lundi 31 décembre 2018

Minuit au lit

Cette injonction de faire la fête le 31 décembre ! Cela horripile Antoine. La bande de potes l’a appelé, un peu au dernier moment. « On se retrouve tous chez Pascal. Tu viens ? ». C’est tentant, on va rire et picoler. A minuit, il y aura bien un couillon pour avoir pensé à sortir les langues de belle-mère et les cotillons. On sera ensemble. Chacun noiera son désespoir dans un verre de prune ou de poire. Antoine regarde Juliette. Sa fiancée est installée sur la méridienne. Elle a arrêté de lire. « A quoi penses-tu ? » demande Antoine. « A ce qu’on va bien pouvoir inventer pour ce réveillon ! ». La jeune femme sourit.
« Et si on ne bougeait pas d’ici ? ». Juliette regarde Antoine, amusée. Il a son air de ne pas y toucher. Les yeux du type qui prépare un bon coup : « Je m’occupe de tout ! ». Il descend chez le traiteur au coin de la rue et choisit, un peu au hasard, quelques douceurs parmi les plats n’ayant toujours pas trouvé preneur à 19 h. Puis, il fonce à la pâtisserie et chez le caviste. Enfin, il rentre à la hâte avec son butin. Le camoufle dans le réfrigérateur. Juliette n’a rien vu. Enroulée dans un plaid, elle regarde pour la cent douzième fois “Autant en Emporte le Vent”.
Antoine s’active en cuisine. Vers 21 h, il allume les bougies, tout est prêt. A la radio, Juliette Armanet susurre doucement : « C’est lui l’amour de ma vie, je sais que c’est lui, tout me le dit ». Le téléphone sonne. Antoine décroche : « Non, on reste là, tout va bien, amusez-vous ». Juliette chante avec Juliette : « En lui tout est infini, le jour comme la nuit, je suis à lui ».
A 23 h 30, Juliette et Antoine se glissent, nus, dans leur grand lit. N’est-ce pas merveilleux de terminer l’année de cette façon ? Il est minuit dix. Encore mélangés, Antoine et Juliette se regardent : « Bonne année mon amour ! ».

Jetlag

Cette année, John a décidé d’épater Tatiana. Il est fou amoureux de cette russe de vingt ans sa cadette et il a décidé de rendre ce réveillon inoubliable. Ou plutôt ces réveillons. John a plus d’un tour dans son sac. D’un saut de jet, ils se sont rendus de Londres à Paris. Impossible d’envisager les fêtes de fin d’année sans un passage chez Dior et Cartier. 29 décembre. Après le shopping, direction Le Bourget. On part à l’autre bout du monde. Là où c’est l’été. Destination : Sydney, Australie. Tatiana marque un temps d’arrêt. A-t-elle bien emporté ses bikinis, ses tenues de plage et ses robes légères ? Oui. Elle sourit aux anges et John n’est pas mécontent. Il a sa « résidence secondaire dans tous les Hilton de la Terre ». Champagne, petits fours. La vie est une fête permanente. A Sydney, on retrouve la Jetset. Le yacht de Bernard est en position. A minuit, le 31 décembre, douze minutes de pause pour admirer les feux d’artifice lancés des quatre coins de la baie dans une synchronisation parfaite. Happy New Year. Dans les rires, John lance : « Hey, here we go again ?* » Sur le tarmac, Tatiana met du temps à remarquer qu’on n’embarque pas dans l’appareil habituel : « Qu’est-ce que ça veut dire ? ». « On part fêter le nouvel an à Los Angeles Baby ! » annonce John, pas peu fier de son effet. 19 heures de décalage horaire séparent Los Angeles et Sydney. Il est donc possible de célébrer deux fois le Nouvel An en se rendant d’abord à Sydney, puis à Los Angeles. La planète tourne sur elle-même à une vitesse de 1 670 km/h. Aucun avion civil n’est suffisamment rapide pour physiquement remonter dans le temps, mais le Gulfstream G650ER, le jet privé le plus rapide du monde, est capable de le rattraper en se déplaçant d’est en ouest… « Amazing » s’exclame Tatiana en battant des mains.  John pose une paume sur les reins de sa dulcinée pour l’aider à pénétrer dans l’avion. Faire plaisir à la femme qu’on aime, ça n’a pas de prix !

