mardi 13 septembre 2022

Hors de toi

 


Le hasard d’une rencontre (est-ce vraiment un hasard ?) m’a permis de découvrir un nouvel auteur. Au terme d’une période de disette (la saveur du livre entamé ne correspondait pas à mon humeur du moment, un autre ouvrage commencé, je restais sur ma faim), ce premier roman m’a ouvert à nouveau l’appétit. J’ai dégusté chaque mot de cette lecture. Ah ! La saveur des bonnes choses.
Il y a la Maison-des-Vents, la Maison-des-Sables, la Maison-des-Vacances, la Maison-de-Pierres. Alice, l’héroïne de cette histoire, a tantôt 5 ans, tantôt 6, 10, 15 ou 25. Ballottée entre les lieux et les personnes, elle ne peut s’ancrer en sécurité nulle part. Elle subit sans mot dire la haine ordinaire d’une belle-mère folle à lier et d’un beau-père déglingué. Chacun de leur côté, les parents divorcés n’entendent ni ne voient rien de la détresse contenue de leur fille. Alice compose avec sa colère, la nourrit, s’en enrobe, tente de la déchirer parfois. Les souvenirs, tendres et cruels, s’égrènent au fil des pages. Ce sont ceux de la petite fille, de la jeune adulte ou de l’adolescente qui se répondent en écho ; ils mêlent violence, espoir, résignation, intelligence, joie et colère. De ces allers-retours incessants entre hier, avant-hier et aujourd’hui, l’héroïne pourra-t-elle enfin expulser les démons du passé ?
Il est délicat de résumer Hors de toi, d’en parler sans en dévoiler la substance. Il ne s’agit pas d’un énième ouvrage évoquant la maltraitance, les abus sexuels et leurs conséquences. Non, c’est beaucoup plus subtil. Cela procède de l’art de raconter les traumatismes sans les nommer. Avec beaucoup de pudeur, des ellipses ô combien parlantes, Sandrine Girard s’adresse à l’enfant intérieur, celui qui a été bafoué, ignoré et malmené. Racontés à la deuxième personne du singulier, les souvenirs constituent un patchwork d’où parviennent à émerger paix et optimisme. La plume de l’auteur saisit avec beaucoup de sensibilité les bonheurs fugaces, les tourments, les questionnements suscités par chaque âge. Elle entraîne le lecteur dans les parfums et les sensations de l’enfance, les premiers troubles de l’adolescence, le goût amer de l’incompréhension, des brimades et de l’humiliation. Face à des parents impuissants à le protéger, quelles sont les perspectives d’un enfant ? Sandrine Girard ne s’épanche pas, ne juge pas. Elle ne s’appesantit pas, comme si tous ces traumatismes n’avaient pas besoin d’être exhibés pour être exorcisés. Elle relate avec détachement. D’une écriture élégante et assurée, elle tend la main à cet enfant enfermé dans sa souffrance. Elle l’emmène dans la douceur acidulée de la résilience. Le titre Hors de toi joue magnifiquement sur son double sens. La colère silencieuse et paroxystique est évacuée, mine de rien. Un premier roman lumineux, où, dans un désordre trompeur, l’auteur, grâce à une narration structurée et originale, maîtrise les atmosphères du début à la fin. Imparable.


Hors de toi. Sandrine Girard. Editions Calmann-Lévy. 17,50 €

 

 

Chronique initialement  parue le 12 octobre 2021 dans Echosdcom

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