mardi 12 novembre 2024

Numéro deux

Jeanne et John se rencontrent à un concert de The Cure, à Londres. Lui est persuadé de devenir un grand inventeur, elle rêve de devenir journaliste. De leur union naît Martin. Mais l’alchimie du début se dissout et Jeanne retourne vivre en France. Martin la rejoint pour les week-ends et les vacances. Un jour, l’enfant accompagne son père, accessoiriste, sur un tournage. Là, il est abordé par David Heyman, producteur. Ce dernier a décidé de faire un film sur Harry Potter, avant même que le premier opus de la saga ne devienne un phénomène planétaire. Il cherche son héros et voit en Martin le personnage principal. La mécanique s’enclenche, de rendez-vous en bouts d’essai, casting seul et avec les personnages de Ron et Hermione, déjà désignés. La production a auditionné aussi un autre jeune garçon, Daniel Radcliffe, et entre les deux enfants, le choix s’avère délicat. Qu’est-ce qui va, au final, faire pencher la balance en faveur de Daniel Radcliffe ? (puisqu’on sait tous, à moins d’avoir passé les vingt dernières années dans une grotte, qui a obtenu le rôle). On annonce à Martin qu’il n’est pas retenu. Dans la foulée de cette immense déception, un drame vient bouleverser sa vie. Après les rêves, la cohésion et la complicité, le désespoir, le délitement et la solitude. Comment Martin va appréhender l’avenir et se reconstruire ?

J’ai évidemment un train (pour Poudlard ?) de retard, le livre broché étant sorti en 2022. Mais à l’approche de la Paulée de Meursault, dont David Foenkinos va recevoir cette année le prix éponyme, j’avais envie de lire un roman de cet auteur, dont je possède bien évidemment déjà plusieurs ouvrages, entre autres Charlotte, que j’avais récemment apprécié. J’ai aussi en son temps cédé à la fièvre Harry Potter. Faut-il avoir lu les romans de J.K. Rowling pour se plonger dans Numéro deux ? Pas forcément mais je pense que c’est préférable. On visualise ainsi mieux l’univers dont il s’agit. Évidemment, Harry Potter est le prétexte pour se pencher sur la notion de choix, d’échec, et la façon dont surmonter un traumatisme. Martin est assailli par la réussite omniprésente de l’autre. Il a le loisir de ruminer son échec, la peine de ne pas avoir été choisi, la frustration de rester sur le quai de la gare quand les autres, ceux avec lesquels il était à deux doigts de toucher les étoiles, ont embarqué pour un monde magique. Il
s’enferme dans le silence, ouvrant une porte à ceux qui peuvent lui faire du mal. David Foenkinos nous promène de Londres en Pologne en passant par Paris et le Louvre. Il nous entraîne dans le tumulte de Martin, le désarroi d’une mère, la duplicité d’un adulte censé protéger. Martin adulte doit faire face à son problème mais n’y parvient que partiellement. La clé n’est-elle pas dans l’amour ainsi que dans la capacité à ne jamais oublier qu’une médaille a son revers ? C’est facile à lire, plein de finesse, avec la force de cette écriture qui permet au lecteur de s’identifier.