*On remet ça ?

mardi 25 décembre 2018

Solidarité en Seine


Marie se prépare pour un Noël peu ordinaire. Avec son mari et leurs quatre enfants, de grands adolescents très sympathiques, elle a mis en place une tradition pour le 24 décembre. Les repas de famille interminables où parfois l’hypocrisie fait foi, très peu pour elle. La messe de Minuit ? Voir son odieuse voisine du cinquième pencher religieusement la tête et tendre la main en signe de paix, sourire angélique aux lèvres, avant de déverser son fiel à peine sortie de l’église ? Ça lui donne la nausée. Non, Marie a décidé de vivre sa foi en l’humain en entraînant toute sa famille pour un réveillon solidaire au fil de la Seine.
Le Secours Catholique, avec l’Association des Cités du Secours Catholique, invite environ 600 personnes – des familles et des personnes isolées, accompagnées ou hébergées tout au long de l’année par le Secours Catholique et l’ACSC – à vivre une soirée un peu exceptionnelle : un réveillon “dîner croisière” sur la Seine, à bord de cinq bateaux-mouches spécialement affrétés. Marie et sa famille sont bénévoles. Ce soir-là, ils se mobilisent avec une centaine d’autres volontaires pour servir, animer et partager. L’occasion pour eux d’agir concrètement au service de l’autre, de mettre en pratique l’esprit de Noël. Il fait nuit quand les premiers participants montent à bord. Tout est prêt. Les tables rondes ont été dressées, des paillettes saupoudrées sur la nappe. Le menu cartonné posé au centre.
Une population chamarrée se mêle aux bénévoles. Lesquels sont le plus heureux ? Difficile de le dire. On parle, on chante, on danse. On rit, on plaisante, on apprend à se connaître. On se découvre dans un cadre différent. Roger, sans domicile fixe, s’est mis sur son 31. Il commente : « C’est chouette de se retrouver un petit peu comme en famille ». Une jeune femme maquille les enfants qui le souhaitent. Des ballons de baudruche s’envolent. Marie sourit à son mari. Tout cela donne du sens à la vie. Leur famille a beaucoup reçu, elle trouve normal de “redonner”. Nicolas, son petit dernier, 16 ans, râle pour tout à la maison. Casque sur les oreilles, allure dégingandée, il traîne son adolescence depuis le canapé du salon jusqu’au ramassis de bazar qui lui sert de chambre. Marie s’époumone souvent. Ce soir, il passe à côté d’elle avec un plateau chargé de vaisselle sale. Il lui fait signe et  glisse : « On passe un bon moment, hein ? J’aime bien faire plaisir aux gens, me sentir utile ! ». Quel beau cadeau ! Marie se dit : « Le voilà le miracle de Noël ! ».


dimanche 23 décembre 2018

Divins enfants

 Monique, furibonde, raccroche le téléphone. Ils commencent à la chauffer sérieusement. Faites des gosses, tiens ! Entre celui qui veut passer quelques jours aux sports d’hiver, la bru qui refuse de laisser ses parents, les ex avec lesquels il faut jongler, Monique en a ras la frange de Noël. Couper les cheveux en quatre depuis des années et trouver une date pour satisfaire tout le monde, elle ne peut plus ! Elle entre dans le bureau de Georges, bien décidée à lui faire admettre qu’il faut jeter l’éponge ou il y va de sa santé mentale. Il ne la laisse pas parler : « Viens t’asseoir à côté de moi » ordonne-t-il. Son sourire bienveillant apaise immédiatement Monique. D’un signe de tête, il lui suggère de jeter un coup d’œil à la page internet qu’il est en train de consulter sur son ordinateur. « Ma chérie, prononce-t-il tout doucement, cela fait bientôt un demi-siècle que nous bichonnons tout le monde. Il serait peut-être temps qu’on s’occupe un peu de nous ! Non ? ».


Pas besoin de plus de mots. Le programme est décidé en quelques minutes. Le 19 décembre, on réserve un vol Paris-Tel Aviv. Un joli hôtel de la vieille ville, dans le quartier de Jaffa, permettra de se reposer avant de prendre la route vers le nord en direction de Haïfa, Saint-Jean d’Acre puis Nazareth. Monique et Georges rêvent de ce voyage depuis des années, sur les pas des premiers chrétiens. Retour au sud-est pour rejoindre Jérusalem, berceau des trois grandes religions monothéistes. Le 24 décembre, on se rendra à Bethléem pour assister à la messe traditionnelle en l’église franciscaine Sainte-Catherine, chapelle latine de la basilique de la Nativité. Certes, le décor n’a pas grand chose à voir avec l’étable, mais quel chrétien n’a pas espéré y faire le pèlerinage ? La deuxième partie du voyage sera moins spirituelle et plus touristique. Direction le Sud avec une halte sur la Mer Morte, dans laquelle Georges a toujours eu envie de plonger. Enfin, plonger… se laisser flotter. Évasion au milieu du Néguev ensuite, avant d'achever le séjour à Eilat, ville peu intéressante mais posée dans un décor somptueux. C’est là, au bord de la Mer Rouge, face aux montagnes pourpres et ocres de Jordanie que Monique et Georges basculeront dans la nouvelle année. Les pieds dans l’eau pour fêter cinquante années d’amour.


