et malgré elle, ses yeux s’arrondissent de stupeur. Elle guette la réaction de la plus âgée, la mère visiblement, qui répond impassible : « Non, en fait, c’est un pays.» Et l’échange s’arrête là. Agathe se demande comment, aujourd'hui, un lycéen peut ignorer l'existence d'Israël et comment un parent peut ne pas s'en émouvoir et se dispenser d'informer, d'éduquer...

Arrivée au Salon du Livre, encore chargé des odeurs animales du salon de l’agriculture qui vient de s’achever, Agathe voit du monde mais ne rencontre personne. Elle erre dans les allées, s’arrête devant un stand. Elle a emmené un de ses enfants voir une représentation de « lettres d’amour de 0 à 10 » et l’auteur de l’œuvre originale est là. Elle échange quelques mots avec Susie Morgenstern. Mais elle n’ose pas dire qu’elle écrit. Tellement trivial ! Ces gens-là ne sont pas là pour ça. Chacun de son côté de la barrière. Agathe se demande bien comment la franchir.
Elle est joyeuse pourtant. Dans sa province elle anime un atelier théâtre avec des élèves d’une dizaine d’années. Elle a adapté une pièce de PEF et aide les jeunes à s’approprier le langage du prince de Motordu. Elle met en scène, construit quelque chose de palpable. Elle voit les talents s’affirmer chez les uns, les timidités laborieusement dépassées chez les autres. Elle tâche d’offrir à chacun un rôle à sa mesure. Elle explique tout cela à l’auteur qui lui signe une dédicace, à elle et à son groupe. Elle continue de discuter avec un éditeur présent sur un stand mais elle s’emmêle dans ses explications, regarde le bout de ses chaussures et repart peu convaincue de sa prestation.
 Au retour, un courrier l’attend d'une maison d’édition régionale. Le refus dactylographié indique : «  Bien que l’intrigue se situe dans notre région, qui est le ban de notre ligne éditoriale, nous n’avons pas retenu votre roman pour publication. L’intrigue amoureuse, l’histoire et le style ne nous ont pas séduits ».
Agathe ne sait plus quoi penser. La douche froide. La honte de s’être crue pourvue d’une once de talent s’empare d’elle. Est-elle si peu lucide ? Ranger ses crayons et n’écrire plus. A quoi bon ? Tout a été dit, tout a été fait. Quelles peuvent être les prétentions d’une jeune femme effacée qui montre souvent d’elle le versant insipide, de peur que l’exposition de son extraversion ne la fasse passer pour folle ? Pourtant Agathe est le feu sous la glace. Que fait-elle perdue dans cette vie ?
Elle aime son mari. Ou plutôt elle attend que l’homme qu’elle a épousé la voie. Mais le mari d’Agathe bouge, s’échappe, revient, s’agite et repart. Elle, pour garder l’équilibre croit-elle, attend. Elle se mute en petite chose, s’écrase sous l’influence de l’homme qui s’éloigne pourtant chaque jour un peu plus. Il voyage sans arrêt. Rencontre tellement de nouvelles personnes qu’il a cessé de lui raconter. Entre dans des endroits où le commun des mortels ne pénètre pas. S'en pâme modestement, en laissant croire que finalement cela a peu d'importance dans sa vie alors qu'Agathe sent au contraire que cela envahit. Que peut bien apporter Agathe ? Il n’y a pas d’étincelles, rien qui scintille dans son quotidien. Telle un automate, elle s’occupe de la maison, des enfants, de son travail. Pour la famille, pour son couple, elle propose, suggère, fait des tentatives, essaye de signifier la simplicité et l'authenticité de ce qu'elle appelle le bonheur. Agathe ne bouge pas mais elle revendique, explique, négocie. Coups d’épée dans l’eau.

Agathe attend le facteur. Elle sait maintenant que son roman ne sera pas publié. Elle espère pourtant que quelque chose va changer. Une transformation.

