dimanche 4 mai 2025

Mon vrai nom est Elisabeth

 

Jean-Louis a décidé d’en finir avec la vie. Depuis dix ans, il s’est isolé, puis détaché des biens matériels. Il a gardé quelques livres, une petite photo de sa mère, Betsy, et transmis des instructions à une de ses sœurs. Pourquoi la photo de cette mère absente dans les affaires du suicidé ? « C’est le dernier chapitre de ton enquête » dit la sœur désignée, grand- mère de la narratrice. Le mystère autour de Betsy est le leitmotiv de cet ouvrage. Un silence opaque entoure son histoire. Cette femme de la haute-bourgeoisie n’a pas élevé ses six enfants ; elle a été diagnostiquée schizophrène et internée pendant de longues années. Les trous sur ses tempes sont les témoins d’une lobotomie. Voilà ce qui suinte des mémoires et fait que toutes les filles de la famille ou presque craignent la folie, la fragilité. La narratrice n’est pas épargnée. Elle interroge les derniers proches qui ont connu l’aïeule et dont les témoignages, poussifs, montrent la réticence à se livrer. Il n’y a rien à dire, Betsy, c’est un non-sujet. Cette femme énigmatique, ombre fine et fantasque, s’efface derrière André, son mari, une figure stable qui a assis son rôle de patriarche auprès de sa nombreuse descendance. La narratrice est chercheuse alors elle explore les archives hospitalières pour tenter de reconstituer ce puzzle que le récit familial maintient si lacunaire.

Roman, essai, enquête, Mon vrai nom est Elisabeth est à la croisée de ces trois genres, inclassable. On passe des ânonnements de descendants peu diserts aux annotations des médecins dans les dossiers des patients. On parcourt la correspondance d’une jeune Betsy idéaliste que la guerre a séparée de son futur époux. Peu à peu, des hypothèses se dessinent, des certitudes se font jour. Adèle Yon s’attarde sur l’histoire particulièrement troublante de la lobotomie, une intervention invasive non curative, pratiquée par des hommes sur des femmes la plupart du temps (les individus de sexe masculins opérés étant toujours des enfants). Ce qu’elle découvre et partage avec le lecteur est édifiant. Au fil des pages, elle évoque sa colère, une colère semble-t-il transmise génération après génération. Pourtant, rien dans ses mots ne laisse éclater la violence des regrets, le dégoût d’une période où le pouvoir est aux pères de famille et où l’on tente par tous les moyens de bâillonner les femmes un peu trop libres d’esprit. Elle ne cherche aucune revanche. Elle scanne la société de l’époque (1940, 50, 60), dissèque les témoignages d’un grand-oncle ou d’une cousine, suit une piste inexplorée à partir d’une phrase anodine. Offre un nouvel éclairage. C’est captivant, instructif, glaçant. Son enquête s’appuie sur une solide documen-tation. Elle lève le voile sur un secret, délie le silence, libère les femmes d’un carcan ; à la lumière d’éléments concrets elle rend sa place à chacun et un juste hommage à cette mystérieuse et imprévisible Betsy.

Mon vrai nom est Elisabeth. Adèle Yon. Editions du sous-sol. 22,00 €.

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