Contes de fin d'année


Mamy n’aime pas les huîtres. Le beau-frère de Michel est un abruti. Il passe sa soirée du réveillon à critiquer le repas et les convives. Les enfants sont surexcités. Stéphanie a autant envie de décorer le sapin que de se pendre. Il reste environ cinquante lignes sur la “to-do” liste à quelques heures de la réception. Vous avez échangé plus de cinq noms d’oiseaux avec votre chéri(e) dans les dernières 24 heures… Bref, vous en avez ras la casquette des fêtes de fin d’année ! Vous êtes mûrs pour changer de cap et choisir des agapes insolites !


A suivre, histoires courtes à lire avant, pendant et après Noël.
  
Je vous souhaite de Joyeuses Fêtes !

jeudi 18 octobre 2018

La bibliothèque c'est chouette !

Qu'on se le dise. Mon péché mignon est de posséder les livres. J'ai énormément de mal à les emprunter. Surtout parce qu'il faut les rendre. Mais la logistique -le rangement quel casse-tête- et le budget m'obligent à réfléchir à deux fois. Et si je prenais le réflexe "bibliothèque" ?
L'inscription est une formalité. Cela fait du bien dans un monde où pour la moindre démarche il faut fournir une liste impressionnante de justificatifs.
Voici quelques ouvrages glanés au gré de mes déambulations.



Un livre de recettes : pourquoi encombrer ma cuisine avec un bouquin dont je ne vais extirper qu'une ou deux recettes fétiches ? Je consulte scrupuleusement l'ouvrage et relève uniquement les réalisations qui me font envies et qui semblent à ma portée. En terme de goût, d'ingrédients à réunir et de difficulté de réalisation. Pour l'heure, une seule tentative : une crème anglaise à la farine de châtaignes. Surprenant mais plutôt bon.

Un DVD : N'ayant pas la télévision, je ne peux faire découvrir à mon dernier fils les classiques lors des nombreuses rediffusions. Or, j'ai constaté combien il apprécie ces vieux films... Le voir hilare devant Oscar ou La Folie des Grandeurs me réjouit. Cette fois, le Mur de l'Atlantique n'a plus de secret pour nous. Ou comment Bourvil, restaurateur, se retrouve, à la suite de malentendus, embarqué dans la résistance avec un aviateur anglais, dont il ignore qu'il sera un jour son gendre.

Une BD : Effet Livres en Vignes oblige, je passe devant les BD, j'en choisis une... au hasard ? Drôle de hasard. L'intrigue du "Clos de Bourgogne" se déroule sur nos terres, entre Beaune et le Clos de Vougeot. Un domaine en Vente est très convoité par l'ennemi juré du vendeur. Pourtant, ce dernier avait certifié que jamais il n'arrêterait de faire du vin. Une journaliste mène l'enquête pour comprendre l'origine de la brouille et la raison de la vente. Bon intermède entre deux romans.

Enfin, un roman de la rentrée littéraire et pas des moindres. Je tergiverse depuis des semaines à lire "La vérité sort de la bouche du cheval". L'histoire d'une prostituée au Maroc m'attirait moyennement. A la bibliothèque, le livre est en bonne place sur la table des nouveautés. Il fait partie d'une sélection de six ouvrages pour lesquels les lecteurs peuvent décerner leur Prix. Allez, je me prends au jeu et embarque le premier roman de Meryem Alaoui (Gallimard).
Dans un premier temps, je suis décontenancée par le style, emprunté au langage parlé. Il y a cette femme encore jeune, qui glisse sur la pente de la déchéance. Le ton gouailleur, les cigarettes, la bibine, tout y est. Jmiaa raconte son quotidien de prostituée édulcoré pourtant de détails trop sordides. Avec un naturel déconcertant et sans jamais s'apitoyer sur son sort, elle raconte son parcours depuis Berrechid et la maison familiale jusqu'à ce quartier de Casa où elle vend ses charmes. Un jour, l'arrivée d'une réalisatrice surnommée Bouche de Cheval, va tout bousculer. Le choix d'écriture de l'auteur est totalement juste. Ça infuse si bien qu'on se laisse happer par ce personnage féminin haut en couleur qui dit ce qu'elle pense sans détour. Jmiaa se trouve entraînée dans le tournage du film. Son incursion dans le monde du cinéma, un univers totalement nouveau, est drôlissime. On est envoûté par cette femme naïve et forte qui fait face à son destin grâce à une opportunité qu'elle n'a pas créée. Une fois encore, le message passe de regarder au-delà des apparences et de se répéter que même si la vie ne nous a pas épargnés, il n'est pas interdit de croire en sa bonne étoile !

