mardi 13 octobre 2015

Mémoires de mon grand-père. 1939/1944






La guerre

1934 en bateau sur la Sarthe à Noyen, de gauche à droite, Daniel et Jeanne, mes grands-parents, avec des voisins.



 Mon grand-père (1903-1995) a écrit ses mémoires à l'intention de ses enfants. Mon père a retranscrit ce précieux témoignage sur ordinateur et scanné tous les documents photographiques et autres en sa possession. Les petits-enfants et arrières petits enfants (et arrière arrière petit fils !) ont ainsi accès à ces souvenirs. Ci-dessous le récit de la période 1939/1944. Mes grands-parents habitaient alors Noyen sur Sarthe (ainsi que la mère de mon grand-père, appelée grand-mère Blé) et avaient acheté en 1934 un commerce "café-charbon". Ils avaient un fils, Georges, né en 1931, mon oncle. Mon père naîtra en octobre 1944 (ma grand-mère est donc enceinte à la fin de cet épisode). Mon arrière grand-père (le père de ma grand-mère) était à l'époque chef de Gare à Rambouillet où il vivait avec sa femme et la plus jeune de ses filles, Yvette.
Ci-dessous l'histoire de cette période telle qu'il l'a écrite. Au milieu, je me suis permis d'intégrer les quelques lignes que mon oncle a rédigées concernant son souvenir de l'exode.






1939. Au moment où l’on commençait à tenir debout, la guerre survient. Mobilisé le deuxième jour, je laisse votre maman se débrouiller toute seule. Un collègue (un vrai) est venu se mettre à sa disposition pour livrer le charbon un jour par semaine puis, elle prit Ravenel avec ses chevaux. Évidemment, il n’était pas question de sortir de Noyen.


Livret militaire de mon grand-père


Je ne m’étendrai guère sur cette sombre période où, en plus du danger, nous couchions dehors avec 20 à 25° en dessous de zéro. Si l’hiver a été dur, j’ai eu la chance, au moment crucial, d’être envoyé en instance d’affectation spéciale à mon dépôt d’Angers (nous étions à la frontière du Luxembourg, à Aumetz). Le 10 mai, mes camarades rentraient au Luxembourg avec des fusils Lebel et des vieilles mitrailleuses pour affronter les chars allemands. Le résultat fut celui dont vous avez entendu parler.
Je fus affecté spécial dans une petite usine d’aviation près de Chartres, à Illiers. Au bout de trois jours, je demandai une permission pour venir chercher mes effets civils. En me promenant, j’attrapais une entorse et, au bout de quelques jours, un voisin me conduisit à Illiers. Le pays avait été bombardé la veille. Le directeur de l’usine me dit : « Nous nous replions sur Vierzon où une usine est en construction, mais je vous donne un conseil : rentrez donc chez vous et attendez les événements ». En rentrant, je mis deux fûts de 200 litres d’essence et deux malles de linge sur le Ford et nous attendîmes. Pour se rendre compte de notre état d’esprit de ce moment là, il faut avoir vécu l’exode. Des milliers et des milliers de gens, à pied, en voiture hippomobile et autres moyens. La grand-mère Hémery et Yvette étaient parties de Rambouillet en vélo pour venir à Noyen, mais les encombrements des routes, les bombardements des convois auxquels les civils étaient mélangés ont fait qu’elles se sont retrouvés très loin de Noyen, dans l’Orléanais je crois. Les Allemands passés, elles sont retournées à Rambouillet où tout leur intérieur avait été pillé. Pendant ce temps, le grand-père Hémery avait l’ordre d’emmener les fonds de la gare à Alençon et ils devaient tous se rejoindre chez nous. Mais le grand-père se retrouva seul. Au bout de quelques jours de recherche, il prit un train ou une machine qui remontait vers Paris et retrouva sa famille à Rambouillet.
Dans cette entrefaite, les Allemands étaient passés à Noyen et nous avions décidé de rester chez nous. Les Allemands avaient été précédés de peu par quelques chars français chargés de réduire ou freiner leur avance. C’est ainsi que le clocher de Saint Georges du Bois subit quelques dommages. Nous avons ce jour-là échappé à une bataille d’arrière garde. Les chars français voulaient s’installer sur la côte de Voisine, route de Parcé, mais après discussion avec le maire et devant le peu de personne qui avaient évacué, ils continuaient leur chemin. Les Allemands sont passés le soir et, grâce à la présence d’une réfugiée de Metz que nous logions et qui parlait Allemand, les contacts avec l’occupant ont été facilités.

