mercredi 29 mai 2024

Le récital des anges

Londres, janvier 1901. A la mort de la reine Victoria, Maude et Lavinia se rendent au cimetière avec leurs parents. Une amitié naît entre les deux fillettes, dont les tombes familiales sont mitoyennes. Sous l’impulsion de Lavinia, elles se retrouvent ensuite régulièrement en ce lieu inhabituel avec Simon, le fils du fossoyeur. Maude est enfant unique. Sa mère, Kitty Coleman, a tout fait pour éviter une nouvelle grossesse. Elle semble perdue dans un monde où sa fille n’a pas de place. Quand Lavinia emménage dans la maison voisine des Coleman, Maude passe beaucoup de temps avec la famille Waterhouse. Un jour, Kitty s’anime pour la cause des suffragettes. Dès lors, le rythme s’accélère.
Tracy Chevalier a l’art de raconter des histoires banales en maintenant un suspense haletant. Les drames de ces deux familles apparemment tranquilles sont tour à tour racontés par chacun des protagonistes, dans de courts chapitres. Les caractères se forgent au fil des années qui défilent. Ce roman fait transpirer la façon dont on s’accommode des convenances ou pas, la différence de classe et de condition, ce qui distingue les gens et ce qui les rapproche. Le cimetière, immuable, est là comme un personnage central autour duquel s’articulent vie et mort. Sans atermoiement et avec la grande finesse à laquelle cette autrice nous a habitués.


Le récital des anges. Tracy Chevalier. Editions Folio. 10,40 €

La Madeleine Proust, une vie


 Il y a quelques semaines, j’ai eu le privilège d’animer une rencontre avec Lola Sémonin, alias la Madeleine Proust. Beaucoup d’entre nous connaissent ce personnage de paysanne du Haut-Doubs, à l’accent franc-comtois familier. Pendant quatre décennies, la Madeleine Proust a commenté les événements avec son regard faussement naïf. Lola Sémonin a laissé à une autre comédienne le soin de continuer de faire vivre le personnage dans un nouveau spectacle, La Madeleine Proust passe le relai. Elle se consacre désormais entièrement à l’écriture. Son personnage néanmoins chevillé au corps et un désir de transmission aussi fort qu’une vocation, elle en a écrit l’histoire. Née en 1925 dans une ferme d’un petit village près de Morteau, la Madeleine doit, toute jeune, s’occuper des frères et sœurs arrivés après elle. Quand elle peut enfin aller à l’école, elle apprend avec facilité. Le travail à la ferme l’éloigne pourtant bien souvent des bancs de la salle de classe. Des drames silencieux aux rencontres adolescentes en passant par le travail aux champs, la Madeleine Proust se raconte et partage les moments importants de sa vie de famille. Quatre tomes de La Madeleine Proust, une vie se succèdent. Le premier s’appelle Quand j’étais p’tite 1925-1939. Dans Ma drôle de guerre 1939-1940, Madeleine raconte la mobilisation et le départ d’anciens poilus désabusés comme son père, le cantonnement d’autres soldats, hébergés à la ferme. L’agriculture se moque des turbulences humaines, il faut des bras pour effectuer les moissons. Sous la botte 1940-1941 emmène Madeleine loin de sa montagne, à Paris, en tant que bonne. L’occasion de confronter deux univers, celui des patrons et des employés, mais aussi celui de la résistance et de la collaboration, aux frontières pas toujours nettes. Enfin, Libération 1942-1945, ramène notre paysanne chez elle pour vivre les dernières années de guerre où les habitants sont confrontés à des choix et contraints au secret.
Dans cette tétralogie, on découvre une Madeleine Proust différente du personnage de scène. On partage la vie d’une enfant et d’une jeune fille dans l’entredeux guerres et pendant le second conflit mondial. Beaucoup de thèmes sont évoqués : la place de l’école, du travail, des enfants, de la religion, les deuils, l’inceste, l’émancipation, les événements qui précipitent des peuples amis dans la guerre. C’est poétique, documenté, passionnant. Madeleine y apparaît sous un jour touchant, “au-then-ti-que” pour reprendre le terme utilisé par un protagoniste du roman pour définir la jeune fille. La nature est omniprésente, parfois de façon humoristique, sou- vent de façon émouvante. Le personnage de Madeleine, sans filtre, plein de bon sens aussi, dont la naïveté alimente un ressort à la fois comique et tendre, souligne les bienfaits des choses simples de l’existence. Il prend une dimension universelle et ça fait du bien.


La Madeleine Proust, une vie. Tétralogie. Lola Sémonin. Plusieurs éditeurs. Environ 22€ par volume.