Meryem Alaoui à droite, à côté de Catherine Faye à Livres en Vignes.

mardi 9 octobre 2018

Il était une fois... peut-être pas.



Cette ritournelle m'a accompagnée tout le long de la lecture du livre éponyme d'Akli Tadjer. Je n'ai pas choisi ce roman. C'est son auteur qui me l'a conseillé, lors du salon Livres en Vignes. Au petit bonheur ? Quelle chance ! Je me suis plongée dans cette lecture avec curiosité … Et j'ai envie de vous en dire beaucoup et plus encore.

Myriam est partie faire ses études à Toulon. Elle a quitté l'enfance et la maison laissant Mohammed seul et désœuvré. Un week-end, elle rentre à Paris avec un gus : « Prépare-toi papa, je te le présente dimanche. ». Le gus en question, un gaulois pâle et blond, Gaston Leroux (comme la chicorée, le romancier ou les deux) veut trouver un travail dans la capitale. Il a quitté sa famille qui n'apprécie pas la peau mate et les cheveux de jais de Myriam. Mohammed ne voit pas ça d'un très bon œil mais ne peut refuser de l'héberger. Une fois la jeune fille repartie, le tête à tête s'annonce houleux. Dans la chambre de Myriam où il se réfugie, Mohammed narre des contes d'Orient. Lucifer, un chat noir en peluche, Cruella, poupée blonde, et Bla-bla, le perroquet en plâtre, sont suspendus à son récit. Il était une fois... peut-être pas. Le Grand IL, le djinn qui sait tout, complète le discours de Mohammed. Deux histoires s’entremêlent, entre la France et l'Algérie, entre le passé et le présent.
La belle Awa vit près d'Alger au début du XIXème siècle. Elle part faire fortune en vendant des éventails. Elle reviendra au village de son enfance les mains vides et enceinte. Myriam quant à elle, change de cap et met les voiles. Mohammed s'inquiète et voudrait lui faire entendre raison. Pendant ce temps, Gaston et lui s'apprivoisent. Rachel, une jolie psychanalyste, entre dans la danse... Comment tout cela va-t-il se terminer ? Pour le savoir, laissez-vous envoûter.
Plongez dans deux univers parallèles, entre le foisonnement d'Azur et Asmar et la beauté rude de la vie parisienne. Les références à la littérature française sont nombreuses, comme des clins d’œil à notre culture si riche. On traverse deux siècles d'histoire avec légèreté grâce à l'écriture douce, drôle et sensible d'Akli Tadjer. Avec une infinie tolérance, il montre à quel point tout n'est pas noir d'un côté et blanc de l'autre. Des méchants il y en a de tous les bords. Des gentils aussi, dieu merci !
« Lorsque Charles sut lire et écrire, il interpella son père pour savoir ce que signifiaient les tatouages sur ses avant-bras. Chems prit l'index de son fils et lui fit parcourir les arabesques qui sinuaient jusqu'au coude. Sur l'avant-bras droit, il était calligraphié : Sous la protection d'Allah. Sur l'autre avant-bras c'était : vive la France ! ». L'auteur revisite la longue et complexe histoire entre la France et l'Algérie, sans jamais émettre de jugement. Il évoque aussi le racisme, les secrets de famille, la religion, le danger de l'intégrisme...
Tout tient finalement dans le titre : « Il était une fois... peut-être pas ». La vie c'est parfois démêler le vrai du faux, de la petite histoire de notre famille à celle avec un grand H qu'on apprend à l'école. Au final, que retenir à part la force de l'amour ?


