dimanche 19 avril 2015

Anecdote



Emmanuel D a écrit : "marche recommandée" sur l'arrêt de travail. Ce matin donc, à la faveur d'un joli rayon de soleil, j'enfile la tenue adéquate et, motivée, pars en direction des vignes. J'essaye de courir mais je renonce au bout de quelques foulées, mon corps ne supportant pour le moment visiblement pas l'intensité des vibrations provoquées par un mouvement de course. J'opte pour de la marche rapide et en profite pour respirer en conscience.
Je sens glisser les pensées sans rien retenir. Je laisse derrière moi la ville et la chaleur des murs pour m'exposer à l'air frais et venteux des chemins qui bordent les rangs impeccablement alignés des ceps bourguignons. J'avance légère et libre. Derrière moi, dans un joli contrejour, se dessine le clocher de la collégiale Notre Dame, dominant les toits. Devant moi, le coteau, qui verdoie timidement. Des cabotes, ces toutes petites maisons qui servaient autrefois à entreposer les outils et qui restent dressées là, vestiges du temps, ancrent l'intemporalité de l'instant. Ça et là, au loin, s'agitent les petites mains qui préparent la vigne toute l'année pour l'intense moment des vendanges. Ma solitude extatique est troublée par une joggeuse qui arrive en face de moi, avec son chien. Un labrador retriever noir, je pense, bien que je ne sois pas un as des races canines, qui dès qu'il me voit, démarre en trombe et fonce vers moi. Sa maîtresse ne parvient pas à se faire obéir malgré ses rappels à l'ordre et je vois le molosse au galop, sa musculature puissante s'affichant dans l'allure,  s'approcher de moi. Il faut savoir que plus jeune, j'avais une peur panique des animaux. Ce qui ne manquait pas de me valoir une sorte de réprobation générale... Des personnes bien pensantes n'hésitaient pas en effet à poser des affirmations comme : "il faut vaincre ta peur" ou encore, très culpabilisant, "si on n'aime pas les animaux on n'aime pas les humains". Aujourd'hui, il y a un chat à la maison qui ne me fait plus sursauter à chaque fois qu'il saute sur le canapé sans que je l'aie entendu arriver. Quand je croise un chien, j'ai compris qu'il a besoin de me sentir et bien que la truffe humide de l'animal contre ma peau ne soit pas ma tasse de thé, je le vis calmement, sans plus éprouver cette montée désagréable d'adrénaline qui l'excite encore plus.
Le gros chien noir arrive sur moi et tout à ma respiration pour éviter la poussée d'angoisse, je ne parviens pas à identifier l'attitude de l'animal. Il commence par me respirer et se frotter à moi puis me saute dessus. Ses pattes se posent sur mes épaules et sa gueule est bien trop proche de mon visage  à mon goût. La maîtresse ne dit rien et arrive à petites foulées. Je me sens envahie dans mon espace vital. Un humain inconnu ne viendrait pas si près, ou alors ce serait une agression. Je jette un regard inquiet à la jeune femme, et les bras en croix sur mes seins m'entends réclamer : "s'il vous plaît!". Elle arrive enfin, le chien retrouve un semblant de docilité, il reprend ses distances. Et moi, mes esprits.
Là, stupeur. Au lieu de s'excuser pour l'attitude désobéissante de son animal de compagnie, la dame me tance pour ma remarque. "C'est bon, j'arrivais, faut pas exagérer, j'ai couru, je ne pouvais pas aller plus vite, vous le voyiez bien quand même !"
Un peu estomaquée je tente de répondre gentiment, en arguant du respect d'autrui. L'autre poursuit son chemin en râlant : " Il y a plein de gens qui courent ici avec leur chien, vous allez en croiser d'autres, faut vous y faire, alors je ne vois pas où est le problème !" Et comme j'essaye une nouvelle fois de discuter, elle se retourne pour m' invectiver : " Vous n'avez rien d'autre à foutre que de..."
Je n'entends pas la suite car cette fois c'est moi qui tourne les talons. C'est sa bêtise à elle qui a fait monter mon adrénaline. Je respire et marche... Marche, inspire, marche, expire. Et très vite tout retombe. C'est à nouveau calme. Je pense que je vais écrire cette histoire. Ce moment où une femme m'a aboyé dessus, tentant de se justifier de n'avoir pas su tenir son canidé. Je connais des gens qui éduquent leur animal. Et l'animal écoute son maître. Mais tout n'est pas toujours sous contrôle et je ne lui en veux pas. Un petit mot d'excuse de sa part aurait suffi, ce n'est pas humiliant de le faire,  j'aurais répondu par un simple "ce n'est pas grave, c'est juste impressionnant" et elle aurait sans doute dit comme le font la plupart des maîtres qui ne comprennent pas la peur de l'autre : "Il n'est pas méchant vous savez", ce à quoi je n'aurais rien répliqué car je sais désormais que c'est inutile -personne n'a ni raison ni tort- on se serait souhaité une bonne journée et c'est tout. Sauf que... Un " quelle conne" traverse mon esprit. Et puis...

Je pense à Jacques Villeret, inénarrable François Pignon, qui explique face à Thierry Lhermitte qu'on est toujours le "con" de quelqu'un d'autre. Je relativise et ça m'apaise.

Je pense à ce dîner de cons, film de Francis Veber tiré de la pièce éponyme, à voir et revoir sans modération. Et ça me fait rire.
Je rebrousse chemin car il est l'heure de rentrer. Sur la route, à l'endroit où je suis passée tout à l'heure et où seule a couru depuis la joggeuse, je dois enjamber une imposante déjection canine.


 

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