Numéro deux. David Foenkinos. Éditions Folio. 8,90 €/

Hôtel Castellana


Dans une note datée d’août 1951, Harry Truman, président des États- Unis, expose ses réserves concernant les rapports diplomatiques avec l’Espagne et ce, en raison de la façon dont Franco traite les citoyens en désaccord religieux avec lui. Madrid, été 1957. Rafa cumule un emploi dans un abattoir et au cimetière. Il reste traumatisé après l’arrestation et l’exécution de son père par la Guardia Civil, quelques années plus tôt. Sa sœur Ana, employée à l’Hôtel Castellana Hilton, reçoit des lettres anonymes et tente de se faire discrète sur l’injonction de leur sœur aînée. Daniel, américain, bilingue par sa mère, est en voyage avec ses parents. Destiné à prendre la tête de la compagnie pétrolière familiale il rêve de faire une carrière de photojournaliste. Parti en exploration, boîtier en bandoulière, il capture dans la rue l’image d’une religieuse dissimulant le nourrisson mort qu’elle transporte. Le temps de changer de pellicule pour espérer prendre d’autres photos et il se retrouve nez à nez avec les “corbeaux”, ainsi surnomme-t-on la force militaire au service de Franco. Ramené à l’hôtel, il fait bientôt la connaissance d’un certain nombre de protagonistes, diplomate, journaliste, autour desquels gravite son père. Quand Ana, affectée au service de la famille, rencontre Daniel, le silence qu’elle a promis de garder sur son histoire et la réalité du quotidien se fissure lentement…
Bien documenté, passionnant, ce roman de Ruta Sepetys, traduit de l’anglais (États-Unis) par Faustina Fiore, nous transporte dans le décor inhabituel de l’Espagne d’après-guerre. On pénètre dans la famille d’Ana, observant la trajectoire d’opposants intellectuels, brisés par le pouvoir. L’écriture, sobre et efficace, nous fait pénétrer au cœur de ces familles, décimées, écartelées par des vues divergentes, bâillonnées. De la nécessité de cacher sa vraie nature pour tout simplement survivre. En parallèle, le cheminement de Daniel, le poids de son héritage, le comportement nébuleux de ses parents, interrogent sur la destinée des gens censément libres. Au fil du livre, les personnages, nombreux, dont la psychologie est bien creusée, se croisent et se livrent, évoluent ou se désagrègent. Les secrets ne sont pas le monopole d’Ana, faisant écho à ceux de la famille de Daniel. On suit tout ce petit monde dans les rêves de corrida, les compromissions avec le pouvoir et on pénètre dans l’un des plus gros scandales de l’époque, celui de bébés qui, par idéologie, ont été arrachés à leurs parents biologiques pour être confiés à des couples qui “pensaient” bien. Un sujet longtemps occulté et qui reste tabou mais qui concernerait quelque 300 000 naissances. Au-delà de cet éclairage historique essentiel, Ruta Sepetys construit une fresque éminemment romanesque, décrivant avec une grande sensibilité les par- cours difficiles, les amours contrariées, les zones d’ombres à éclairer.


Hôtel Castellana. Ruta Sepetys. Éditions Folio. 9,70 €

mercredi 2 octobre 2024

Le rêve du pêcheur


Embouchure d’un fleuve africain avec l’Atlantique, en un temps qui n’est pas formulé, tant les pratiques y sont ancestrales. Le Pêcheur a cinq ans lorsque la pirogue vide de son père parti en mer vient se fracasser sur le rivage, quelques jours après une tempête. Sa mère confie l’orphelin à un oncle, se remarie et part vivre loin de l’océan. Le Pêcheur grandit entouré d’une multitude de cousins. Un jour, lui aussi monte dans une pirogue, apprend à réparer les filets, rapporte le produit de sa pêche pour faire vivre la famille qu’il fonde avec l’impétueuse Yelena. Sa première fille porte le prénom de sa mère, Dorothée. La deuxième, Myriam, complète un joli tableau de famille. Le jour où une compagnie forestière s’installe sur la côte et propose de nouvelles règles, les perspectives de chacun sont remises en question. Sans transition, nous voilà sur les Champs Élysées battus par une pluie de janvier, des années plus tard, a priori. Une femme se penche vers un type assis par terre à côté de cadavres de bouteilles et lui tend sa carte de psychiatre, spécialisée dans les addictions. Elle s’est méprise. L’homme, lui-même psychologue, s’est échoué là où quelques semaines plus tôt, un SDF est mort dans l’indifférence. Effondré sur l’asphalte, il est presque anéanti, loin du Cameroun, de Douala, et plus précisément de New-Bell, le quartier pauvre où il a grandi. Il s’est exilé, laissant tout derrière lui sans retour possible. Il est seul et anonyme.
Lauréat du Prix Albert Bichot 2024, Le rêve du pêcheur mêle deux récits de vie. Celui de Yalana, son mari et leurs filles, puis celui de Zachary. Ces deux histoires d’abord bien distinctes finissent par s’entrelacer avant de se rejoindre comme le fleuve et l’océan, dans le tumulte et la beauté. On est très vite happé par les mots de Hemley Boum. Elle décrit les drames avec pudeur mais sans détour. Elle nous entraîne dans les couleurs, les coutumes, le parler de Campo et de Douala. Par la bouche de son narrateur, elle expose le déracinement, la culpabilité, la souffrance. La construction d’une nouvelle vie peut-elle se faire sans fondations ? Elle décrit comment, parfois, les événements échappent à tout contrôle. Les péripéties chahutent les personnages, ici et là-bas, comme dans un écho universel, entre rêve, abandon, silence et malentendus. Y a-t-il un prix à payer pour s’élever, s’intégrer ? Quel est le sens profond de tout cela ? L’intrigue réserve de belles surprises et le développement d’un point de vue inattendu offre une réflexion nouvelle et salvatrice. Au-delà de raconter avec une intensité communicative les sensations, les douleurs et les vibrations des êtres, au Cameroun et en France, l’écrivaine confronte avec finesse le lecteur aux croyances limitantes, aborde judicieusement la question de la transmission et délivre, grâce à une fin magnifique, un puissant message. L’envoutement est total.