Il était une fois... peut-être pas, un écrivain français, né en France, traduit dans de nombreux pays et dont certaines œuvres ont fait l'objet d'adaptations cinématographiques. Un professeur de français, dans un lycée du nord de la France, prépare une rencontre avec Akli Tadjer. Elle propose à ses élèves la lecture du roman : « Le porteur de cartable », l'histoire d'une amitié improbable entre deux enfants de dix ans à la fin de la guerre d'Algérie. L'un, Raphaël, est réfugié pied-noir, l'autre, Omar, fils de militants du FLN, n'a jamais mis les pieds de l'autre côté de la Méditerranée.
Levée de bouclier de certains élèves qui refusent d'étudier le livre. Le crime d'Akli Tadjer ? Porter un nom en rapport avec ses racines. Le professeur envoie un mail, rendu public par l'auteur, pour expliquer la situation. Les élèves estiment que l'histoire ne concerne pas la France (tiens donc !). L'un deux a même refusé de lire à haute voix un extrait pour ne pas prononcer le nom « Messaoud ». On croit marcher sur la tête !
Sidération. Comment combattre l'ignorance et le manque de curiosité ? Que connaissent ces jeunes gens de la littérature et de la France ? Piètres armes que l'inculture et l'agressivité. Comment débattre, développer des idées quand on ne voit pas plus loin que... le bout de son smartphone ? N'y a-t-il pas en France d'autres perspectives que le repli sur soi, la télé-réalité, la haine de la différence et l'ouverture des centres commerciaux le dimanche ?
Akli Tadjer ne s'est pas démonté et ira rencontrer ces élèves. Avec l'espoir d'éveiller des consciences, de lever les malentendus. De raconter une histoire que ces jeunes, s'ils ôtent leurs écouteurs, se donneront peut-être la chance d'entendre. Il était une fois peut-être pas... Aller au delà des apparences et découvrir ! Si on faisait venir aussi les parents ? Qu'on leur mette dans les mains un bouquin ? Ils y verraient tout ce que l'on peut apprendre, voyager, réfléchir et comprendre grâce à des bouts de papiers. Il était une fois... peut-être pas. En attendant, moi, je vais me plonger dans « Les Thermes du Paradis », roman d'Akli Tadjer qui a reçu le Prix Albert-Bichot en 2014. Celui-là, c'est moi qui l'ai choisi, un jour ensoleillé de septembre, au milieu des vignes, au terme d'une riche discussion avec l'auteur, un inconnu quelques minutes auparavant...


mardi 25 septembre 2018

Les déraisons.

Le roman s’ouvre sur une salle de tribunal. Adrien est jugé pour avoir déserté son bureau pendant plus d’un an et continué, malgré tout, à percevoir son salaire. Or, « Adrien est un exemple de courtoisie ». Il est consciencieux et carré. Il porte sa mallette de travail toujours du même côté, au grand dam de sa mère, inquiète à l’idée qu’il se déforme la colonne vertébrale. Il prend le bus 74 pour se rendre au travail chez Aquaplus, la société qui l’emploie depuis des années. Comment a-t-il pu abandonner son poste ? 
Son chemin a croisé celui de Louise. Elle est peintre, possède un chien prénommé Le-Chat et vit dans l’instant présent : « Elle ne se souciait pas de la minute qui suivait, mais du moment, de l’exacte seconde où les choses se situaient ». Elle joue avec les mots et les couleurs, folâtre avec le loufoque. La rencontre entre ces deux individus est improbable et délicieuse. Louise met du colorant dans son dentifrice pour étonner son amoureux, organise des joutes de rimes en voyelles ! Adrien adore ça.
Un jour, malheureusement – je ne l’écrirai qu’une seule fois, parce que deux ça fait désordre ; il faut lire le roman pour comprendre – on diagnostique à la jeune femme des tumeurs dans le poumon. Cela ne lui ressemble pas mais Adrien, porté par l’amour, quitte le placard où on l’a remisé à la suite d’une restructuration. Il décide de se dévouer entièrement à la fantasque et drôlatique Louise.
Le mot “cancer” pourrait mettre un frein à votre envie de lire. Cela fut presque mon cas. J’ai failli abandonner en lisant simplement la quatrième de couverture. Je me suis dit : "Ah non, pas ENCORE une histoire de cancer". J'ai quand même ouvert le roman. Et là… surprise !
Louise, le cancer, elle l’entortille, elle le transforme, elle le frôle, elle en fait tout sauf ce qu’on en voit d’habitude dans les livres. L’auteur convoque le souvenir des protagonistes de “L’écume des jours” de Boris Vian. Quand on lui pose la question, Odile d'Oultremont indique pourtant n'avoir jamais lu l'histoire de Colin et Chloé. D'autant plus troublant quand on voit l'illustration de la couverture*, choisie "par hasard". En effet, là, c’est un nénuphar qui pousse dans le poumon de Chloé. Ici, Louise est décidée à mettre KO ses “honey pops”. Elle donne aussi des noms à ses bras et elle ne plaisante pas quand un médecin la pique sans préavis : « Mon bras gauche s’appelle Nathanaël. […] Nathanaël est plutôt calme et bien élevé, il n’a jamais frappé personne, mais si on le troue sans préavis, comme vous venez de le faire, ça pourrait éveiller en lui certaines pulsions ». On est transporté dans cet univers décalé que l’auteur a su créer. Ce livre est d’une grâce et d’une poésie absolues. Odile d’Oultremont bouscule l’ordonnancement habituel des mots. Elle jongle, imagine des associations surprenantes et évocatrices. Le vocabulaire est riche, l’écriture est inventive et flirte habilement avec l’absurde sans jamais s’éloigner du sens. Le résultat est surprenant. Avec un sujet grave, la romancière fabrique des bulles d’insouciance, de bonheur et de légèreté. Il ne serait pas raisonnable de passer à côté de cette pépite.





