dimanche 24 novembre 2019

Un étonnant voyage !




« Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon » était dans ma PAL (pile à lire) depuis la mi-août. Jean-Paul Dubois s’étant vu attribuer le Prix Goncourt, il m’est apparu urgent d’aller voir de plus près de quoi il retournait.
Paul Hansen, le narrateur, est en prison à Montréal. Il partage sa cellule avec Patrick Horton, un Hells Angel incarcéré pour meurtre. Lui n’a, on le comprend de manière elliptique, tué personne. Il purge une peine de deux ans. Avant d’arriver là, il était superintendant -homme à tout faire- dans une résidence. Protagoniste délibérément lisse, il était le dévouement incarné pour tous les habitants. Les choses se gâtent le jour où un nouvel arrivé est élu gérant de l’immeuble. Paul fait le dos rond.
Retour à Toulouse en février 1955. Né d’un père pasteur danois et d’une mère française, exploitante d’une salle de cinéma, le narrateur parcourt son enfance, puis son adolescence, se demandant parfois comment deux individus aussi différents que ses parents ont pu s’unir. Mère fuyante, père maladroit et le silence au milieu. Spectateur de sa vie, sans ambition particulière, notre anti-héros ne cherche pas à faire d’étincelles et se laisse porter. Il accomplit consciencieusement ses tâches professionnelles. Rencontre une femme, Winona, issue de la tribu indienne des Algonquins. Il l'accompagne régulièrement dans les vols qu'elle effectue avec son avion-taxi Beaver au-dessus de la nature sauvage. Adopte le chien, Nouk, qu'elle recueille au cours d'un de ses périples. Reçoit Kieran Read, un résident solitaire exerçant un bien curieux métier. Il répare, remplace, vient en aide à tous en rendant de menus services.
Dans la cellule, Patrick, le gros dur, qui impressionne tous les détenus, a peur des souris, ne supporte pas de se faire couper les cheveux et suggère à Paul de débiter ce qu'il veut entendre au fonctionnaire de l'administration pénitentiaire chargé des dossiers de remise de peine. Le narrateur solitaire affirme recevoir la visite régulière de son père, Winona, et Nouk, pourtant morts tous les trois.
L’auteur, avec une langue inventive - acuité troublante, métaphores pertinentes et vocabulaire pointu- tisse le portrait d’un homme à la fois bon petit soldat et épris de justice, un monsieur tout le monde quasi invisible dont l'ancrage et l'étoffe se forgent au fil des pages. La construction du récit est imparable, dans l’alternance du récit des épisodes de la vie en prison et des souvenirs, jusqu’à ce que les deux temps se rejoignent et qu’on ait le fin mot de l’histoire, tel un puzzle reconstitué.
Autour du narrateur, l'auteur place des protagonistes au profil fouillé, à commencer par le compagnon de cellule, oscillant entre force et fragilité. Une ambivalence drôle et poignante. A l'instar de ce dernier, les autres personnages sont minutieusement dessinés. La simplicité de Winona, la fourberie du nouveau gérant, l’activité saugrenue du voisin… de multiples tiroirs s’ouvrent au fil du roman sur des individus qui nous surprennent au tournant.
Bref. Un livre magistral. De la grande littérature qu’il faut prendre le temps de savourer (le roman ne se lit pas en deux heures) voire de relire (tellement c’est beau). J'émets néanmoins un bémol à l'attention de l'éditeur. Je regrette en effet qu’un tel ouvrage n’ait pas bénéficié d’une relecture plus soignée. Trop de coquilles dans mon exemplaire pour un livre d’une telle trempe. En espérant des réimpressions dûment corrigées.

Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon. Jean-Paul Dubois. Editions de l’Olivier. Prix Goncourt 2019. 19€

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