mardi 13 septembre 2022

Les Sacrifiés

 

 Estocades ibériques !


Un demi-millier de livres et des poussières pour cette rentrée. Vertige. Chercher. Choisir. Une couverture rouge. Un titre qui sonne comme une plaie béante, un écorchement. 373 pages. Les yeux noirs d’une danseuse de flamenco. Les années folles. L’Europe de 1930, aux prémices des épreuves fratricides. Un torero, un cuisinier, un poète, des femmes. La guerre. Les sacrifiés de Sylvie Le Bihan, tire sa banderille du jeu.

 
Juan Ortega a grandi auprès de sa mère en Andalousie. Elle lui a appris la cuisine pour s’éviter la frayeur de le voir partir, comme les autres hommes de la famille, dans le monde de la tauromachie. Il a quinze ans lorsqu’il quitte le foyer pour devenir le cuisinier d’Ignacio Sánchez Mejías, un célèbre torero. En février 1928, ce dernier arrache le jeune homme à sa hacienda sévillane pour l’emmener à Madrid. Là, Juan rencontre La Argentinita, danseuse de flamenco, l’amante qui fait vibrer le cœur d’Ignacio. Il éprouve un coup de foudre amoureux pour la jeune femme, Encarnación de son vrai nom. Il ne voit pas que Carmen, la sœur de la première, en pince pour lui. Il se frotte au bouillonnant monde madrilène et aux artistes de la génération de 27, sympathise avec Federico Garcia Lorca. Paris, New York, le petit Andalou découvre le monde, ses plaisirs, ses affres, les conflits qui agitent les âmes et les peuples.
Au début du roman, comme des centaines de milliers d’autres, deux des personnages principaux traversent les Pyrénées pour fuir le régime de Franco après la défaite des républicains. Puis, de la Séville du milieu des années vingt jusqu’à Paris en 2000, où un vieillard livre enfin ses secrets à l’ami bouquiniste, ce roman dense (danse ?) entraîne le lecteur dans une étourdissante corrida. Celle des sentiments et des amours torturées. Attente, déchirement, espoir, souffrance. Celle aussi d’une jeunesse colorée, érudite, enthousiaste, qui voudrait voir le monde changer et qui est prise dans la tourmente de l’oppression, la brutalité de la bien-pensance. Échos
douloureusement actuels, les phrases de Sylvie Le Bihan à propos de la guerre d’Espagne et des dictatures allemande et italienne interrogent fortement sur le monde d’aujourd’hui. Comment la violence naît et déborde de rêves brisés. Comment le monde, inlassablement, répète les mêmes erreurs. Ce pourrait être plombant, ça ne l’est pas. C’est une fresque flamboyante de l’Espagne d’entre-deux guerres. L’amitié, l’amour, la jalousie, la trahison, la passion et les secrets agglomèrent les personnages en une famille attachante et blessée. L’Histoire avec un grand H forme un décor instructif, peuplé de figures artistiques connues, qui donne envie de se (re)plonger dans d’autres livres, la poésie et le théâtre de Garcia Lorca notamment. Dans Les sacrifiés, Sylvie Le Bihan donne un souffle terriblement romanesque à l’amertume et aux espoirs déçus. La dernière page tournée, on n’a finalement qu’une envie : A 200 %, Vivre !


Les sacrifiés. Sylvie Le Bihan. Editions Denoël. 20€

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