mercredi 22 novembre 2017

La vente des Vins dans les coulisses de la maison Albert-Bichot





Dans l’effervescence de la 157ème vente des vins des hospices de Beaune et alors que partout en ville, curieux, amateurs et touristes profitent du spectacle et des nombreuses activités gastronomiques, vinesques et culturelles, les professionnels eux, reçoivent leurs clients, dégustent, commentent et achètent le vin des Hospices lors de la Vente aux Enchères du dimanche après-midi. Trois Glorieuses pas de tout repos pour Albéric Bichot et son équipe, sur le pont depuis très longtemps pour faire de ce week-end une fête réussie et répondre au mieux aux attentes des clients.

Histoire
La Maison Albert-Bichot est une institution. La famille, dont on retrouve les premières traces jusqu’en 1214, s’est enracinée en Bourgogne au XIVème siècle. Ses armoiries restent depuis lors inchangées et son symbole est la biche. En 1831, Bernard Bichot fonde une maison de négoce basée à Monthelie. Ses enfants feront prospérer l’affaire en achetant des vignes, déjà persuadés que la maîtrise de l’amont est nécessaire. Albert Bichot, premier du nom, redonne un nouvel essor à l’entreprise familiale à la fin du XIXème siècle et l’installe définitivement à Beaune en 1912. Albéric Bichot, après avoir exploré le monde, rejoint la maison en 1990 et prend la direction de l’entreprise en 1996. Il a de nombreux défis à relever : le passage à l’agriculture biologique, l’adaptation perpétuelle aux nouveaux marchés, la valorisation et le rayonnement des vins de Bourgogne. Albert-Bichot a été l’un des grands mécènes de l’inscription des climats de Bourgogne au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Les préparatifs
Dès la fin du week-end de la Vente des Vins, Isabelle, la responsable de la communication de la Maison Albert-Bichot, effectue des pré-réservations pour l’année suivante. Elle pose des options pour les hôtels et les traiteurs. Pas question d’être pris de cours. Avant la fin de l’année, mieux vaut avoir planifié. De même, il faut bloquer les places pour les prestigieux repas des Trois Glorieuses, au Clos Vougeot le samedi, au Bastion le dimanche et enfin à la Paulée de Meursault le lundi. Places évidemment rares, qui sont destinées à des clients intronisés le samedi soir au Clos de Vougeot, des importateurs ou encore des journalistes. L’idée est de faire plaisir aux très bons clients qui rêvent de décrocher le Graal en participant à ces réjouissances. Le jour venu, Isabelle Philippe, qui a chapeauté l’organisation des festivités, accueille les participants. En tout, ce sont environ cent cinquante personnes qui passent le week-end à Beaune. Venus du monde entier et de toute la France mais aussi partenaires locaux. En marge des manifestations officielles, la Maison de Vins organise dégustations et repas.
Auparavant, et dans les quinze jours qui précèdent, les responsables commerciaux font les propositions auprès de leurs clients professionnels et leur envoient des notes de la dégustation des vins des Hospices. Ils font un compte-rendu précis tenant compte des évolutions par rapport aux années précédentes. Chaque client indique alors ses préférences. On comptabilise les demandes pour anticiper les pièces qui seront convoitées lors de la vente. Depuis quelques années, la Maison Albert-Bichot a mis en place une prospection auprès de la clientèle particulière. Quatre ou cinq cuvées sont sélectionnées par l’équipe technique et proposées à l’achat à partir de six bouteilles.

Samedi
Un grand déjeuner se tient dans la Cuverie du Clos Frantin à Nuits Saint-Georges avec des clients français et étrangers. Après le repas, d’autres clients et fournisseurs (tonneliers, imprimeurs, acheteurs) viennent déguster les vins de la maison et quelques vins des Hospices de Beaune en fin de dégustation. Les équipes des domaines assurent le service. Les caves sont joliment illuminées pour la circonstance. A l’entrée, un vieux camion chargé de cucurbitacées rappelle, pour qui observe la tête de Louis de Funès dépassant d’un tonneau, la célèbre Grande Vadrouille.
Les esprits sont déjà bien gais au moment de se retrouver, le soir, dans les caves Saint-Nicolas à Beaune. Tandis qu’Albéric rejoint le Clos de Vougeot avec une poignée de chanceux, Alain Serveau, directeur technique et Christophe Bichot, le frère d’Albéric, accueillent une centaine de personnes autour d’un dîner convivial. Dans l’assemblée cosmopolite, on entend parler italien, espagnol, allemand et anglais bien sûr, sans oublier le chantant accent québécois. C’est à quelle table va réussir à lancer le meilleur ban bourguignon ! Les mets préparés par Anna-Marina et son équipe de la Comédie des Mets servent admirablement les vins.  Soigneusement choisis, ces derniers sont longuement commentés par les spécialistes et les amateurs réunis autour des tables : un Meursault 1er Cru Genevrières 2011 Cuvée Baudot Hospices de Beaune, suivi d'un Chambolle-Musigny 1er Cru les Sentiers 2012 avant d'achever par un Corton Grand Cru "Clos des Maréchaudes" 2006 Monopole Domaine du Pavillon. L’atmosphère, toujours chaleureuse, permet des échanges joyeux avant que les choses vraiment sérieuses ne commencent.