Les oiseaux se moquent bien du paradis

Dans les enceintes du taxi qui conduit une femme à la maternité, Dave chante Vanina-a-a. C’était la chanson préférée d’Hortense, dont la mort a laissé ses parents inconsolables. Ils y voient un signe de l’au-delà, le prénom de l’enfant à naître est trouvé. Embarrassés par le fantôme de leur fille décédée, ils déménagent à Hyères, dans le sud de la France, avec leur fille vivante, bientôt rebaptisée Vanille par ses camarades de classe, Pierrot en particulier. Alors que sa mère se mure dans son chagrin et que son père s’évade en compagnie des oiseaux qu’il étudie, Vanille noue une profonde amitié avec ce garçon dont elle est bientôt inséparable. Ensemble, ils décident que plus tard, ils tiendront l’épicerie où ils achètent leurs bonbons à la sortie de l’école. Va- nille a une voix magnifique, elle est promise à une carrière de chanteuse lyrique. Devenue adulte, elle officie pourtant bien dans l’épicerie, dont l’enseigne kitsch, un flamant rose lumineux volé devant une discothèque, trône dans la vitrine. Pierrot est là aussi. Vanille s’adresse à lui au quotidien sans jamais obtenir de réponse. Bien souvent, elle s’évade dans ses souvenirs. Son voisin, Sam, est coiffeur. Sa femme s’est enfuie en Italie en emmenant leur fille. Il cherche sans succès depuis des années à les retrouver quand il reçoit une lettre. Il appelle Vanille à l’aide.

Les oiseaux se moquent bien du paradis annonce Magali Discours dans son dernier roman. Entre les morts et les vivants, le ciel et la terre, les pinsons sont gais, les pies, voleuses, les poules mouillées, le pigeon, voyageur. La poésie des oiseaux et de l’autrice accompagne Vanille et Sam dans les quêtes qu’ils poursuivent presque malgré eux. Prendre son envol. Entre le propre et le figuré, certains se sont mélangé les cannes. Qui est vraiment Pierrot ? Un buste en céramique hérissé de sucettes ? Une personne réelle mais mutique ? Une présence symbolique silencieuse, qui permettrait enfin à Vanille d’écouter son chant intérieur et de trouver sa voie (voix) ? Que fait-on de son passé ? Comment surmonte-t-on (ou pas) le traumatisme d’avoir été mal aimé ? Dans un jeu de miroir (sans alouette), on observe des mères et les conséquences, souvent délétères, que provoque leur absence. Les personnages se débattent parfois comme une mouette rattrapée par la marée noire. L’évocation de souvenirs joyeux ou, à d’autres moments, d’instants chaleureux du présent, transpire la fluidité et l’élégance d’un vol d’oiseaux migrateurs. Avec la précision d’un coucou suisse, l’autrice décortique le déni et le désespoir.
Puis, à tire-d’aile, elle accompagne ses héros vers la résilience. Encore une fois, la jolie plume de Magali Discours nous emporte dans la vie de personnages qu’on peine à quitter, la dernière page tournée.


Les oiseaux se moquent bien du paradis. Magali Discours. Éditions de l'Archipel. Collection Instants suspendus. 20,00€

mercredi 15 mai 2024

 

On les a souvent vus à la une des journaux people. Même si l’on n’est pas lecteur de cette presse, on a forcément jeté un œil curieux sur leur jeunesse et leur beauté exposées en couverture. Lui, brun, ténébreux. Elle, blonde, évanescente. Lui, imperturbable. Elle, traquée comme un animal pris dans les phares d’une voiture. Lui, s’appuyant sur son vélo, sa pince au mollet. Elle, rouge à lèvres carmin, s’accrochant à un sac à main déjà en rupture de stock. Tout le monde sait comment l’histoire se termine. La malédiction a englouti un conte de fée pas si rose. Vous aurez compris de qui l’on parle. Ils ont défrayé la chronique dans les années quatre-vingt-dix et leur aventure s’est terminée au fond de l’océan, à la suite d’un crash idiot.

Dans un livre addictif, Stéphanie des Horts plante le décor du drame dont on connaît l’issue. Elle présente John Kennedy junior et Carolyn Bessette en reprenant minutieusement l’enfance et le parcours de chacun jusqu’à leur rencontre. Elle retrace ensuite la succession des événements, émotions contraires, déchirements et tentatives pour sortir d’une spirale infernale. Puis, à l’approche du dénouement funeste, elle détaille l’enchaînement des contretemps, l’orgueil dont font parfois preuve les hommes auxquels rien n’a jamais résisté. De mauvaises décisions en coups de pas de chance, la légende tragique s’inscrit une fois encore dans l’histoire des Kennedy. Comme un très long reportage, ce roman concentre toutes les informations qu’on avait jusque-là vaguement glanées. A lire pour rassembler tous les morceaux.


Carolyn et John. Stéphanie des Horts. Éditions Albin Michel. 21,90 €