Un jour, elle aide des amis à déménager. Elle est gaie. Avec son jean troué, son tee-shirt informe et ses vieilles converse, elle apporte une joie de vivre qu’elle a encore, au fond d’elle, bien enfouie. La journée commence dans la bonne humeur, avec des personnes qu’elle connaît bien et d’autres qu’elle voit pour la première fois. Les maîtres des lieux répartissent les rôles. Il y a des tonnes d'affaires à transporter, des objets usés à emmener à la déchèterie, de la vaisselle à emballer. On confie à Agathe les clés d’un fourgon. Elle va et vient, charge, décharge, discute avec les uns et les autres, prend plaisir à retrouver des gens qu’elle n’avait pas vus depuis longtemps, découvre de nouveaux visages, initie de nouvelles conversations, tout semble léger. En fin d’après-midi, les traits tirés par la fatigue et les yeux rougis par la poussière, les cheveux en bataille, dans le camion qu’elle conduit, elle rit avec son voisin qui la complimente. Le dialogue s'étoffe et se creuse, dévie, et Agathe s’entend raconter une anecdote qui remonte à la veille de son mariage, un événement qu'elle avait totalement oublié et qui ressurgit là. En voulant accrocher un ballon de baudruche dans la salle du vin d’honneur, la tête d’épingle avait lâché et elle s’était enfoncée la pointe jusqu’à l’ongle du pouce. Elle se souvient de la douleur qui avait transpercé son doigt. Du cinéma qu’elle avait fait, conformément à la tradition des futures mariées capricieuses, convaincue que cet incident allait gâcher la journée du lendemain. Son voisin la regarde toujours. Avec une bienveillance qui la troublerait presque. « Je ne sais pas pourquoi je te raconte tout ça » murmure-t-elle, dans un hochement de tête et un haussement d'épaules. « Parce que tu attends que quelqu'un te dise que tu es la Belle au Bois dormant ! Tu t'es piquée et tu t’es endormie. Il te faut un baiser pour te réveiller ». Si le ton est malicieux, l’homme semble on ne peut plus sérieux. Agathe sourit, amusée. Il se penche soudain et l’embrasse. Agathe a à peine le temps de goûter la bouche chaude et vivante qui vient de faire frémir ses lèvres.
Mais quelque chose pétille, tout à coup. La journée s’achève. Il ne se passe plus rien. Rien d’autre que des cartons déplacés, des meubles démontés et remontés. Une maison vidée, une autre investie.

Quand elle rentre chez elle, elle déchire machinalement l'enveloppe à en-tête d'un éditeur breton. "Chère madame, J'ai bien reçu votre manuscrit [...] et vous remercie de votre intérêt pour notre maison. Je vous prie d'excuser le temps pris à vous répondre.
Je suis au regret de vous informer que je ne retiendrai pas votre texte pour publication. En effet, je ne pense pas être en mesure de le défendre efficacement. Je vous invite néanmoins et très sincèrement à ne pas renoncer, votre travail n'étant pas sans qualité, loin s'en faut. Je dois juste reconnaître que malgré ses qualités indéniables, je ne peux donner suite. Vous m'en voyez sincèrement désolé.
J'espère que ma réponse honnête ne vous blessera pas mais vous donnera l'envie de poursuivre dans cette voie. Je vous souhaite le meilleur, et vous prie d'agréer chère madame, l'expression de mes sincères salutations". Comme si cette gentille réponse ne suffisait pas, l'auteur de la missive avait, à l'encre bleue, et d'une écriture élégante et allongée, ajouté : " Chère madame, Indéniablement, vous maniez la plume avec un réel talent et je suis désolé de ne pouvoir vous publier. Vous devriez orienter vos démarches vers des éditeurs plus littéraires et plus grands, disposant des moyens nécessaires pour lancer un tel roman. Bien sincèrement vôtre ".
Agathe n'ose pas y croire. Il y a un souffle dans sa poitrine, qui ressemble à la vie qui revient.

 Le lendemain matin, sur son smartphone, s’affichent ces deux mots : « Bonjour princesse ! »
Le facteur est passé. Agathe n’a pas fait attention. Elle a ressorti ses cahiers et ses crayons.


Citation


"La faillite n'est pas dans l'erreur que tu commets, elle est dans l'excuse dont tu te sers pour essayer de la cacher."

Massimo Gramellini. Comme à la fin des contes de fée. Robert Laffont

mercredi 15 avril 2015

Printemps sauvage.

Azur pur. Premières caresses du soleil. La nature, éveillée, appelle, dans un éternel recommencement. Et j'imagine la forêt, les feuilles qui frémissent à la caresse du vent. Je sens le parfum de l'herbe fraîchement coupée. Je vois les reflets de l'eau sur le mur d'en face. Je marche pieds nus et m'ancre dans l'existence. Allongée sur le sable, je rêve. Un homme nu comme moi, m'enlace. Ou pas. Nous nous regardons, c'est tout. Étendue sur le gazon, je respire ce bonheur de sentir en moi le désir. Je ferme les yeux. Je souris. La vie est belle.