Mon oncle Georges, surnommé Geo, avec Liliane



"Juin 1940, ce fut l'arrivée des allemands dans notre village. Fuyant devant eux, beaucoup de français s'étaient déjà jetés sur les routes. Ce fut l'exode. Notre exode à nous fut extrêmement modeste. Les Allemands arrivant par la route qui passait devant la maison, mon père décida qu’il serait quand même prudent de s’éloigner un peu et la veille de leur arrivée supposée nous partîmes dans une ferme sur le chemin de « sans or » situé derrière la gare des marchandises, c’est à dire à quelques centaines de mètres de notre maison. Ayant appris le lendemain que les Allemands ne fusillaient pas tout le monde, nous revînmes à la maison et commença alors pour nous la période de l'occupation."


Il a fallu alors s’accommoder de cette situation, de la disparition du charbon (de 1940 à 1948), et pratiquement sans bière. Il a fallu changer son fusil d’épaule. J’ai acheté des coupes de bois à Saint Jean du Bois, j’ai embauché deux bûcherons, j’ai fabriqué une scieuse et une casseuse (je n’avais pas les moyens d’acheter). Je vendais le bois en sacs que nous livrions avec une voiture à bras. Ce n’était pas le Pérou mais cela a permis de vivre les quatre ans d’occupation, aidés par le café que j’alimentais (illégalement bien sûr) en vin d’Anjou que j’allais chercher à Nueil sur Layon, à l’aide d’un camion à Coudreuse que celui-ci me prêtait malgré les risques. Nous avons toujours eu la chance de passer à travers les contrôles (nous rentrions vers 2h du matin quand le couvre feu était à 10h). Nous n’avons, dans cette période, pas trop souffert du ravitaillement. Le pain était noir, mais nous n’en avons pas manqué. Je détenais dans le fond de la brasserie (illégalement bien sûr) une tonne de blé ou de farine appartenant à un boulanger. Nous allions la nuit emmener  du blé au moulin de Denneré à Avoise et nous ramenions la farine.



Certificat de démobilisation


La chasse au furet nous alimentait en lapins qui pullulaient (il n’y avait pas de myxomatose), la chasse étant interdite. Je suis allé plusieurs fois avec mon ami Bouvet, la nuit, muni d’un phare à acétylène et d’une bouteille de gaz dans le dos. Le premier était ainsi équipé et le second tenait debout une espèce de carrelet qui coiffait les perdreaux endormis. A Saint Jean du Bois où j’avais des coupes de bois, deux sangliers furent pris au collet.
Le premier bombardement de Noyen, dans la première dizaine de juin 1944, nous a un peu surpris, mais nous avons pensé à une erreur puisque les voies de chemin de fer étaient coupées à Sablé et au Mans. Le deuxième survint dix jours après. En 3 minutes, 580 bombes (plus celles tombées dans la rivière). Il s’est étendu du début du canal jusque de l’autre côté de Lainor, sur une largeur de 200 mètres. Pas une bombe ne toucha le pont, mais ce coup là, nous avons eu un peu d’émotion dans la famille et c’est vraiment un miracle qu’il n’y eut que 4 tués à Noyen.
Nous sommes alors allés nous installer à la Baluère. Monsieur De la Taille avait mis à notre disposition deux pièces dans les dépendances. Nous y avons séjourné, votre mère, la grand-mère Blé, Geo et moi pendant deux mois. Nous avons assisté de là-bas au troisième bombardement de Noyen. Cela ne fait pas du tout le même effet que quand on est dessous.
La libération de Noyen s’est faite le 6 août 1944 sans casse. Les Allemands avaient miné la route de Malicorne et les quelques troupes qui s’y trouvaient s’étaient éclipsées. Les Américains attendus sur la route de Sablé sont arrivés par Hierray, Tassé et sont remontés par la route de Fercé. A Hierray, quelques SS ont voulu barrer la route aux Américains mais ils ont été transformés en passoire en quelques secondes. La route de Hierray n’était pas goudronnée à ce moment là et, de la Baluère, nous voyions un énorme nuage de poussière. Les troupes ont passé Noyen sans encombre et ont trouvé à Vaulogers une unité de chars Allemands sans liaison avec les autres troupes ; surpris, ils ont été hachés à coups de canon. C’est le seul fait saillant de la libération.






