Tout le monde se souvient de ce qu'il faisait il y a quatre ans, en fin de soirée. Pour ma part, j'étais avec mes ami(e)s au Bistrot de la Scène, à Dijon. Je jouais et dansais l'histoire de la Goulue avec Julie, Mag, Fanfan, Ligia, Gérald, Brigitte et les autres. Une rumeur a bruissé dans les coulisses à la fin du spectacle. Ce n'était qu'un frémissement. Plus tard, dans la voiture, encore fardées et coiffées, dans la nuit et le brouillard du retour à Beaune, nous écoutions la radio déverser des informations qui nous laissèrent sans voix. Le lendemain, après de nombreuses incertitudes sur l'annulation probable de tout un tas de festivités, nous avions pu jouer la dernière, dans une symbiose incroyable avec le public. Notre French cancan et la liberté de Louise Weber prenaient tout leur sens.
Longtemps je me suis refusé
à lire « Le livre que je ne voulais pas écrire » d’Erwan Larher. Pourquoi, alors, quatre ans plus tard, me plonger dans le récit de cette funeste soirée ?
13 novembre 2015, concert des
Eagles of Death Metal au Bataclan. Erwan Larher, écrivain, est au mauvais
endroit au mauvais moment. Après la bataille, on le presse logiquement de
raconter son histoire. Soit. Je ne voyais pas la nécessité de nourrir une
potentielle curiosité morbide. Pas plus que je n'avais envie de me plonger dans cette
lecture intrinsèque des événements. Et puis, un jour, le besoin de dépasser les
préjugés et de me faire une opinion a eu raison de mes réticences.
Me voilà donc embarquée avec
Erwan Larher qui rembobine les cassettes audio (les 60 minutes, parce que les 90, trop fragiles, la bande se fait la malle !) et découvre toute la musique qu’il
aime. Des années plus tard, il promène sa silhouette dégingandée, ses cheveux
en pétard et ses santiags au Bataclan. Pas de bol. Il se retrouve, ni pleutre,
ni héros, allongé derrière un pilier, une balle dans la fesse et les mains
d’une autre victime accrochées à ses mollets. Il ne réalise pas très bien
comment il échappe au tir qui lui serait fatal. La musique s’est arrêtée. Au
sol, la masse des corps pétrifiés, de peur, de douleur ou pire. ça mitraille dès qu’un téléphone sonne.
Erwan a oublié le sien. Le moment interminable des salves achevé, il demeure là, immobile.
Que se passe-t-il ? Il a le temps d’écouter, de réfléchir, de chercher à
comprendre, d’y renoncer. Les secours arrivent. Il a froid. Dans les yeux de
ceux qui lui viennent en aide, il distingue l’effarement et le sentiment
d’impuissance. Dans l’ambulance, il n’est pas le seul blessé. A l’hôpital, on
l’examine, on l’opère. Coton, chaleur, soulagement. Où sont passées les santiags
qu’il avait aux pieds en arrivant ? Dans les jours et les semaines qui
suivent, il faut se rassembler et recoller les morceaux.
Que faire de tout ça ? Un
objet littéraire. Est-ce prétentieux ? Rien ne l’est vraiment dans ce
livre bluffant qu’on lit de bout en bout en retenant son souffle, en riant, en
tremblant... L’écriture est érudite, soignée, subtile. L’auteur fait preuve de
rigueur en même temps que d’une grande capacité à l’autodérision ( à son corps
défendant peut-être, mais le fait est). Il décrit humblement ce qui lui arrive,
sans misérabilisme, sans colère. Il imagine sans mépris le néant des auteurs du
crime ; à quoi mène parfois la carence d’amour, de culture et de
perspectives. Si cela ne tuait pas d’humains, c’en serait risible. Erwan Larher
évite tous les écueils de l’exercice avec à la fois beaucoup d’émotion et de
détachement. Il a également demandé à ses proches de lui livrer leur
témoignage. On passe donc de son propre récit à celui d’autres narrateurs qui
évoquent ce qu’ils faisaient ce soir-là, au moment où ils ont réalisé que leur
ami, fils, pote était dans l’enfer du Bataclan. Il raconte aussi l’après :
la blessure, l’hôpital, la convalescence, la rééducation. L’impact émotionnel
invisible sur les séquelles physiques. Il se livre sans fard ni fausse pudeur
et réussit la prouesse de n’être jamais exhibitionniste. C’est touchant. A la fin du livre il laisse la plume à un autre écrivain talentueux, la frêle et magnétique Loulou Robert,
qu’il a rencontrée après tout ça, dans un salon littéraire du sud de la France.
Il aurait pu « rester sur [ses] préjugés de snob de la littérature : « Une mannequin qui
écrit ? ! » et l'ignorer. Il ne l’a pas fait, il a eu raison. Loulou achève le récit par le plus beau des mots, celui par lequel une autre histoire commence.
Le livre que je ne voulais pas écrire. Erwan Larher. J'ai lu. 7,40€
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