“Les déraisons” Odile d’Oultremont. 217 p. 18 E. Editions de l’Observatoire


*Œuvre de Paul Wackers

mardi 4 septembre 2018

37, étoiles filantes

Prix Coup de Cœur 2018 de Livres en Vignes 




Cette année, Jérôme Attal fait sa rentrée littéraire avec “37, étoiles filantes”, un roman au titre poétique. Le pitch ? Alberto Giacometti, encore inconnu, veut refaire le portrait de Jean6Paul Sartre, pas plus célèbre. Et il n’en démord pas pendant 309 pages. Un peu mince comme sujet ? Alberto vivote à Paris avec son frère Diego. Pas de chance, le jour où il s’apprête à rompre avec Isabel, sa fiancée anglaise, il se fait écraser le pied par une américaine ivre au volant de sa voiture. Une américaine, of course ! Direction la clinique où les infirmières sont (trop) jolies. Isabel, délaissée, cherche un moyen de contrarier son artiste frivole. Et elle trouve les mots ! Elle rapporte au blessé les paroles de leur ami Jean-Paul concernant l’accident : « il lui est ENFIN arrivé quelque chose ».
Vexé, le sculpteur débutant n’a de cesse de mettre son poing dans la face de l’insolent (face qu’il n’a pas très jolie d’ailleurs). Le philosophe bigleux cherche à devenir quelqu’un, depuis la boutique de son opticien jusqu’aux cafés de Montparnasse en passant par un dîner chez François Mauriac. Alberto lui court après dans le Paris insouciant de la fin des années folles et sourd aux grondements annonciateurs de la seconde guerre mondiale. Que le lecteur ne s’y trompe pas. Le règlement de compte entre Giacometti et Sartre est le prétexte amusant et récurrent que Jérôme Attal a choisi pour entraîner son lecteur dans la vie trépidante des “Montparnos”, ces artistes installés dans le quartier de Montparnasse de l’entre-deux guerres. Picasso vole les modèles de ses collègues. On boit un verre au Dôme, à La Coupole ou à la Closerie des Lilas. Une espionne italienne est assassinée. Diego s’aventure sur la rive droite. Une belle exilée attend son départ outre-atlantique.

 On retrouve avec plaisir la plume douce et sensible de Jérôme Attal. Les femmes ont la part belle : "Mais Alberto, je ne veux pas être unique. Je suis comme toutes les femmes, je veux être multiple. Tant que la vie est là, tant que la jeunesse est là, je veux être multiple ». La documentation est soignée. Et on rit, beaucoup. Sartre a des questions existentielles. Il les partage avec son opticien au cours d’un chapitre hilarant : « Ça fait plus de quatre ans que je n’ai pas fait vérifier mes lunettes [...]. J’ai l’impression que tout s’éloigne, et ma jeunesse en premier plan ». Quant à Alberto, il n’a jamais froid aux yeux quand il s’agit de tacler l’ennemi sur son physique atypique : « Il n’y voit rien. Il a un œil qui joue au billard et l’autre qui compte les points. Si je le tue on m’en voudra ». Finalement, Giacometti réussira-t-il à moucher l’impertinent ? Pour le savoir, lisez le roman. Vous ne le regretterez pas !



Mon conseil : Pourquoi ne pas profiter du Salon, qui se tiendra les 22 et 23 septembre prochains au Clos de Vougeot, pour rencontrer l’auteur et repartir avec un exemplaire dédicacé ? Cherchez les lunettes noires. Derrière, il y a Jérôme Attal. Et il ne se déplace jamais sans deux choses essentielles : sa guitare et sa bonne humeur !





