jeudi 6 juillet 2023

Cynthia

 


Betty Pack est d’une beauté à couper le souffle. Aucun homme ne lui résiste. Elle l’a compris très jeune. Intrépide, libre, elle brave toutes les conventions de son époque pour vivre sa vie comme elle l’entend. Avec l’homme qu’elle a épousé, elle voyage, se fond dans le décor, apprend les langues étrangères sans le moindre accent. L’Aventure lui ouvre les bras. En Espagne d’abord, où son courage et sa détermination à exfiltrer les partisans de Franco lui valent d’être remarquée par les services secrets
britanniques. Ces derniers, à l’aube de la seconde guerre mondiale, ne tarderont pas à la recruter. Ils lui offrent un rôle décisif dans la course au décryptage de la fameuse machine enigma. Tous les coups sont permis et pour parvenir à ses fins la belle espionne use de ses charmes avec une aisance déconcertante. Ses cibles cèdent invariablement. En Pologne, au Chili ou à Washington, elle fait tourner les têtes et la confiance qu’elle acquiert dans le secret des alcôves lui laisse le champ libre pour obtenir et livrer les renseignements qu’on lui demande. Son nom de code : Cynthia. Lorsqu’elle rencontre l’attaché de presse de l’ambassade de France à Washington, l’attraction réciproque est immédiate !

 Les années Churchill et les femmes fatales exercent visiblement sur Stéphanie des Horts une grande fascination. Elle la partage avec ses lecteurs en retraçant le destin flamboyant de grandes séductrices. Après Pamela et Doris, elle extirpe de l’oubli Betty Pack, cette héroïne dont le nom a été éclipsé par des Ian Flemming ou des Roald Dahl. Sous sa plume documentée, des personnages incandescents ressuscitent. Dans l’ombre de Winston Churchill qui déplace ses pions avec précision ou dans le froissement des draps où se font et se défont tant de politiques, Betty Pack alias Cynthia fait la différence en talons aiguilles et bas-couture, les lèvres ourlées, le regard de braise, une intelligence hors du commun et une sexualité décomplexée. Elle traverse son temps avec un aplomb sans équivalent et une détermination sans faille. Ce roman foisonne, et ça fait du bien, de personnages entiers, dévoués corps et âmes à la notion de liberté, à l’attachement à une nation. Et Stéphanie des Horts a l’art de les dépeindre d’une écriture fluide et rythmée. Voyages, drames, trahisons, transports de la chair, déchirements, autant de rebondissements qui projettent le lecteur dans l’univers troublant des films d’espionnage. Un halo de fumée, des fauteuils en cuir, le goût du brandy, des coffres forts, des soirées mondaines, des étreintes passionnées, des rendez-vous secrets, ce roman a tous les ingrédients pour vous faire passer un début d’été haut en couleur.


Cynthia. Stéphanie des Horts. Editions Albin Michel. 20,90 €.

La ballade du feu

 


La période estivale pointe le bout du nez… L’envie de se prélasser au jardin avec un bon roman est grande ! Quant à celle de se retrouver devant l’ordinateur pour rédiger une chronique… elle est intacte mais, parmi mes dernières lectures, laquelle partager avec vous aujourd’hui ? La ballade du feu, d’Olivier Mak-Bouchard, mon dernier coup de cœur ? Une sorte de paresse arrête mes doigts sur le clavier. Ma grande copine la procrastination m’incite à renoncer : laisse tomber. Comment tu vas te dépatouiller d’une histoire pareille à résumer ? Tu réfléchiras demain… Nul doute qu’un certain nombre de lecteurs se retrouveront dans le tempérament du narrateur, potier contrarié parce que “trop bon” à l’école ! Combien, comme lui, ont expérimenté les jugements à l’emporte-pièce et les idées préconçues en matière d’orientation ? Résultat des courses, notre jeune homme, habitant de Rustrel (le Colorado provençal), se fait virer de Monsieur Bricolage. A la maison, il retrouve son frère Doumé, un postier syndicaliste, son canapé et leur émission de télé préférée. Il écume sans succès les petites annonces pour retrouver un emploi. Un chat passe par là. Pelage smocking, il s’appellera Tartampion. Après l’avoir nourri en loucedé, le narrateur, finalement épaulé par son frère, décide de garder la bestiole, avec laquelle il engage un dialogue pour le moins productif. Pas de bol, le félin est tatoué ! Heureusement, l’ancien propriétaire, qui l’a perdu depuis plusieurs années, accepte l’adoption. Rendez-vous est pris chez le vétérinaire…
L’histoire commence ainsi, grosso modo. En faire une synthèse serait périlleux ! C’est pourquoi j’ai failli ne pas chroniquer ce livre. Flemme, je vous dis ! Et puis, il faut maintenant caser mille cinq cents signes pour vous décrire ce que j’en ai pensé ! Que du bien ? Aïe ! Il n’y a pas le compte. J’ai aimé l’écriture, à la fois structurée et désinvolte. J’ai aimé le ton, légèrement barré, avec une pointe de poésie, où le réel et le surnaturel se côtoient cependant sans faire de vague. J’ai aimé l’intelligence et l’arborescence du récit, l’effet “coup de billard à trois bandes”. J’ai aimé cette omniprésence du feu, matériel dans la cuisson de la faïence, virtuel dans la puissance du soin, métaphorique dans chaque page. J’ai aimé les atmosphères, les couleurs du Lubéron, la texture de la terre modelée, les odeurs de forêt, le battement d’ailes d’un aigle de Bonelli, la saveur du succès que l’on ne peut goûter si on n’a pas connu d’échec. Et ce succès est parfois dans un tout petit détail, pas forcément dans une réussite éclatante. C’est ce que nous raconte magnifiquement Olivier Mak-Bouchard ici. Entre fable et fiction, il nous emmène sur un chemin caillouteux mais ô combien joyeux de coïncidences et de rebondissements, de hasards et de rencontres improbables, de santons magiques et de passeur de feu. Un moment de lecture souvent drôle, parfois émouvant, où le majestueux se cache dans l’ordinaire.


La Ballade du feu. Olivier Mak-Bouchard. Editions Le Tripode. 20 €.