Fin

En mai fais ce qu'il te plaît.


Quand on me demande d'aller à la projection presse du quatrième film de Christian Carion, je sais à peine de quoi il retourne. Transportée dans les années 40, happée par l'univers du réalisateur, je ressors deux heures plus tard, sonnée. J'avais été envoûtée par "Joyeux Noël". Dans la même veine, "En mai fais ce qu'il te plaît" apporte un regard nouveau sur cette période de l'histoire. Je rentre à la maison, chargée de rédiger des questions à poser à Christian Carion pour le surlendemain, lors de l'avant-première. Je me documente, griffonne quelques idées sur mon carnet et mercredi, pars la fleur au fusil à la "conférence de presse". J'imagine naïvement une table et un micro, un staff ; en face, des journalistes à la Tintin, appareil photo en bandoulière et calepin en main... Si toutefois je suis à court d'idées, les autres en auront à ma place. A mon arrivée au cinéma, mes projections mentales volent en éclat sans pour autant (et c'est là que je me surprends) que la panique me gagne. Le directeur de Cap Cinéma, avec lequel je fais du même coup connaissance, m'indique que nous serons deux à poser des questions. Nous nous installons dans une alcôve aménagée en salon et devisons en attendant l'arrivée du réalisateur. C'est un moment informel et précieux, au cours duquel la conversation tourne autour du cinéma bien sûr, de la programmation dans une petite ville comme Beaune ou des événements tels que l'avant-première d'aujourd'hui... 





Christian Carion arrive détendu et souriant, se cale dans un profond canapé, accepte un café et engage la conversation comme si nous nous connaissions depuis toujours. Il parcourt la France depuis le 19 septembre pour présenter son film qui raconte l’exode de mai 1940 vécu par les habitants d’un village près d’Arras. 
Le soleil d’automne inonde le petit salon, les musiques de films d’Ennio Morricone, intemporelles, offrent un fond sonore discret à l'entretien qui commence. Tarantino et ses Inglourious Basterds ne sont pas loin.

Entretien avec un homme passionné et passionnant.

Comment se passent les projections ?
Super bien ! Les gens découvrent un sujet qu'ils pensaient connaître, c'est beaucoup d'émotion. Il y a énormément de descendants directs de personnes ayant vécu l'exode qui en parlent à la fin des projections, c'est l'occasion de lâcher des choses. Il faut savoir que quelques huit millions de personnes ont été jetés sur les routes. C'est la plus grande migration jamais connue en France. Le film remue tout ça !

Qu'est-ce qui vous a donné l'idée de faire un film sur ce thème ?
J'ai été touché, enfant, par le récit de ma mère sur cette période. J'avais envie d'en parler, de lui montrer ce que je pouvais en faire, mais j'ai attendu d'avoir un peu de bouteille. Il s'agit d'une reconstitution historique ; quasiment tout est tourné en décors naturels. Je me suis d'ailleurs battu pour que le tournage ait lieu en France, avec des figurants pour qui cette période voulait vraiment dire quelque chose. Je ne voulais pas aller à l'étranger avec des gens pas concernés, je voulais dépenser l'argent en France. Il y avait beaucoup de tension... Quatre-vingts techniciens, une impressionnante figuration, les enfants, les chevaux... Une file d'acteurs de 300 mètres !