“37, étoiles filantes” de Jérôme Attal. Robert Laffont. 309 pages. 20 E. Prix Coup de Cœur Rougeot-Meursault de Livres en Vignes. Prix de la rentrée Les écrivains chez Gonzague Saint Bris



 






dimanche 2 septembre 2018

Les belles amitieuses




 «A vingt-cinq ans je suis énarque et polytechnicien. Ce qui ne m'empêche pas d'être un con. Ma mère est aux anges ». Ainsi parle Amblard Blamont-Chauvry. Ce jeune narrateur, versaillais, fils de bonne famille, est promis à un brillant avenir. Avec un soupçon de cynisme et une pointe de nonchalance, il traîne sa désinvolture au fil des pages, sans jamais toutefois paraître antipathique au lecteur. Sa grande lucidité et sa capacité à l'autodérision en font un personnage très sympathique. « Je ne suis pas intéressant : seulement le produit de ce qu'on ma enseigné depuis ma naissance. J'ai les préjugés de ma caste. J'ai l'intelligence, il me manque le talent et je n'ai pas envie de travailler ». On le comprend, il n'espère rien. Aspire seulement à l'oisiveté, la paresse, la gourmandise et autres plaisirs de la vie.
Autour de lui, chacune à leur manière, s'agitent de belles ambitieuses. Sa marraine, la Comtesse de Florensac, femme qui se veut d'influence, lui a trouvé l'épouse parfaite. Soumis aux codes de la vie versaillaise et en côtoyant la jeunesse dorée, Amblard fait un beau mariage, plus parce que c'est l'usage que par réelle conviction. Il n'est pas question d'amour. D'abord, que sait-on de l'amour à vingt ans ? La jeune mariée, Isabelle Surgères, a les dents longues et mène sa barque d'une main de fer. Certes, l'action se déroule au début des années soixante-dix mais on n'est pas loin des intrigues de la Cour des Rois de France.
Quant à Coquelicot, on la croise dès la première page. Elle doit son surnom à la couleur de la robe qu'elle porte au moment de sa rencontre avec Amblard, en 1972, dans les jardins de Trianon, en marge de la visite de la Reine d'Angleterre en France. Qui est vraiment cette jeune fille délicieuse? Est-elle légère ? A-t-elle une revanche à prendre sur la vie ? En attendant, c'est dans ses bras qu'Amblard, tout au long du roman, paraît vivant. «Traîner au lit avec une dame aimable est une sagesse : on n'y a besoin de personne d'autre. C'est aussi une plénitude, c'est à dire un paradis. »
Le narrateur est né avec une cuiller en argent dans la bouche. Que peut-il attendre de la vie ? A-t-il besoin d'être audacieux ? Libre ? Utile ?
Avec une écriture fine et l'élégance qu'on lui connaît, Stéphane Hoffmann offre un roman savoureux, dont on tourne les pages avec délectation. C'est extrêmement drôle, avec une touche subtile de mélancolie et de causticité. Un conseil à ceux qui ont l'habitude d'aller jeter un œil à la fin de leurs livres. Cette fois, j'ai retenu mon geste, je ne saurais dire pourquoi. J'ai été bien inspirée. Interdisez-vous d'aller fureter vers la dernière page... La chute est magnifique. Ne vous la gâchez pas.




Et si par hasard (ou pas) vous avez décidé de venir faire un tour du côté du Clos de Vougeot les 22 et 23 septembre prochains, vous pourrez rencontrer l'auteur, dans le cadre du Salon Livres en Vignes.


« Les belles ambitieuses » de Stéphane Hauffmann. Albin Michel. 265 pages. 19,50€.


mercredi 11 juillet 2018

Chambre d'hôtes au domaine de Gailhaguet.





Un long week-end de mai s'annonce, dont on espère profiter sous le soleil. Pas de chance, si la Bourgogne est écrasée par la canicule, le sud-ouest est sous la pluie et c'est là que l'on se rend. Entre Beaune et Toulouse, la route permet d'admirer de merveilleux paysages de la France comme la chaîne des Puys. Le mercure descend à mesure que les kilomètres défilent.  Le ciel est gris et les nuages bas lorsqu'on arrive à Verfeil. A la sortie du village, à quelques kilomètres de Toulouse, une église se dresse. Édifiée sur un promontoire, en briquettes rouges, elle possède un drôle de clocher qui semble inachevé. Sur le côté, depuis la route en contrebas, une pancarte indique : "Cimetière des petites filles modèles". On devine de vieilles croix en pierre derrière les hauts murs. Lorsque la propriétaire m'a donné les indications pour arriver jusqu'à la chambre d'hôtes, je me suis étonnée de ce drôle de nom qui n'était pas sans me rappeler quelque chose. Elle a dit : "Mon mari vous expliquera". Elle a ajouté qu'elle m'attribuait la chambre "cousin Paul" et cette fois, j'ai compris que la Comtesse de Ségur n'était pas loin ! Ses petites filles sont en effet enterrées là.


