lundi 26 septembre 2022

Que reviennent ceux qui sont loin




Depuis un mois, comme le ressac, un titre jaillit de ma pile à lire. Il m’attire. Je repousse le moment. Peut-être, peut-être pas. Quelqu’un murmure à mon oreille : « Vous devriez lire Que reviennent ceux qui sont loin. Ce roman vous plaira ! ».
Alors je plonge. L’amour des livres. Celui-là nous enveloppe d’une douce nostalgie et plus encore, pour peu qu’on en partage les références. Or, qui n’a pas de souvenirs d’enfance, de vacances, d’un lieu aux bruits inhabituels et familiers, de l’odeur du pain grillé le matin ? Qui n’a pas en mémoire la peau fripée des mains de sa grand-mère, douce et vulnérable ? La torpeur des après-midis d’août, des cris d’enfants excités, des détonations d’un feu d’artifice qu’on voudrait ne jamais voir finir, de la fraîcheur qui tombe sur les nuits de la fin d’été ?
Août. Après plusieurs années d’absence, un jeune homme revient en Bretagne, dans la maison familiale. Cette dernière bruisse de la mémoire d’une lignée, dans la permanence d’un décor et de rites immuables. En décrivant cet univers, le narrateur réalise combien ce lieu et ces personnes comptent pour lui. Il prend conscience du temps qui passe. D’enfant, il a basculé dans le monde des adultes et observe, à travers les mouvements de l’un de ses petits cousins, les émotions qu’il a traversées au même âge, il y a déjà si longtemps. Chaque journée qui s’écoule voit surgir de nouvelles réminiscences, délicieusement disséquées. Il y a le café du Port et la messe du dimanche, le sable qui partout s’immisce, le linge étendu en proie à la rosée si on l’oublie sur le fil. Les jours s’écoulent, paix et mélancolie. Puis, le 15 août passé, on bascule dans l’après. Fin de la parenthèse estivale avant le recommencement de l’année prochaine. Mais que sera l’année prochaine ?
Comment Pierre Adrian peut-il décrire avec autant de finesse et de précision les états d’âme et les sensations ? Le lecteur s’incarne littéralement dans ce roman. Il entend les grincements de la vieille bâtisse. Il respire l’odeur de la cuisine, des vieux meubles et des coussins passés. Il sent le sel qui craquelle la peau, les cheveux humides et rendus poisseux par la brise marine. Il devine un portail, des buissons, une allée, l’horizontalité de la mer derrière la dune. Il goûte la saveur d’un biscuit, d’une crêpe, d’une boisson d’été. Il est chaviré par les sentiments que tous ces petits riens suscitent en lui. C’est vrai. Il a vécu ça. Quelque chose d’universel. C’est précis, enfoui mais présent. Un bout d’enfance qu’on va chercher si loin. Si près pourtant ! Que ne le voit-on pas ? Pierre Adrian le dessine tout en délicatesse et d’une plume admirable, brosse les drames et les joies, l’enfance et l’âge adulte, les fins et les débuts. Il y a l’ordre des choses, l’impensable aussi. Ce qu’on en fait. Brillant !


Que reviennent ceux qui sont loin. Pierre Adrian. Éditions Gallimard. 20 €

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