 


 


 








Dimanche

C’est la journée cruciale. Le matin, Albéric Bichot et Alain Serveau se réunissent avec les acheteurs dans un salon de l’Hôtel du Cep en « one to one meeting », pour faire un dernier point avant les enchères. Albert-Bichot a fait ses premières enchères sur les Vins des Hospices en 1876. Depuis une vingtaine d’année, la Maison est le premier acheteur aux Hospices de Beaune avec une centaine de pièces. Les pièces achetées lors de la vente (rappel, une pièce représente l’équivalent de 288 bouteilles) sont rapportées avant la fin décembre. C’est là, dans une cave spécialement dédiée aux vins des Hospices, que ces derniers seront élevés. Au bout de 18 mois, ils seront mis en bouteilles. Il s’écoule donc deux ans entre l’achat et la mise sur le marché.
Après le déjeuner où les clients se partagent entre Loiseau des Vignes, le Cèdre et l’Hôtel de la Poste, vient enfin le moment de pénétrer sous les halles de Beaune, spécialement préparées pour la Vente. C’est Christies qui officie.




Pour le public, amassé derrière les vitres, le point d’orgue est indiscutablement la mise en vente des pièces de charité. C'est vers 16h que le commissaire-priseur l'annonce : du Corton grand cru Clos du Roi. Marc-Olivier Fogiel et Julie Depardieu appellent Charles Aznavour à la rescousse pour faire grimper les enchères.






 Albéric Bichot garde un calme apparent même quand les objectifs des photographes se tournent vers lui. Suspense.



On chipote pour adjuger à 410000. Albéric refuse d'aller plus haut. Quand le commissaire-priseur l'interpelle il dit : "L'année prochaine !". Finalement, un acheteur brésilien, en échange de quelques bouteilles, propose d'ajouter les 10000€ que réclament les présidents pour la bonne cause. Tout le monde est d'accord. Effusions. Julie Depardieu hésite, puis ne résiste plus : le marteau tombe : 420000€. Congratulations ! 






Albéric monte sur l’estrade avec son acheteur chinois et, très ému explique qu’absent l’année passée, il voulait « marquer le coup, pour madame Jacquet, pour ses enfants et pour une certaine Betty* qui va bientôt quitter l’hôpital ».


 Avant et après ce moment d’émotion, se sont plusieurs heures de travail intense pour Albéric. Les yeux rivés sur les demandes des clients, il fait de petits signes de tête : oui, non. Lorsqu’il obtient la pièce, il lève le paddle 106. Cette année, la bonne récolte, après des années difficiles, engendre la mise en vente de 787 pièces, contre 596 l’année passée.






Il est tard. La nuit est tombée depuis longtemps et la foule des badauds s’est largement clairsemée lorsque la vente se termine. 
Albert-Bichot bat un record en faisant cette année l'acquisition de 115 pièces pour un montant d'1746600€, et confirme son rang de premier acheteur.












Certains courageux poursuivent la fête au Bastion tandis que d’autres se réservent pour la dernière ligne droite de la Paulée.  Certains, comme notre ami Michel Crestanello, responsable commercial pour la France, enchaînent les deux.





Lundi.
La 85ème Paulée de Meursault réunit environ 800 convives. Privilégiés de divers horizons, professionnels du vin, viticulteurs, sommeliers, restaurateurs mais aussi personnalités du monde du spectacle ou journalistes, les heureux élus passent tout l’après-midi attablés à déguster les vins que chacun aura apportés. Albéric Bichot sert de l’Echezeaux grand cru 2005 en magnum, du Vosne-Romanée 1er cru « Les Malconsorts » 2005, un grand cru de Chablis « La Moutonne » 1971, et un Pommard 1947. C’est cela la magie de la Paulée. Ce que l’on sait moins c’est qu’un prix littéraire est décerné (nda : La Maison Albert-Bichot parraine quant à elle un prix littéraire éponyme remis lors du salon Livres en Vignes). Pour le Prix de la Paulée, la dotation est une centaine de bouteilles de Meursault. Comme le veut la tradition, chaque année, un domaine différent se voit chargé de remettre ce Prix. En 2017 cet honneur revient au Château de Meursault en la personne d’Olivier Halley, exploitant du domaine. Philippe Claudel, le lauréat, auteur entre autres du roman « Les âmes grises » (Prix Renaudot 2003) mais aussi réalisateur (« Il y a longtemps que je t’aime ») préside le repas de clôture des Trois Glorieuses. Il signe "Inhumaines" un opus grinçant, dérangeant, qui crée la polémique.






 Depuis trois ans, le simple carton de menu s’est transformé en un carnet. En plus d’indiquer les mets raffinés servis aux convives, ce dernier renferme une mine d’informations. Les récipiendaires du Prix sont par exemple tous recensés, dans une liste tenue depuis 1932 et qui donne parfois le vertige, de Colette à Amélie Notomb en passant par Jean d’Ormesson, Roger Frison-Roche  ou Guy des Cars. Mais c’est au lauréat de cette année qu’on laisse les mots de la fin : « Lorsque je descends dans la cave d’un vigneron, mon cœur se pince, comme si subitement je délaissais une vie d’avant, un monde au dehors livré désormais à une totale apocalypse et que je m’apprêtais à entrer dans le seul espace où quelque chose d’humain, quelque chose du travail des hommes, quelque chose qui témoignerait de leur savoir, de leur ingéniosité et de leur plaisir, subsisterait. »






*Albéric fait allusion au décès brutal, l'an passé, lors d'un voyage en Chine pour les Hospices, d'Antoine Jacquet, directeur des Hospices de Beaune pendant de nombreuses années. Il rend hommage à Bernadette Aune, directrice par intérim, qui cède sa place au nouveau directeur récemment nommé.