mardi 30 mai 2023

Héloïse Les fleurs du sérail



1810. Alger. Avec quelques compagnons d’infortune, Héloïse, vivandière de l’armée de Napoléon, a fui l’île de Cabrera, au sud de Majorque, où elle était retenue par les Espagnols (voir La prisonnière de la mer). Après de longs mois à survivre dans des conditions d’hygiène déplorable et sans rien à manger, accoster sur ce rivage africain a le goût suave de la liberté. Pourtant, Héloïse a un sombre pressentiment. Accrochée au bras de Louis, son amant, elle arrive dans la cité. Encerclés par des gardes, ils pénètrent sous bonne escorte dans un immense édifice. Une prison ? Non, le palais du Sultan. Ce dernier leur offre sa protection. Le soulagement est de courte durée. Le pacha annonce en effet sans transition que la femme doit intégrer le harem. Sans protestation possible, Héloïse est alors séparée de ses compatriotes sous le regard impuissant et rageur de l’homme qu’elle aime. Ignorante du sort qui lui est réservée, isolée, Héloïse est contrainte de suivre les femmes qui s’agitent autour d’elle. Leïla parle français, elle la guide. Après des années de toilette succincte, Héloïse découvre le hammam avant d’intégrer le quartier des femmes. Commence alors un rude apprentissage, où le mot émancipation s’éloigne de jour en jour. La jeune femme va-t-elle parvenir à résister à cette nouvelle épreuve ?
Après le huis clos aride de cette île maudite, battue par les vents, où Hé
loïse, dans le dénuement le plus total, a dû lutter pour sauver sa peau, nous voici aux confins de l’Empire Ottoman, dans la chaleur parfumée du harem. On peut lire Les fleurs du sérail sans avoir découvert le premier épisode des aventures d’Héloïse. Elisa Sebbel fait référence régulièrement au passé, avec une précision qui permet au néo-lecteur de s’y retrouver sans lasser ceux qui connaissent l’histoire. Elle nous enferme dans une tout autre atmosphère mais avec toujours autant de talent. Une profusion de parfums, jasmin et épices mêlés, charge l’air souvent étouffant du quartier des femmes. La sensation de réclusion est accentuée par la description des ouvertures grillagées. L’héroïne, affublée d’un nouveau nom, doit apprendre une langue, découvrir une autre religion. Qui sont les rivales, qui sont les amies, dans cette communauté oscillant entre bienveillance et cruauté ? L’auteur noue habilement les intrigues, créant une tension grandissante au fil des pages, entre soumission et rébellion. A travers cette fresque flamboyante, elle aborde des sujets graves comme
l’identité, la sororité, la maternité. Dans la hiérarchie
du harem, surgissent des alliances salvatrices, se dévoilent des failles et, par petites touches, des complicités allant jusqu’au sacrifice. La liberté s’obtient de différentes manières. Un roman addictif que je n’ai pas pu lâcher, une écriture qui met nos sens en éveil, du murmure des prières à l’explosion des couleurs en passant par le goût sucré des pâtisseries orientales, les effluves de rose, d’ambre et de musc et le toucher délicat des étoffes précieuses.


Héloïse Les fleurs du sérail.
Elisa Sebbel. Éditions Jeanne & Juliette. 16,90€

mardi 16 mai 2023

Après nos rêves enfin le jour


Après une semaine de coma, Maximilien émerge du brouillard. La trentaine, il se tire sans graves séquelles de l’AVC qui l’a cloué dans un lit d’hôpital. D’après son médecin, l’amnésie qui le prive de tous ses repères devrait s’estomper au fil des jours. En attendant, il faut reconstituer le puzzle et Maximilien est un peu perdu. Il finit par identifier ses parents, son frère, son meilleur ami... L’image d’une femme brune et des effluves fruités lui reviennent en mémoire de façon obsédante. Il a du mal à comprendre que la blonde Marlène, dont le parfum l’écœure, soit sa femme. Il comprend toutefois qu’ils sont en instance de divorce. Mais les pistes sont maigres pour tenter de vérifier si les bribes de souvenirs qui l’effleurent relèvent du fantasme ou de la réalité. Diane, de son côté, n’a pas eu une enfance facile. Sa mère a longtemps menti sur l’identité du père de sa fille avant de se suicider. Élevée dans le culte de la princesse Diana et dans l’espoir d’avoir un grand destin, Diane a dû se construire avec ces failles. Enfin, un bout de ses rêves de comédienne se réalise. Elle obtient un rôle dans une série ! Quand, plus tard, le cinéma lui propose le haut de l’affiche, elle se lance à corps perdu. Elle ne parvient cependant pas à oublier cet homme qu’elle a rencontré et qui n’est pas venu à leur dernier rendez-vous. Dans la boîte à livres grâce à laquelle ils se transmettaient des missives, elle a fini par déposer un ouvrage de son auteur préféré, David Foenkinos. Elle a glissé entre les pages ses coordonnées, jusqu’alors jamais échangées. Une bouteille à la mer qui ne semble pas avoir touché son destinataire. 

