mardi 13 septembre 2022

Clara lit Proust

 

 

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Clara est coiffeuse chez madame Habib, au salon Cindy Coiffure. La patronne voue un culte à Jacques Chirac (une photo est accrochée près de la caisse) et biche toujours un peu quand elle voit passer JB, le petit ami de Clara. Pompier à la plastique avantageuse c’est le gendre idéal en puissance. Mais l’amour s’émousse, s’échappe. Clara ne sait pas trop quoi y faire. Alors elle ne fait rien. Les journées s’écoulent au salon, au rythme des petites histoires des clientes. Lorraine, la buraliste du coin de la rue, vient boire son café. Nolwenn, l’autre employée, passe son permis pour la cinquième fois. Patrick, qui ne coiffe que le samedi, a ses habituées. On écoute Radio Nostalgie. Page 56, Proust se faufile, grâce à un “client sans rendez-vous” tête en l’air. Page 58, il se devine. Puis il se tait pendant cinq mois, vingt-neuf jours, deux heures et quarante-sept minutes. Page soixante-six, un dimanche, il dit son nom, se dévoile enfin. Clara n’a pas grand-chose à faire ce jour-là. Elle a un canapé, un plaid, un chat, un thé, le livre. Équation parfaite. Pourtant, ça n’est pas simple. Elle bute, tourne autour, s’arrête, recommence, y prend goût. En rentrant, après être allé aider un copain à déménager, JB demande à Clara ce qu’elle a fait de son temps (pas perdu). Aujourd’hui, elle a commencé la lecture d’un livre écrit il y a plus de cent ans par un homme qui ne quittait pas son lit, un livre avec des phrases interminables et dont elle a le sentiment, pour une raison qui lui échappe encore, qu’il va la rendre plus forte.
Clara lit Proust. Le titre, à lui seul, libère une rondeur de madeleine. L’évocation d’un salon de coiffure parle à tout le monde. Le bruit du sèche-cheveux ou le crissement des ciseaux, la fraîcheur de l’eau sur le cuir chevelu ça va la température ?, le murmure des conversations, l’odeur entêtante de la laque…Dans ce décor familier – d’autant plus que l’action se déroule dans notre région – la narration prend des accents du Fabuleux destin d’Amélie Poulain. Des personnages soigneusement dessinés évoluent au rythme de courts chapitres. Saynètes dégageant des impressions acidulées d’où surgit A la recherche du temps perdu. Proust attire ou rebute. Les adeptes le sont de manière inconditionnelle. Les récalcitrants ont souvent tenté sans succès de se plonger dans son œuvre. Ce roman ne peut que leur donner envie d’essayer encore une fois, autrement peut-être, en s’autorisant plus de légèreté. Sous la plume de Stéphane Carlier, par petites touches, citations et paraphrases, Swann, Françoise, les Guermantes, s’animent, attisent la curiosité. Les personnages des deux fictions s’entremêlent, donnant la part belle au lien que tout lecteur qui se respecte crée avec son livre. Une fois encore, la littérature vante son aptitude à faire voyager à travers les âges, les humeurs et les souvenirs. L’expérience de Clara avec Proust montre la capacité du livre à bouleverser, à découvrir les erreurs d’aiguillage, à s’émanciper. Un récit parsemé de clins d’œil, touchant et drôle.


Clara lit Proust. Stéphane Carlier. Editions Gallimard. 18,50 €

 
L’ouvrage vient d’obtenir le Prix littéraire Albert Bichot traditionnellement remis à l’auteur lors du salon Livres en Vignes.

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