vendredi 6 mars 2020

La femme révélée


Eliza Donnelley a fui Chicago, quittant un mari fortuné et influent. Elle a dû aussi abandonner Tim, son fils, auquel elle a seulement laissé un message dans l’une de leurs cachettes secrètes. Elle trouve refuge à Paris, sous une nouvelle identité, Violet Lee. Elle n’a emporté qu’une valise, son Rolleiflex, une photo de son petit garçon, et se terre dans un hôtel de passe. Nous sommes en 1950. Paris se réveille après les années sombres de la guerre. Violet rencontre Rosa, une prostituée qui va finir par se laisser photographier et raconter son histoire. Ayant déménagé dans un endroit plus respectable, Violet croise Brigitte et se laisse entraîner dans les clubs de jazz. Commence alors une autre vie, en négatif (positif) de la précédente, où Violet est libre de penser, de photographier et d’aimer. Malgré cette indépendance nouvelle, parviendra-t-elle à se pardonner de n’avoir pu emmener son fils ? De ne pouvoir retourner à Chicago au risque d’y laisser sa peau ? Supportera-t-elle cet exil où la peur d’être traquée n’est jamais loin ? Laissera-t-elle s’exprimer son talent de photographe ?
 Dix-huit ans plus tard, Violet peut à nouveau fouler le sol américain. Les États-Unis sont en pleine ébullition entre les opposants à la guerre du Vietnam et la lutte contre les injustices raciales…
Bien sûr, on se laisse emporter dès les premières lignes par cette fresque dense, rédigée d’une main de maître par Gaëlle Nohant. Elle y dépeint des personnages profondément attachants. En ping-pong incessant entre Paris et Chicago, le présent et le passé, l’auteur fait progresser son intrigue comme les bains du photographe révèlent les clichés. Par petites touches, même si on a plus ou moins deviné, surgit l’explication de l’exil, étape courageuse et indispensable à Eliza pour retrouver son intégrité. Son caractère, ses doutes, ses blessures et ses hésitations, tout est narré avec justesse et délicatesse. Malgré les déchirures et la violence, les trahisons et les déceptions, il se dégage de ce livre une grande humanité. Gaëlle Nohant a su explorer les failles de ses protagonistes sans jamais tomber dans le piège de la vision binaire des bons et des méchants. Il en ressort une grande bienveillance. Si l’ébullition politique de 1968 à Chicago, largement évoquée à la fin du livre, souffre d’un « name dropping » un peu déstabilisant, l’épisode permet néanmoins à l’auteur d’évoquer le rapprochement de deux personnages sans tomber dans les clichés. Quoiqu’il en soit, la dernière page tournée, difficile de se résoudre à abandonner les héros de ce magnifique roman.
 Du même auteur : « La part des flammes » mêlant le destin de trois femmes rebelles de la fin du XIXème siècle autour de l’épisode méconnu du tragique incendie du bazar de la charité (événement repris depuis par une série télévisée) et « Légende d’un dormeur éveillé », une biographie romancée de Robert Desnos. Ils sont tous deux sortis en poche. Vite, je vais foncer chez mon libraire. Et vous ?

La femme révélée, Gaëlle Nohant, Editions Grasset, 22€.

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