mardi 20 décembre 2022

Aix-la-Chapelle, 24 décembre 1476

 

La messe est bien triste. Père ne remarque rien, tout à sa joie de me voir mariée demain à Maximilien. Maximilien... Avant lui, à combien d’autres ai-je été promise ? Mes pleurs ne tarissent pas. D’abord docile – mon éducation m’a bien préparée au rôle qui m’incombe – je vois au fil des ans se profiler une réalité qui me rebute. Qui suis-je donc ? Une vulgaire monnaie d’échange ? On me déplace sur l’échiquier des mariages, dame ou pion ! Un enjeu politique à la disposition d’un père qui use de mon sexe en fonction de ses intérêts ou des menaces que tel ou tel ennemi fait peser sur la Bourgogne.
Ma tête est penchée, l’on pourrait croire que
je prie. Les voiles de mon bonnet à cornette masquent mon visage. Mes cheveux en torsade dans mon dos ne parviennent pas à empêcher un filet d’air de s’immiscer sur ma nuque. Je frissonne dans ma robe de velours, couleur amarante. Je suis couverte de pierreries, mise en valeur comme une nouvelle tapisserie que l’artisan viendrait présenter à son commanditaire. Les psalmodies égrenées par les hommes d’église sont propices à l’évasion. Nicolas. Mon cœur, tout à coup, bat plus fort. Voilà un prétendant que j’avais aimé. Après de multiples tractations et rebondissements, j’avais échappé au mariage avec le Duc de Gueldre, un vieillard hideux. Mon père avait fait semblant d’avoir pitié de moi et annulé cet engagement pour me marier à Nicolas de Calabre. Je n’étais pas dupe de ce revirement. La position de ce dernier, Duc de Lorraine, et le plaisir que Charles le Téméraire pouvait retirer à mettre des bâtons dans les roues du Roi de France avaient pesé dans l’escarcelle. J’avais passé un mois à Mons, à l’hôtel ducal de Noost. Nicolas m’avait fait la cour. J’avais été séduite par sa beauté, sa douceur et sa gentillesse. Je ne me suis jamais remise de la promesse encore une fois rompue par mon père. Mon nom et mon corps à nouveau objets de négociation. Faut-il se sacrifier pour préserver la Bourgogne ? Marguerite, ma douce belle- mère, mon alliée, surprend mes sanglots et prend ma main dans la sienne. Sa chaleur me redonne un peu de force. Je prépare mes mots pour le banquet, tout à l’heure. Du houx aura été fixé au-dessus des portes. La grande salle sera décorée de lierre mais aussi de laurier et de branches de sapin, tout ce que la nature compte de vert en cette saison morose. Des rameaux de gui en forme de double anneau auront été accrochés. Je n’ai pas le cœur à distribuer des baisers dessous en tirant sur les baies poisseuses, quand bien même cette coutume repousserait les mauvais esprits. Des tréteaux et un plateau drapé d’une nappe seront dressés près de l’âtre. Mille entremets seront servis pour régaler l’assemblée. Ce sera le début de douze jours de fête, jusqu’à l’Épiphanie. Des jongleurs, une troupe de comédiens... les distractions ne manqueront pas. Puis viendra la fête de Saint-Innocents, un rite d’inversion sociale que je trouve un peu effrayant. J’entends un Amen. Quelques chants. Le raclement d’un prie-Dieu qu’on déplace.
La Messe est finie. Charles de Bourgogne
sera furieux mais rien ne pourrait me faire désormais dévier. J’ai dix-neuf ans, je suis lasse. Je trouverai la force de dire que je ne veux pas de Maximilien pour époux. Que je ne veux plus d’époux du tout. Cette perspective me soulage instantanément. Je passe mes mains sur mes joues, me lève avec grâce et avance d’un pas sûr vers mon destin. 

 

Pensées fictives de Marie de Bourgogne, interprétation libre d’après Les plus beaux noëls de l’histoire d’Henri Pigaillem.


Après la mort de son père quelques semaines
plus tard, Marie de Bourgogne conclura finalement son mariage avec Maximilien.


Enluminure du manuscrit Français 9342, La geste ou histoire du noble Alexandre, roi de Macédoine, XVe siècle, Gallica/BNF


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