Le rêve du pêcheur. Hemley Boum. Editions Gallimard. 21,50 €.

mardi 17 septembre 2024

Le rêve du jaguar



« Au troisième jour de sa vie, Antonio Borjas Romero fut abandonné sur les marches d’une église dans une rue qui porte aujourd’hui son nom ». Ainsi commence ce roman chatoyant. Avouez, ça donne envie d’en savoir un peu plus sur l’incroyable destin de cet Antonio. L’enfant dérange une femme âgée habituée à mendier sur ce même parvis. Elle s’approprie la machine à rouler les cigarettes trouvée dans les langes et se désintéresse du bambin. Mais les passants, attendris par la présence du nouveau-né geignard, sont plus généreux dans leur obole. La vieille prend finalement le nourrisson en charge. Quand le jeune garçon est en âge de gagner de l’argent, il explore toutes sortes de pistes. De voleur de barque à vendeur de cigarettes, il va où le mènent les opportunités de sa caste. Alors qu’il a trouvé un travail au port, il voit débarquer la statue de Simon Bolivar, el Libertador, et la ferveur populaire que cela entraîne. Nous sommes au Venezuela, à Maracaibo, capitale de l’état de Zulia, à cinq-cents kilomètres à l’ouest de Caracas. La vie d’Antonio bascule juste après cette halte du monument au port. La découverte du premier gisement de pétrole va transformer l’économie et bouleverser le visage du pays. Pendant cette période, Antonio se métamorphose lui aussi, d’enfant en jeune homme. C’est à ce moment-là que, sur la recommandation d’un vieil ouvrier, il se présente à la porte d’un bordel pour obtenir le poste d’homme à tout faire.
On a à peine tourné trente-cinq pages qu’on a déjà vécu mille vies avec Antonio. De l’Amérique latine, je connais uniquement les sensations que le cinéma et la littérature éveillent en moi. Chaque fois, c’est un déferlement de chaleur, de couleurs, de mouvement, d’odeurs… une effervescence joyeuse qui se joue de la misère et des coups du sort, qui s’obstine vers le beau, flirte avec le magique et les fantômes. Les frontières entre la réalité et le rêve, entre la vie et la mort, semblent beaucoup plus floues que dans notre société. L’austérité paraît bannie tant le rapport aux événements, même douloureux, est charnel. Avec l’écriture à la fois souple et énergique de Miguel Bonnefoy, on touche du doigt une langue ronde, la touffeur de l’atmosphère, la détermination d’Antonio mais aussi celle d’Ana Maria, la jeune fille qui deviendra sa femme. Ensemble, ils franchiront les obstacles pour accomplir leur destinée. Ils deviendront de brillants médecins, ouvrant la voie au champ des possibles. Leur vie est mêlée à l’histoire politique tourmentée du pays (dont l’actualité vibre encore aujourd’hui, hélas). La naissance de leur fille, Venezuela, en est une belle illustration. Cette dernière ne manque pas de caractère, pas plus que les autres personnages, mus par l’intuition, le bouillonnement, l’intelligence, la curiosité. Le rêve du Jaguar est un voyage à ne pas rater en cette fin d’été frileuse.


Le rêve du jaguar. Miguel Bonnefoy. Editions Rivage. 20,90 €

lundi 16 septembre 2024

Roman de gare

 



Quoi ? Déjà septembre ? L’heure des cahiers neufs, des aubes fraîches, de la rentrée littéraire ? Cette dernière ne déverse pas moins de 459 nouveautés dans les rayons des librairies. Comment choisir ? De quoi avez-vous envie ? N’aimeriez-vous pas vous carapater, comme ça, l’air de rien, prolonger l’été et (re)partir à l’aventure ?