C'est sous une pluie battante et par un froid de canard que l'on pénètre au Domaine de Gailhaguet. Au bout de la longue allée, le propriétaire des lieux nous attend avec un parapluie, maigre rempart contre le déluge. Nous entrons dans le corps de bâtiment principal. Une maison de famille avec des coins et recoins, quelques marches, une immense cuisine, une enfilade de pièces, du parquet et des tableaux accrochés au mur, un buffet bas Premier Empire, une longue table de salle à manger sur laquelle le couvert est dressé.
Un salon, de profonds canapés, un piano et une immense cheminée. Nos hôtes viennent de terminer la restauration et l'aménagement des dépendances, anciennes granges et écuries. Nous traversons la cour. Là, tout est neuf, décoré avec goût et sobriété. La chambre est charmante, depuis la fenêtre, on aperçoit l'église.
Le dîner, concocté par la dame de céans, arrive à point après la longue route.
Le sommeil, après ça, n'est perturbé par aucun bruit. La pluie a cessé au petit matin. Le petit déjeuner nous attend. Les produits proposés sont tous soigneusement choisis. Locaux et artisanaux.










La météo ne nous a pas permis de profiter de la piscine. Il faudra revenir. L'accueil et la disponibilité d'Isabelle Montané de la Roque et de son époux valent le détour... Avis aux amateurs de calme et de campagne !





Pour plus de photos, visitez la page Facebook du domaine de Gailhaguet.


http ://www.domainedegailhaguet.fr

jeudi 5 juillet 2018

La Tresse

Le choix d'appeler ce premier roman "La Tresse" est on ne peut plus habile. Tout est dit dans le titre et pourtant le lecteur ne voit pas forcément d'emblée ce qui peut éventuellement relier les trois femmes dont l'auteur évoque le parcours. En Inde, Smita est une intouchable. Son travail ? Ramasser à mains nues la merde de ses employeurs des castes supérieures. Elle rêve d'un autre destin pour sa fille et parvient à l'inscrire à l'école. Mais quand la petite rentre et raconte ce qui lui est arrivé là-bas, Smita prend une décision irrévocable. En Sicile, Giulia travaille dans l'atelier de son père. Un jour ce dernier, victime d'un accident reste cloué sur un lit d'hôpital, inconscient. Giulia prend les rênes de l'atelier et découvre que l'entreprise est au bord de la faillite. Dans le même temps, elle fait la rencontre d'un homme différent qui la trouble. Au Canada, Sarah est une avocate réputée et sans état d'âme. Froide, travailleuse, elle sacrifie tout pour être promue à la tête de son cabinet. Quand elle apprend qu'elle est malade, elle décide de ne pas en parler au bureau. Les spéculations vont bon train sur la raison de ses absences. Lætitia Colombani passe méthodiquement de l'une à l'autre de ces trois héroïnes avec l'application que l'on met à entrelacer les trois mèches qui forment la tresse. Quant au lecteur, petit à petit, il assemble lui aussi les brins. A la fin de la natte, pour faire tenir l'ensemble, on fixe un petit élastique. C'est ce lien qui fait le dénouement. Imparable, magistral et plein d'espoir. Vous l'avez raté l'année dernière ? Il vient de sortir en poche, le format idéal pour les vacances !


Irrégulière

Comme d'habitude, je joue l'irrégulière sur ce blog. Je pourrais me chercher des excuses. Et je n'aurais pas trop de difficultés à en trouver. Cependant, en faisant preuve d'un peu de rigueur et d'organisation, je pourrais publier de façon moins sporadique. Chiche ? 
A suivre, une série de chroniques écrites ces six derniers mois pour l'Echosdcom (avec une restriction de signes !) ainsi que des morceaux choisis parmi les articles rédigés ces dernières années. 
Je vais tenter aussi (si possible) de vous faire partager mes lectures estivales comme l'année dernière et évoquer mes passages dans deux lieux différents, chambres d'hôtes dépaysantes, visités récemment. Sans compter les surprises que peut m'apporter l'été !
Bonnes vacances à tous !