« Tous les hommes n’habitent
pas le monde de la même façon » était dans ma PAL (pile à lire) depuis la
mi-août. Jean-Paul Dubois s’étant vu attribuer le Prix Goncourt, il m’est apparu urgent d’aller voir de plus près de quoi il retournait.
Paul Hansen, le narrateur, est en
prison à Montréal. Il partage sa cellule avec Patrick Horton, un Hells Angel
incarcéré pour meurtre. Lui n’a, on le comprend de manière elliptique, tué
personne. Il purge une peine de deux ans. Avant d’arriver là, il était
superintendant -homme à tout faire- dans une résidence. Protagoniste
délibérément lisse, il était le dévouement incarné pour tous les habitants. Les
choses se gâtent le jour où un nouvel arrivé est élu gérant de l’immeuble. Paul
fait le dos rond.
Retour à Toulouse en février
1955. Né d’un père pasteur danois et d’une mère française, exploitante d’une
salle de cinéma, le narrateur parcourt son enfance, puis son adolescence, se
demandant parfois comment deux individus aussi différents que ses parents ont
pu s’unir. Mère fuyante, père maladroit et le silence au milieu. Spectateur de
sa vie, sans ambition particulière, notre anti-héros ne cherche pas à faire
d’étincelles et se laisse porter. Il accomplit consciencieusement ses tâches
professionnelles. Rencontre une femme, Winona, issue de la tribu indienne des
Algonquins. Il l'accompagne régulièrement dans les vols qu'elle effectue avec
son avion-taxi Beaver au-dessus de la nature sauvage. Adopte le chien, Nouk,
qu'elle recueille au cours d'un de ses périples. Reçoit Kieran Read, un
résident solitaire exerçant un bien curieux métier. Il répare, remplace, vient
en aide à tous en rendant de menus services.
Dans la cellule, Patrick, le gros
dur, qui impressionne tous les détenus, a peur des souris, ne supporte pas de
se faire couper les cheveux et suggère à Paul de débiter ce qu'il veut entendre
au fonctionnaire de l'administration pénitentiaire chargé des dossiers de
remise de peine. Le narrateur solitaire affirme recevoir la visite régulière de
son père, Winona, et Nouk, pourtant morts tous les trois.
L’auteur, avec une langue
inventive - acuité troublante, métaphores pertinentes et vocabulaire pointu-
tisse le portrait d’un homme à la fois bon petit soldat et épris de justice, un
monsieur tout le monde quasi invisible dont l'ancrage et l'étoffe se forgent au
fil des pages. La construction du récit est imparable, dans l’alternance du
récit des épisodes de la vie en prison et des souvenirs, jusqu’à ce que les
deux temps se rejoignent et qu’on ait le fin mot de l’histoire, tel un puzzle
reconstitué.
Autour du narrateur, l'auteur
place des protagonistes au profil fouillé, à commencer par le compagnon de
cellule, oscillant entre force et fragilité. Une ambivalence drôle et
poignante. A l'instar de ce dernier, les autres personnages sont minutieusement
dessinés. La simplicité de Winona, la fourberie du nouveau gérant, l’activité saugrenue
du voisin… de multiples tiroirs s’ouvrent au fil du roman sur des individus qui
nous surprennent au tournant.
Bref. Un livre magistral. De la
grande littérature qu’il faut prendre le temps de savourer (le roman ne se lit
pas en deux heures) voire de relire (tellement c’est beau). J'émets néanmoins
un bémol à l'attention de l'éditeur. Je regrette en effet qu’un tel ouvrage
n’ait pas bénéficié d’une relecture plus soignée. Trop de coquilles dans mon
exemplaire pour un livre d’une telle trempe. En espérant des réimpressions
dûment corrigées.
Tous les hommes n’habitent pas le
monde de la même façon. Jean-Paul Dubois. Editions de l’Olivier. Prix Goncourt
2019. 19€
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