Couronné par de nombreux prix, dont le Femina des lycéens en 2023, ce roman est longtemps resté figé dans ma bibliothèque après que les premières pages ne m’ont pas convaincue. Parfois, un rendez-vous littéraire est simplement différé. Dernièrement, n’ayant plus rien à me mettre sous la dent, je repense à ce livre. Je reprends la lecture où je l’avais interrompue (après plusieurs tentatives infructueuses), autour de la page 40. Oui, je sais, ça n’est pas beaucoup, d’habitude, je me donne au moins 80 pages avant d’abandonner. Mais là, je n’y arrivais pas. Bref. Me voici au moment où, après avoir décrit l’enfance et l’adolescence de Tarek, auquel il s’adresse à la deuxième personne du singulier, le narrateur évoque les retrouvailles entre Tarek et Mira, quatorze ans après leur première rencontre. L’action se déroule au Caire entre la fin des années 60 et le début des années 2000. Tarek, devenu médecin comme son père, a épousé Mira et repris le cabinet du patriarche à la mort de ce dernier. Début des années 80, sur le papier, Tarek a tout réussi. Pourtant, plane un indéfinissable malaise. L’ouverture d’un dispensaire dans un quartier défavorisé apporte une bouffée d’oxygène à Tarek qui se lie d’amitié avec Ali, un jeune homme soucieux de la santé déclinante de sa mère, dont il fait son assistant. Il offre au jeune homme des perspectives d’avenir auxquelles son origine modeste ne lui permettait pas de rêver. Au fil des mois, au côté d’Ali, les certitudes de Tarek sont ébranlées, vacillent et tout vole en éclat.
Cette fois je n’ai plus lâché Ce que je sais de toi jusqu’à la dernière page en me demandant pourquoi, au départ, j’avais été si réfractaire à ce premier roman d’une grande sensibilité et d’une maîtrise totale. L’auteur pénètre au cœur d’une famille levantine chrétienne, avec ses secrets et des non-dits pesants qui en divisent les membres. D’une écriture fine et intelligente, il cisèle habilement ses personnages féminins, la matriarche amoureuse de la France, la sœur de Tarek, prisonnière des secrets, Mira, drapée dans son mensonge. Éric Chacour dépeint l’Égypte colorée et multiple d’avant l’arrivée du rigorisme religieux avec une grande sensualité. Mais même dans cette société, on ne franchit pas certaines limites. Et les femmes vont s’acharner à préserver les apparences, quel qu’en soit le prix. Pourtant, la loyauté va-t-elle au silence ou à la vérité ? La quête, menée par un narrateur dont on découvre l’identité assez tard dans la lecture, fait émerger peu à peu du brouillard une réalité tue au nom de la bienséance. Mention particulière pour l’évocation pudique d’Huntington, une terrible maladie neurodégénérative. Par un récit empreint de délicatesse, sans que jamais ne pointe l’ombre d’un jugement, l’auteur expose les dégâts du silence sur les êtres et offre à tous la possibilité de réapprendre à conjuguer le verbe aimer.
Ce que je sais de toi. Éric Chacour. Éditions Philippe Rey. 22 €
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