mardi 21 novembre 2023

Western


Alexis Zagner est un comédien “bankable”. Au firmament de sa carrière, il s’apprête à jouer le rôle de Dom Juan au théâtre. Un rôle de composition pour ce séducteur impénitent qui ne compte pas ses conquêtes ? Mais l’ombre du commandeur ne rôde pas que sur scène. Aurore, mère célibataire, enchaîne les rencontres sans lendemain, entretient presque machinalement des relations sexuelles avec son supérieur hiérarchique. Tout cela finit par ne plus faire sens du tout. Elle se sent à l’ouest. Et c’est finalement dans cette direction qu’elle prend ses clics et ses clacs, son fils Cosmo sous le bras. Hop. Elle s’installe au milieu de nulle part, une maison plantée sur un causse, laissée en héritage par sa mère qui vient de mourir. Alexis Zagner, grisé par la hauteur et peut-être vaguement conscient de sa chute prochaine, prend lui aussi la tangente, cap à l’ouest. Aurore s’adapte à une nouvelle vie en télétravail où rien ne change pour les autres mais grâce à laquelle elle se retrouve peu à peu. La disparition d’Alexis Zagner, à l’inverse, provoque une vague médiatique. Le comédien en fuite débarque dans la maison isolée où Aurore s’est réfugiée. Western.


Éblouie, écœurée, embourbée, emportée, épuisée, heurtée, découragée, exaltée… Un flot contradictoire d’émotions se sont succédé au fil de ma lecture, que j’ai failli plusieurs fois abandonner, tout en étant incapable de la lâcher. J’ai longuement hésité à chroniquer ce roman, ayant l’habitude de partager les œuvres qui m’ont totalement conquise mais, l’autrice venant à Beaune prochainement, j’ai jugé intéressant d’évoquer un ouvrage pour lequel je ne suis pas parvenue à trancher. J’ai aimé et j’ai détesté, étonnamment, il y a un peu des deux. 294 pages de mots charriés en un flux qui s’affranchit des règles de syntaxe et de ponctuation. La première personne du singulier vole subitement la parole au narrateur omniscient. Des dialogues s’invitent sans l’ombre d’un tiret, sans la respiration des guillemets. Des adjectifs sont incongrument séparés des noms qu’ils qualifient. C’est un puzzle régulièrement pesant, obligeant une relecture pour tenter de comprendre le propos. Suivent des passages d’une limpidité absolue. L’écriture, est-elle ici intrinsèquement allégorique ? Le style à lui seul est-il un personnage du roman, aux côtés d’Aurore et Alexis ? Parfois paumés comme on peut l’être dans un monde en mutation, parfois en état de grâce ? Il est question de sexualité, de relation amoureuse et plus généralement des rapports humains, du pouvoir, de l’emprise, de la famille, de la quête de l’essentiel, du vide, de la communication, bref, d’une époque. Maria Pourchet badine avec l’amour, tour à tour arrondit et tord mots et sentiments. Maintenant, à vous de vous faire une opinion (ou pas) !


Western. Maria Pourchet. Editions Stock. 20,90 €.

mardi 7 novembre 2023

Leçons de chimie

 


Années soixante. Elizabeth Zott est une brillante chimiste. Elle a trouvé du travail dans un institut de recherches mais, dans le monde masculin des scientifiques, elle échoue à imposer sa crédibilité, subissant en permanence le poids du patriarcat qui veut que la place d’une femme soit à la cuisine. Peinant à obtenir du matériel pour ses expériences, elle parvient un jour à récupérer par la ruse des béchers dans le labo de Calvin Evans, un jeune chimiste réputé mais introverti. La rencontre de ces deux personnages atypiques est détonante. Contre toute attente, l’alchimie opère grâce à une parole sincère et une intelligence hors normes. Au travail, l’influence de Calvin permet enfin à Elizabeth de déployer son talent. A la ville, Elizabeth emménage chez Calvin et excelle en cuisine : la cuisine, c’est de la chimie. Elle s’initie à l’aviron, le sport de prédilection de Calvin. Ils forment un couple harmonieux, même si, anticonformiste, Elizabeth refuse le mariage et ne souhaite pas devenir mère. Le
couple adopte un chien clairvoyant, Six-Trente. Le jour où la laisse devient obligatoire, Calvin accepte de la passer autour du cou de Six-Trente. Un terrible drame plus tard, Elizabeth, reléguée aux tâches subalternes de l’institut, refuse les compromis et le vol de ses recherches. C’est alors qu’on lui propose
de présenter une émission culinaire. Elle accepte mais décide de faire entrer la chimie chez la femme au foyer, ce qui n’est pas du goût de tout le monde.
Encore un livre féministe, diront certains. Ce serait un peu réducteur, tant cette fresque des années 60 et d’une société corsetée autour d’un patriarcat tout puissant est drôle et inventive. Sous la plume de Bonnie Garmus, le personnage d’Elizabeth, anachronique, nous permet de réaliser combien le statut de la femme pouvait être figé dans un rôle de potiche assigné par l’homme. Sois belle et tais-toi, hier un leitmotiv, aujourd’hui, aimerait-on, un cliché éculé. Dans Leçons de chimie, on suit les péripéties de l’héroïne en s’insurgeant comme elle, en bouillonnant de colère devant les injustices auxquelles elle est confrontée. On a envie de s’inspirer de son audace, qui relève du bon sens, pour enfin être et faire sans s’inquiéter des normes dans lesquelles l’autre ou la société veulent nous enfermer. C’est divertissant et caustique. S’il y a quelques caricatures d’hommes (hélas, sont-ce des caricatures ?) d’autres protagonistes masculins viennent contrebalancer cette peinture acerbe par leur gentillesse, leur souci d’équité, leur spontanéité, leur questionnement du monde. Les femmes, quant à elles, tâtonnent autour
d’Elizabeth dans leurs paradoxes, leur désir d’émancipation et la nécessité de prendre confiance dans leurs capacités. En parallèle de ce personnage central bravant les codes, on est tenu en haleine par une enquête discrète mais intense, menée par Mad, une petite fille à très haut potentiel. A noter qu’une série télévisée a été tirée de ce roman. La première saison est en ligne sur une plateforme de streaming mais comme souvent, le livre est autrement plus palpitant. Il ne vous reste plus qu’à vous le procurer et le dévorer. Vous m’en direz des nouvelles.

 

Leçons de chimie. Bonnie Garmus. Editions Pocket. 9,50 €