Vous avez lancé un appel à témoignages. En avez-vous reçus beaucoup ? Comment les avez-vous triés, sélectionnés, pour construire votre scénario ?
J'avais reçu de nombreux témoignages de fraternisation pour Joyeux Noël. J'ai voulu faire pareil. J'ai été inondé... Des lettres, des enregistrements d'enfants qui sont allés interroger leurs papy, mamy... Une personne a été embauchée pour tout trier par catégorie (exode urbain, exode rural etc...) et a fait une première sélection. J'ai fait la mienne ensuite. Mais il y en a tellement que nous avons décidé de faire un livre qui en regroupe un certain nombre qu'on n'a pas pu mettre dans le film et qui s'appelle "Paroles d'Exode". Par ailleurs, tous les récits recueillis ont été transmis aux archives, pour les historiens, par devoir de mémoire. C'est une mine, ce qu'ont vécu ces gens...

Y a t-il dans votre film des personnages qui vous touchent plus que les autres ?
 Je les aime tous. J'ai beaucoup planché sur les personnages avec Laure Irrmann. Laurent Gerra par exemple interprète le voisin de ma maman. Il avait une cave exceptionnelle. C'est véridique. Il ne voulait pas laisser ça. Il a mis trois jours à s'en remettre. Dans la vraie vie il n'est jamais parti. Sa femme l'avait attendu. Quand il a émergé, les allemands étaient déjà là.

Comment s'est fait le choix des acteurs ?
Vous savez, je suis sensible à l'état d'esprit d'un tournage. Je pense que s'il y a une bonne ambiance, ça passe sur la pellicule (même s'il n'y a plus de pellicule !). Je me pose la question : Ai-je envie de passer trois mois avec cet acteur ? J'ai su m'entourer des gens qui  conviennent et se sentent bien. Et ça déteint ; l'ambiance était exceptionnelle, notamment avec Laurent Gerra qui est quelqu'un de très attachant, sensible à l'amitié ! Pour le petit garçon allemand, ça a été plus compliqué, un vrai casting ! J'ai fini par trouver cet enfant, qui parlait trois langues et à qui j'expliquais simplement ce que j'attendais de lui : Il faisait et ensuite il repartait jouer. Quand je lui ai demandé s'il voulait devenir acteur, il a répondu non ; il s'ennuyait, le cinéma, c'était trop lent !

On découvre justement un Laurent Gerra émouvant, qui réussit à nous faire totalement oublier l'autre, l'humoriste. C'était un pari osé ? 
Il avait peur, mais ça me fait plaisir ce que vous dites parce que je lui ai dit d'avoir confiance et qu'il réussirait. C'est gagné !

Parlons d'Ennio Morricone ! Comment avez-vous obtenu qu'il écrive la musique de votre film ? 
Large sourire de Christian Carion... 
Cela faisait trente ans qu'il n'avait pas composé pour un film français, je crois que le dernier c'était "Le Professionnel" avec Belmondo*. Au départ, mon idée était de faire un western, avec des chevaux, des grands espaces. Pendant l'écriture, je voulais Ennio Morricone. En fait, je devais travailler avec un autre compositeur, qui s'est avéré indisponible. Au moment de la post-production, ma monteuse m'a dit qu'il lui était impossible de travailler les images sans son alors on a bricolé avec des musiques d'Ennio Morricone (Il était une Fois en Amérique, Mission...) et ça rendait super bien. Mais il n'était pas question pour moi d'utiliser des compositions déjà existantes. Le producteur a alors suggéré de contacter Ennio Morricone. Je n'osais pas. Ils l'ont fait sans me le dire. Je me suis retrouvé à Rome face au maestro. Il avait profondément aimé le film qui n'était selon lui pas un film de guerre mais un film qui se passe pendant la guerre, et il voulait, avec sa musique, accompagner "le peuple des routes qui cherche sa liberté". Après cette rencontre, Ennio Morricone a vérifié que le nom du film serait conservé. Il a dit qu'il ne fallait pas en changer parce il y avait du printemps dans ce titre.

