mardi 8 novembre 2022

L'heure des oiseaux

 1959, orphelinat sur l’île de Jersey. Lily n’y a pas la vie facile. Elle déploie des trésors d’imagination pour adoucir la rudesse de la situation et veille sur le Petit. Elle puise sa force en observant les oiseaux, en écoutant leur chant. Cela l’aide à surmonter les épreuves auxquelles elle est confrontée. Dès qu’elle peut, elle s’évade et apprivoise la nature environnante. Sans doute une façon de faire taire ses questions sans réponse, oublier qu’elle est le souffre-douleur des adultes de l’orphelinat et même de certains enfants. Lily encaisse les humiliations quotidiennes et se réfugie, quand elle peut, dans la grotte du vieil ermite, qui conserve pour elle la robe qu’elle ne peut pas revêtir dans l’enceinte de l’établissement.
Soixante ans plus tard. Une jeune femme arrive sur l’île. Son père a vu un documentaire retraçant un scandale de maltraitance et de disparitions d’enfants dans un orphelinat de Jersey, depuis la fin de la guerre jusque dans les années quatre-vingts. Sa mémoire endormie avait occulté son passage en ces lieux durant sa petite enfance. Elle se réveille, parcellaire, anxiogène. Les images et les souvenirs longtemps contenus peinent à se frayer un chemin vers la conscience. De nombreux points d’interrogation hantent le père au point de pousser la fille à aller sur place trouver des explications. Dans son enquête pour tenter de reconstituer l’histoire, elle se retrouve face à l’austérité des iliens, enfermés dans le silence, soucieux de ne pas faire remonter à la surface les remugles d’une affaire dans laquelle ils ont été, peu ou prou, impliqués. Ils ont subi, fermé les yeux ou participé malgré eux à l’innommable. La narratrice, dans cette atmosphère oppressante, va-t-elle parvenir à extirper un semblant de vérité ?
Dans un décor sauvage battu par les vents, au relief aussi heurté que l’histoire racontée, Maud Simonnot fait s’affronter des personnalités brutes et des personnages sensibles. Cette dualité s’imprime dans le rythme du roman, dont chaque chapitre fait basculer le lecteur d’une époque à l’autre. Les récits pourraient presque se lire séparément. Ils se font cependant écho, totalement imbriqués. La voix bâillonnée puis tombée dans l’oubli de Lily a soudain l’espace pour se faire entendre, grâce à cette jeune femme qui cherche. Tout est confus au départ, dans un foisonnement de végétation et un excès de grisaille qui font penser à l’univers de Daphné du Maurier. Au fil des pages, la narratrice débroussaille lentement, recueille les indices. Les secrets peinent à percer tandis que du côté de Lily et du Petit à l’orphelinat, le drame se noue. Maud Simonnot excelle à insuffler de la poésie dans un environnement hostile. Dans une langue douce, elle signe une fois encore un roman magnifique sur la quête, l’identité, la paix par-delà les blessures.


L’heure des oiseaux. Maud Simonnot. Editions de l’Observatoire. 17€