lundi 29 septembre 2025

La sentence


 Tookie a mal démarré dans la vie. D’origine amérindienne, cette quadragénaire a été condamnée à soixante ans de réclusion pour un crime commis presque malgré elle. Au début de sa détention, l’une de ses anciennes professeures lui a offert un dictionnaire avec ce petit mot : « Voilà le livre que j’emporterais sur une île déserte ». Tookie le parcourt inlassablement et trouve alors dans la lecture une planche de salut. Les bibliothèques carcérales lui livrent tous leurs secrets. Lorsque les efforts de son avocat lui permettent de bénéficier d’une libération conditionnelle, elle est embauchée dans une petite librairie de Minneapolis. C’est une boutique modeste, dans un quartier agréable. Quand on pousse la porte bleue, on est assailli par le parfum de l’avoine odorante qui sert d’encens pendant les cérémonies et les rayons regorgent de romans, poésie, histoire et témoignages autochtones. Tookie déploie ses talents de commerciale et résiste à l’ancienne “elle”, qui aurait eu vite fait de piquer dans la caisse et recopier les numéros de carte de crédit. Très rapidement, la pulsion disparaît et la jeune femme, passionnée de lecture, se voue totalement à son métier. Un jour, alors qu’elle profite de sa liberté retrouvée, elle croise une vieille connaissance, celui-là même qui l’aimait secrètement avant son arrestation. Tout irait pour le mieux si, quelques temps plus tard, Flora, une cliente assidue décédée récemment, ne revenait pas hanter la librairie. Tout ça, alors que le récent assassinat de George Floyd met la ville à feu et à sang et que le Covid s’invite.
Je découvre Louise Erdrich avec La Sentence. Dès les premiers instants, l’écriture intelligente donne envie. A travers le personnage de Tookie, l’autrice brosse un magnifique portrait d’héroïne. Elle donne aux autochtones une voix que j’ai jusque-là peu entendue. On découvre l’absence de socle qui mène à la prison, le chemin vers la liberté grâce à la littérature, les tentations, l’incertitude, la lutte pour la normalité, la recette fragile du bonheur. La librairie, minutieusement décrite, sert de décor vibrant aux événements. Les références égrènent les pages, comme autant d’invitations à découvrir des incontournables de la littérature américaine. Les personnages féminins, vivants ou morts, mais tous hauts en couleur, nourrissent l’intrigue où se télescopent liberté, amour, racisme, transmission, croyances… Tookie s’affaire au milieu de tout ça, en proie au doute souvent mais sans jamais se départir d’une bonne dose d’autodérision. Comment compose-t-on avec la culpabilité ? Comment se forge-t-on une identité ? Que veut le fantôme de Flora ? Autant de questions qui emportent le lecteur. On est tenu en haleine de bout en bout par la finesse, l’humour, le charisme des personnages … Lorsqu’il faut se résoudre à les quitter, on peine à fermer la porte de cette librairie. On aimerait bien traîner encore un peu entre les rayonnages. Puisqu’il faut tourner la page, on se promet de retourner vite chercher un autre roman de la même autrice. A découvrir !


La Sentence. Louise Erdrich. Editions Le Livre de Poche. 9,90 €.

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