lundi 13 avril 2015

Agathe #2



Le Dilettante d’Anna Gavalda. Elle déchire fébrilement l’enveloppe et arrache la feuille qu’elle déplie. Entre les lignes du courrier de refus type, un commentaire a été griffonné à la main : « Beaucoup de romans commencent comme le votre. Vous manquez cruellement d’originalité ! Vous ne parlez que de thèmes banals : l’amour bien évidemment, la constitution de ses rêves… Malgré le passé des deux personnages principaux, ceux-ci manquent cruellement de profondeur psychologique. »
Agathe s’assied. Sonnée. Elle lit, relit. Ploie sous la critique. Lit encore. N’y-a-t’il pas un accent circonflexe sur "le vôtre" ? Deux fois l’adverbe « cruellement » en quatre lignes ! La rédactrice de ce billet manquerait-elle cruellement de vocabulaire ? La tournure de la dernière phrase semble bien lourde. N’aurait-il pas mieux valu écrire : « Malgré leur passé chargé, les deux personnages principaux manquent, disons… indubitablement de profondeur psychologique » ?
Agathe rit, soulagée de sa colère. Elle peut enfin étudier la remarque sur le fond. L’amour, tout le monde en parle, non ? Elle y a mis une certaine discrétion. Elle a effleuré les failles, la fragilité du sentiment malgré la puissance des émotions ; elle a exploré prudemment les méandres de l’attirance et du doute. Non, elle n’a pas voulu entrer trop profondément. Sa timidité, qui peut conférer à une sorte de mièvrerie, est l’écueil qu’elle voudrait contourner dans l’écriture. Pourtant, elle s’est empêchée de sonder le couple de son histoire. Elle s’est inspirée de gens proches d’elle qu’elle a déguisés du mieux qu’elle a pu pour ne pas les déshabiller ni les disséquer sous sa plume. Trop de violence. Et une vérité qu’elle ne veut peut-être pas voir. Agathe se cache de cette faiblesse en se répétant que le sujet du roman n’était pas l’amour ; il n’était qu’un fil conducteur, un récit parallèle pour tenir en haleine un lecteur à qui elle voulait faire découvrir comment, en France, un petit entrepreneur se battait contre un titan. Comment un homme ordinaire, mû par le désir universel de sortir du lot, avait eu une idée qui contrariait un puissant lobby.
La constitution des rêves. Quel drôle de vocable. Constitution : action de constituer. Constituer : choisir, regrouper des éléments afin de former un tout. Former l’essence, la base de quelque chose. Constitue-t-on un rêve ? Pour Agathe, le rêve, on le voit naître, on le formule, on mène une action dans le but de le faire vivre et au mieux, on le réalise. C’était son sujet.
Dubitative. Elle n’a pas le courage pour le moment de se remettre à l’ouvrage, de modifier, creuser, transformer pour que la part d’accomplissement des protagonistes soit aussi fouillée que le reste -pour lequel elle s'est beaucoup documentée. Tout ça est trop neuf, trop chargé de l’illusion que le manuscrit est publiable. D’ailleurs, une journaliste que connaît son mari a dit que ça l’était. Alors Agathe y croit. Elle n’a pas de nouvelle substance à insuffler à son roman pour l’instant. Procrastination et velléité sont des rouages intérieurs puissants d'un  fonctionnement morbide qui la paralyse.

Le bruit sec du clapet de la boîte aux lettres attire l’attention d’Agathe. "Madame nous avons bien reçu etc… Malheureusement nous ne pourrons le retenir. La morosité actuelle du climat en librairie nous contraint à resserrer notre programmation. En dépit de ses qualités et de l’effort de composition qui en ressort, votre texte n’a pas remporté l’adhésion générale nécessaire à une éventuelle publication". Lattès, classé dans les retours encourageants. A moins que ce ne soit une lettre type.
C’est une femme qui signe cette autre missive parvenue de chez XO. "La décision de publier un manuscrit est toujours issue d’une rencontre entre l’univers de l’écrivain et celui de l’éditeur. Cette rencontre, malheureusement, n’a pas eu lieu […] c’est vraiment une question d’alchimie qui se produit… ou pas. Avec mes regrets et en vous souhaitant sincèrement de trouver « votre » éditeur, je vous prie…"
Agathe réfléchit à son univers. Étriqué. Provincial. Elle écoute Mozart et Bénabar, Tchaïkovski et Souchon, Haendel et Maxime le Forestier. Elle danse sur David Guetta, va voir les films de Woody Allen quand ils passent en VO. Elle scrute la programmation du théâtre local et se déplace pour voir Molière, Musset, Marivaux. Elle emmène ses enfants. Parfois, elle va à Paris. En coup de vent, au dernier moment, en fonction de l’agenda du mari. Souvent, on n’a pas les spectacles désirés car les places sont déjà vendues plusieurs semaines à l’avance. Elle lit. Zweig, Ferney, Potok, Fergus, Teulé, Atkinson, De Rosnay, Kennedy, Irving… Elle a essayé Nothomb, par principe. Elle a persévéré et en a fini plusieurs mais non. Houellebecq, trois pages et elle abandonne. Pas assez intelligente sans doute. A moins que ce ne soit simplement cette question d’univers. Existe-t-il une hiérarchie dans les univers ? Le sien est-il moins honorable qu’un autre ?
Agathe continue à vivre. Elle rit, elle chante. Elle râle, elle pleure. Elle voyage un peu. Fait du shopping avec ses copines, dîne en amoureux avec son homme, toujours débordé de travail. Fait du vélo avec ses enfants. Du yoga aussi. Elle écrit sporadiquement. Pendant des semaines elle n’ouvre pas ses cahiers. « La décision de publier est toujours issue d’une rencontre ». Elle prend le train jusqu’à Paris et va au Salon du Livre.

A suivre...