Alors pourquoi ce titre justement ?
Mai 1940 a été le plus chaud de tout le XXème siècle. Ma maman, qui avait 14 ans à l'époque, possédait un vélo et faisait l'éclaireuse. Elle m'a dit que cela avait été le plus beau mois de sa vie ! "Du jour au lendemain, plus d'école, l'aventure, il fait beau, on ne sait pas de quoi sera fait demain, on dort à la belle étoile et les adultes nous disent d'aller voler de quoi manger dans les maisons !" La naïveté, la fraîcheur et le décalage dans le titre sont complètement assumés.

Comme dans "Joyeux Noël", on retrouve dans "En mai fais ce qu'il te plaît" cette façon de traiter un sujet en vous plaçant du côté de l'humain. Jusque-là, à ma connaissance, on n'a pas fait de film montrant l'exode de l'intérieur. On ne voit de cette période que quelques minutes au début des films qui montrent les colonnes de gens qui fuient...
C'est vrai. Dans Joyeux Noël, on a parlé de la fraternisation... C'était inédit, personne ne savait. Il y a eu une censure, surtout du côté français. Or, cela appartient aussi à l'histoire. Je me suis battu pour faire construire un monument en mémoire de cette fraternisation. Ce qui m'intéresse, ce sont les gens ! Dans la cave avec les trois acteurs (qui jouent respectivement un français, un réfugié politique allemand et un soldat écossais.NDLR) j'avais la sensation d'être dans un Joyeux Noël autour du vin ! L'intérêt, c'était de traiter le sujet autrement. Ce qui est difficile, c'est de faire un travail original et sincère. Vous savez, la propagande allemande était extrêmement bien faite. En 33, le slogan c'était " Du travail et du pain". Or, à ce moment-là, c'était ce dont les allemands avaient besoin. Après, ça a été l'engrenage ! Les premières victimes du nazisme sont des allemands. C'est pour ça que le film ouvre sur un allemand ! Je ne voulais pas faire un film franco-français alors que je parle d'une guerre mondiale. 

Dans votre film il y a donc un allemand, communiste, qui fuit son pays et un soldat écossais isolé qui cherche à rejoindre ses troupes. Pourquoi écossais ?
J'aime la cornemuse ! Et mon père nourrissait un culte pour les anglais. Mon grand-père racontait qu'il voyait passer les forteresses volantes qui allaient bombarder l'Allemagne et passaient au-dessus d'eux en formation en V. Le soir, ils repassaient dans l'autre sens et laissaient vide la place des avions qui ne rentraient pas. C'était impressionnant. Il faut se rappeler que Churchill a dit non à Hitler en 40. Et s'il n'avait pas dit non, où en serait-on aujourd'hui ? C'est pour ça qu'il y a aussi un soldat britannique dans mon film.


Avez-vous envie d'ajouter quelque chose ?
De manière plus personnelle, je voulais montrer ça à ma maman, qui a quatre-vingt-dix ans. Quand elle a vu le film elle a dit : "ça s'est passé exactement comme ça". Je suis tellement content d'avoir fait ce film pour ça. Je pense être allé au bout de ce que je devais à mes parents. Je finis un cycle familial. J'ai aussi envie de parler du chemin qu'on voit à la dernière image du film. Il est très important. Avec le bruit du vent dans les épis... Et l'enfant qui fait le trait d'union entre deux personnes qui ne se connaissent pas...






A la suite de ce long entretien, dont je livre une version non exhaustive et dans son jus (c'est à dire une simple retranscription des paroles),  nous pénétrons dans la salle obscure, quelques secondes avant le générique de fin. Les lumières se rallument, les applaudissements jaillissent. L'émotion des spectateurs est palpable. Christian Carion, intarissable, répond avec le sourire à toutes les questions. Nombreuses et pertinentes, elles donnent lieu à un vrai échange entre le réalisateur et ceux qui se sont déplacés, essentiellement des collégiens et des lycéens.

On apprend par exemple qu'un cadreur était caché, en costume, parmi les acteurs et qu'il est tombé en admiration devant l'oie emportée par les villageois.
Christian Carion livre quelques poignants témoignages qui ont inspiré des passages du film :" Une dame qui avait 7 ans à l'époque, a perdu ses parents et s'est retrouvée seule avec son frère de 5 ans. Une nuit, réfugiés dans une grange, ils sont tombés sur un soldat allemand blessé qui leur a demandé de l'aider à mourir".