Avec ce troisième roman, Magali Discours nous entraîne dans un grand chassé-croisé amoureux. On est bien évidemment emporté dès les premières lignes. Entre Paris, Senlis et Dijon, les personnages cherchent, espèrent, renoncent, accompagnés par un entourage tour à tour circonspect et complice. La quête de Maximilien avance pas à pas, de déduction en reconstitution. Diane se jette dans ses objectifs professionnels en traînant derrière elle la question restée sans réponse de ce silence qui la prive de ce qu’elle croyait être enfin une belle histoire d’amour. Au milieu de tout cela, Magali Discours, avec la facétie et l’imagination qui la caractérisent, a attribué à David Foenkinos une fonction inattendue et terriblement crédible. Dans les lignes d’Après nos rêves enfin le jour, on retrouve son sens aigu de la formule, qui nous avait fait aimer ses deux précédents romans. Les personnages secondaires, la tante, la voisine, la copine, les nièces (Delphine et Marina qu’on surnomme Marinette..., petit clin d’œil à Marcel Aymé), la femme sans-abri, les maîtres de stage, tous, à un moment donné, jouent une partition sans laquelle le concert ne peut avoir lieu. C’est bien ficelé. L’auteure, par un joli tour de passe-passe, évite l’écueil d’une fin trop attendue et nous surprend jusqu’au bout. Bien joué !
 

Après nos rêves enfin le jour. Magali Discours. Éditions de l’Archipel. 20 €.

mercredi 3 mai 2023

Des lendemains qui chantent

 La force du destin

 


 

1935. Paris. La crise est passée par là. On monte des spectacles en faisant des économies de bout de chandelles, politique de rigueur oblige. Le directeur de l’Opéra-Comique, inquiet, espère que sa reprise de Rigoletto va renflouer les caisses. Mais ne pouvant proposer des cachets dignes de ce nom, il a essuyé le refus de toutes les grandes voix. Sa distribution va-t-elle tenir la route ? Dans l’effervescence d’avant le concert, les personnages virevoltent. Au milieu d’un public éclectique, Mademoiselle Renoult. Cette femme digne, professeure de rôles, a fait la pluie et le beau temps dans les programmations des théâtres d’Europe et du monde. Mais elle a pris sa retraite. Pourquoi diable a-t-elle insisté pour obtenir un petit rôle à ce ténor sorti d’on ne sait où ? Voici l’instant où depuis la fosse de la salle Favart, s’élève la cacophonie des instruments qui s’accordent. Puis, le silence. Verdi, enfin ! Seulement, les choses ne se passent pas tout à fait comme prévu et c’est l’élève de Mademoiselle qui, avec ses dix misérables répliques, crée l’événement et capte l’attention de la foule. Retour en 1912. Une grange en Italie. Musetta la servante, prise au piège des amours ancillaires, met au monde un fils qu’elle aime instantanément. Tu seras quelqu’un murmure-t-elle à son enfant avant de rendre son dernier soupir. Que faire de l’orphelin qui donne de la voix à arracher les tympans ? Là commence le destin d’Elio, entre persécutions et miracles, malheureux hasards et chance vertigineuse. 

 Des lendemains qui chantent. Le titre, déjà, avait tout pour me séduire. Un double sens porteur de musique et d’espérance. Une quatrième de couverture alléchante... il n’en fallait pas plus. Mes jours ont été suspendus à ceux d’Elio Leone pendant les 442 pages d’une épopée haletante. Impossible de se détacher de la puissance du récit. L’auteur nous entraîne dans les pas de ce laissé pour compte (Abandonnato) que rien ne prédestinait à une carrière de chanteur lyrique. Les rencontres d’Elio sont autant de bouleversements, de fascination, de matière à introspection. La musique de Verdi n’est jamais bien loin et souvent, on suspend la lecture pour écouter ou ré-écouter le Chœur des Esclaves du grand Verdi ou la plainte slave des Chants et danses de la mort de Moussorgsky. Cette plongée dans tout ce que la musique classique a de sacré ancre la magie des mots. Ce roman absolument prenant dessine un héros complexe, naïf, entier, honnête, blessé, touché par la grâce, humble. Autour d’Elio, les personnages secondaires ont un vrai caractère, influant sur sa trajectoire. Une intrigue à multiples facettes qui nous entraîne de Naples à New York en passant par Paris, Nantes, la Sibérie, Haïti et Milan. Émotion intense. Évasion totale. Réflexion profonde sur la quête de soi, le talent, le succès, ce qu’on en fait ou pas, les sentiments vrais ou pervertis, l’Histoire et ses coups retors, la force de l’amour.


Des lendemains qui chantent.
Alexia Stresi. Editions Flammarion. 21 €.