Sans bouger de votre fauteuil, grimpez avec Philibert Humm dans un wagon à destination de l’inconnu et du n’importe quoi. Après le succès de Roman fleuve, sur lequel l’auteur s’est reposé, l’argent ne coule plus à flots. Bon gré mal gré, il faut se remettre sur les rails de l’écriture. Souvenez-vous, dans le roman précédent, trois jeunes gens téméraires bravaient la Seine depuis Paris pour rallier l’embouchure du fleuve en canoë. Cette fois, en guise de chemin de croix, notre narrateur a choisi celui de fer. Il transpose donc la fresque fluviale au domaine ferroviaire et sert, en bref, « une resucée du livre précédent » ! Le lecteur est prévenu avec ce brillant éclair de lucidité. Philibert a décidé de voyager économique et léger. Muni de son baluchon (panoplie incontournable du vagabond), accompagné de son ami et acolyte Simon, il s’attelle à trouver la brèche d’une clôture pour pénétrer de nuit dans une gare de marchandises et guetter un train à la destination surprise. Tout se passe-t-il comme prévu ? Rien n’est moins sûr puisqu’en bons logisticiens, Simon et Philibert n’ont que sommairement anticipé (même si la liste de l’équipement a été longuement pensée et dessinée). Lorsque la rame dans laquelle ils sont parvenus à prendre place s’ébranle, le voyage commence enfin. Où les mènera-t-il ?

Autant le dire tout de suite, la quatrième de couverture donne le ton : « Roman de Gare est à même de fournir un loisir ou une distraction salutaire à ceux qui n’attendent plus grand-chose de la littérature et de la vie en général ». La dérision est bien au rendez-vous. La Note de l’éditeur nous fait sourire dès la septième ligne. A la vingtième, on rit franchement. Et on n’arrête plus. Avec une plume éminemment caustique, Philibert Humm décrit les improbables péripéties de deux branquignoles en quête d’aventure. Le narrateur se persuade d’accomplir son grand œuvre ; l’histoire ne dit pas si c’est en écrivant ou en entreprenant ce voyage mais les deux sont étroitement liés de toute façon. Il amuse son lecteur par son impréparation assumée et sa détermination à géométrie variable. L’auteur, lui, maîtrise la dose d’absurde qu’il insuffle à son sujet. Livre atypique, dans un style léché (on me souffle dans l’oreillette que l’héritage d’Alphonse Allais n’est pas loin), Roman de Gare sollicite l’intellect tout en finesse et réduit les prises de tête à néant. Dans un contexte toujours plus morose, on peut qualifier cette épatante épopée d’hilarante et ça, ça n’a pas de prix (enfin si, 21€, mais faut-il sacrifier notre plaisir à l’éventuelle acrimonie du banquier ?) ! Un ouvrage de rentrée idéal pour ne pas retomber trop vite dans le train-train.

 

Roman de gare. Philibert Humm. Editions des Equateurs. 21€.

 

mardi 10 septembre 2024

Neuf rencontres et un amour


Dans le train qui me ramène de Bordeaux à Paris (j’ai dû écourter mon week-end prolongé pour régler un problème domestique), j’ouvre ma liseuse. Ultra-pratique quand je me déplace (encombrement et poids minimum), elle est rétroéclairée pour un confort de lecture optimal. En route pour Neuf rencontres et un amour. Les trépidations d’un train entre Bougival et Louveciennes secouent Antonin Artaud. Il se rend à un dîner. La femme qui reçoit n’a besoin ni de bijoux ni qu’on lui compose des poèmes, juste de cailloux à mettre dans son aquarium. Lorsqu’ils se retrouvent face à face, l’attraction est immédiate. Le jeune homme tourmenté a une idée bien précise de la relation amoureuse et pense qu’entre deux êtres tout se joue en neuf rencontres. Lui, ténébreux, émotif, maladroit, épris, opiomane. Elle, mariée, sensuelle, créative, encline à toutes les expériences. Anaïs Nin, puisqu’il s’agit d’elle, et Antonin Artaud se croisent en diverses circonstances dans un Paris en ébullition. Leurs retrouvailles sont tantôt dues au hasard, tantôt aux rendez-vous. Comment, en neuf tableaux successifs, ces deux personnages haut-en-couleur, libres et fantasques, vont-ils composer avec leur désir de vivre un amour unique et pur ?