 Le réalisateur fournit des chiffres qu'on ne donne pas dans les manuels d'histoire : "800000 allemands ont fui leur pays. 300000 se sont réfugiés en France, pays des droits de l'homme. Les français, craignant qu'ils ne soient des espions, les ont parqués dans des camps militaires. Lors de la capitulation, Pétain a remis les clés de ces camps aux envahisseurs ; ces allemands ont été les premiers à être déportés".

Quand certains soulignent les nombreuses références à 14/18 dans le film, le réalisateur rappelle que sa région a été le siège de la première guerre mondiale et que les traces sont indélébiles. En parler est incontournable. Chaque fois qu'un agriculteur retourne son champ il trouve un obus. Le calcul a été fait, il y en a pour 7 siècles à remonter des obus ainsi ! Où qu'on aille dans cette région, on rencontre 14/18. Les élèves dans la salle, attentifs, boivent littéralement les paroles de Christian Carion.
Ce dernier ajoute qu'il y a de nombreux cimetières britanniques ; d'ailleurs, la terre sur laquelle ils sont implantés est propriété britannique. Et le réalisateur d'insister : La deuxième guerre mondiale a pour point de départ la première.

Les avions que l'on voit dans le film ne peuvent en réalité plus voler. Tout a été fait par ordinateur et a représenté plus de huit mois de travail. La séance de mitraillage, qui dure 2 minutes, a demandé une semaine de tournage. Il y avait un modèle réduit d'avion qui volait pour que les acteurs aient un point de repère et regardent tous dans la même direction. L'équipe avait disposé des petits explosifs au sol qui éclataient au passage des acteurs ; cela faisait des tout petits bruits. Il y a un gros travail de post production en son !

Quant aux panzers, il n'y en avait que 4. Ils ont été filmés un coup à gauche, un coup à droite... Au montage, on additionne pour faire croire qu'il y en a beaucoup. Le cinéma est un art collectif !

 A la question : Avez-vous voulu faire un film d'actualité? Christian Carion rappelle que l'élaboration d'un film dure plus de trois ans donc, non, il est là pour raconter des histoires pas pour délivrer des messages (ce qui ne l'empêche pas d'être sensible à l'actualité) ; et de citer avec humour Hitchcock : "Le cinéma n'est pas là pour apporter des messages puisqu'il y a la poste".

Il parle avec émotion du personnage de Suzanne, l’institutrice, qui grandit tout au long du film, notamment quand elle protège les enfants en leur faisant réciter la fable de la Fontaine, le Rat et le Lion. Je n'en dis pas plus pour ne pas dévoiler la fin...

Il évoque les gens qui écrivaient partout sur les portes pour se laisser des messages et essayer de se retrouver. Personne n'effaçait ces messages.

On parle aussi de films à voir et à revoir comme "Les moissons du ciel", "Les portes du Paradis", ou encore "Jeux Interdits". Vous verrez un clin d’œil tout à fait inconscient du réalisateur à Brigitte Fossey !

L'heure tourne et Christian Carion doit partir pour Mâcon... Il accepte néanmoins de poser pour une photo en compagnie des élèves de l'EREA, venus avec leurs professeurs.


En conclusion : "En mai fais ce qu'il te plaît" est une fresque inédite, pédagogique et sincère servie par des acteurs attachants et authentiques. Une belle réussite. Dès le 4 novembre, courez le voir !



On a tous une anecdote au sujet de l'exode, dit Christian Carion. J'ai beau chercher, je ne vois pas. Ma famille, originaire de l'ouest de la France, n'a, je crois savoir, pas été concernée. Mais quand j'évoque le sujet du film avec mon papa et mon oncle, ils ont tous deux des choses à raconter !
Et vous, quels témoignages avez-vous ?


*Il s'agirait en fait du film "Le Marginal" de Jacques Deray, avec JP Belmondo, 1983.

Article à lire dans echosdcom ou sur www.echosdcom.fr