mardi 6 décembre 2022

 

Simon a des rituels. Geste chaque jour reproduit, le café du matin, dans le même bol, depuis très longtemps. Au moment où l’objet lui échappe des mains et se brise, une autre cassure émerge des morceaux de faïence bleue éparpillée sur le sol. Dans ce bol il y avait les brumes de la nuit et les premières pensées, la concentration naissante pour la journée de travail à venir, une forme de liberté. Simon est psychanalyste. Il fait silence afin d’offrir à ses patients un chemin pour leurs mots. De chemin, il a désormais besoin d’en arpenter un autre. Alors il s’en va. Il a organisé son départ. Trié ses dossiers. Il laisse derrière lui des questions sans réponses, des amitiés, ancienne et naissante. Direction le Japon. Tout est inconnu sur ces îles Yaeyama. Dans la maison où il est accueilli, madame Îto Akiko parle français et collectionne les tissus anciens. Son mari, quant à lui, travaille la céramique selon une technique ancestrale. Simon adopte un autre rythme, au gré des rencontres avec ses hôtes. Il s’adapte au climat, à l’eau de la mer, si différente de celle dans laquelle il nage en Bretagne. Ses baignades le plongent dans ses souvenirs et les émotions que ces derniers soulèvent. Une raie Manta rompt sa solitude. Le bouleversement des repères, l’étrangeté des lieux et des habitudes, à quoi tout cela va-t-il aboutir ? Matthieu, Louise, Lucie F, Hervé, Mathilde, des prénoms dansent, comme autant de fantômes, d’histoires inachevées, de relations en friche ou en devenir. En démêler les fils. 

« Avez-vous lu La patience des traces de Jeanne Benameur ? ». Je griffonne le titre et le nom de l’auteur sur une feuille volante que je jette ensuite dans le fouillis organisé de mon sac à main. Et j’oublie. Plus tard, de passage à la librairie, La patience des traces, mystérieuse, se rappelle à moi. Je commence à lire le roman et je mesure. L’impact des mots. Ce « avez-vous lu ? » qui, bien plus qu’une question anodine, s’avère être une incitation à la découverte. Une parole en forme de partage qui m’embarque finalement dans l’exigence et la méditation. Une atmosphère troublante, chaude et douce, enveloppante et énigmatique comme peut l’être le cabinet du psychanalyste. Une immersion inquiétante et pourtant bénéfique dans les profondeurs de l’être. Lire entre les lignes. La plume du poète et du psychanalyste se mêlent pour ouvrir des brèches à l’introspection, tendre des miroirs dont les reflets semblent avoir un pouvoir magique. Celui de distiller la paix dans le puzzle désordonné de nos vies. Jeanne Benameur plante le décor avec grâce, suspend le temps dans ce jardin japonais où chaque élément a son importance. L’arbre, l’atelier, les pierres sont autant de voies pour parvenir à l’art de faire du beau avec ce qui est cassé. Ce livre est un fil d’or. Il nous emporte dans la rencontre avec l’autre. Et ce que l’autre nous donne à voir de lui est un cadeau pour nous-mêmes. Une pure merveille.


La patience des traces.
Jeanne Benameur. Actes Sud. 19,50

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