Je faisais traîner l’achat de ce roman depuis plusieurs mois. Résolue à le lire avant l’été je le charge dans ma liseuse avec l’intuition qu’il serait un bon compagnon pour ce voyage. Je retrouve l’aisance de Jérôme Attal dans l’écriture, une sorte de grâce, de légèreté, de finesse, de précision. Je renoue avec son humour incisif, l’amour de la langue avec laquelle il se réinvente en permanence. Je ris, les pages s’enchaînent dans une certaine délectation. Le roman permet à l’auteur de prendre les libertés qu’il souhaite avec l’histoire qui a réellement existé entre ces deux figures atypiques du monde littéraire de l’entre-deux guerres. Il nous entraîne dans le tourbillon des questionnements, des limites ou de l’absence de limite ; il interroge les fondements de la créativité. Spontanément (à l’opposé de ma timidité parfois maladive), j’écris un message à l’auteur, rencontré à de nombreuses reprises en salon du livre. J’expose brièvement mon environnement (le wagon, le retour vers Paris) et quel bon moment je passe avec ses personnages et son intrigue. La réponse est rapide et surprenante. Jérôme Attal est dans le même train que moi ! Situés dans deux rames différentes, nous ne partagerons pas nos impressions autour d’un café à la voiture bar. Cependant, les circonstances et la proximité font de cette coïncidence une sorte de communion intellectuelle, donnant à ce dimanche soir la coloration particulière d’un coucher de soleil et d’un paysage verdoyant défilant à travers les vitres d’un TGV, décor observé simultanément par une lectrice et un écrivain. Et, poursuivant ma lecture, j’imagine la joie d’un auteur assuré que quelque part, tout près, quelqu’un tourne avec friandise les pages de son dernier roman.


Neuf rencontres et un amour. Jérôme Attal. Éditions Fayard. 20 €.

lundi 9 septembre 2024

Sept nouvelles de la terre




 La Terre à la Une


Vous voulez des nouvelles de la Terre ? Sept auteurs des XIXe et XXe siècles nous livrent leur vision à travers un recueil d’histoires courtes. « Il n’y avait qu’à déblayer les bords du fleuve, de l’immense forêt vierge enracinée là depuis la naissance du monde » ; des hommes défrichent une forêt pour y installer une ville mais la forêt ne compte pas se laisser faire. « Toute la planète est goudronnée sauf Tsalka. Nous sommes la risée du monde […] il nous faut le goudron ! » ; Edolfius se bat depuis longtemps pour goudronner la route qui relie son village à la ville. Ailleurs, les “duniers” protègent leur territoire face à des envahisseurs venus de la mer, les “volters” : « Nous les traitons de monstres, mais je te le demande, Botrik, qui sont les monstres ? » interroge un jeune soldat circonspect. « C’est la loi de l’évolution, dit Bunting en colère, celui qui s’adapte survit » ; en 2430, la terre n’est plus peuplée que de trilliards d’humains et du plancton qui sert à les nourrir. Seul Cranwitz garde une poignée des derniers animaux. Dans un autre futur : « Disons pour faire court que l’activité humaine en quelques dizaines d’années, a abîmé la planète au point de nous obliger à porter cet accoutrement » ; vivre son adolescence quand les visages sont cachés par des masques et les corps enfouis dans des combinaisons !

Comment ces écrivains ont-ils pu être aussi clairvoyants ? C’est ce qui nous a plu dans ces nouvelles. Les peurs du monde qui change ne datent pas d’hier. Chaque nouvelle, conte fantastique (Woods’town d’Alphonse Daudet) ou dystopie (2430 d’Isaac Asimov), traite du rapport de l’homme avec la planète et de son avenir. Déforestation, surpopulation, pollution, risque nucléaire, avantages et inconvénients du progrès (comme dans L’asphalte, nouvelle déchirante de Sylvain Tesson) sont autant de sujets qui montrent l’influence souvent néfaste de l’homme sur son environnement. Asimov nous rappelle à quel point l’homme peut être un mouton et nous avons été impressionnés par sa vision d’un futur, en 1958, où l’homme ne penserait qu’à lui, éliminant la vie animale autour de lui. Dans le contexte actuel et les guerres qui nous menacent, Planète pour hôtes de passage (1953) de Philip K. Dick souligne la fragilité de l’humanité et un manque d’humilité qui peut la conduire à la catastrophe. Plus près de nous, Bas les masques, écrit en 2005 par Benoît Boyard, plaira aux jeunes lecteurs, les héros étant des adolescents. La lecture de cette nouvelle, écrite bien avant la pandémie de Covid, donne à réfléchir. Quant à Pierre Bordage, il soulève subtilement, dans Les Duniers, la question des croyances, des peurs et de l’immigration. Certaines préoccupations récentes inspiraient déjà les écrivains comme Jean Giono en 1954 dans L’Homme qui plantait des arbres : lueur d’espérance.
La nouvelle, genre littéraire épuré au rythme concentré et à la chute percutante est le moyen idéal pour, de façon intemporelle, sensibiliser le lecteur à la préservation de la planète. Incontournable.
Sept nouvelles de la Terre. Magnard. Classiques & Contemporains.
Assya, Jean, Lucas, Evanne, Candice, Jérémy, Théophile, Eliott, Jack.