mardi 20 février 2024

L’Inconnue du portrait


Isidore est cireur de chaussures à New York mais il nourrit de grandes ambitions. Amoureux de Lotte, une jeune fille de bonne famille, il compte bien s’extirper de sa condition pour l’épouser. Le monde de la finance, à la fin des années 1920, est en ébullition. Intelligent, à l’écoute, Isidore apprend à spéculer. Alors que tout menace de s’effondrer, il choisit des placements hasardeux. Quelques années plus tôt, en Autriche. Une fille-mère quitte Vienne avec son tout-petit et s’installe dans une ville à une trentaine de kilomètres. La vie n’est pas simple pour la jeune femme qui veille à élever son enfant dans la dignité. Enfin, des années plus tard, dans le bureau cossu d’un avocat, une femme assez vulgaire raconte son passé de prostituée et la naissance de sa fille – un accident de capote. Elle s’interroge sur la possibilité d’exiger d’un milliardaire qu’il se soumette au test ADN qui établirait sans l’ombre d’un doute sa paternité. En superposition de ces destins multiples, vient se glisser une mystérieuse toile de Gustav Klimt, portrait d’une jeune femme au regard nostalgique, grain de beauté haut sur la pommette, châle fleuri sur les épaules, cheveux bruns relevés en chignon, lèvres carmin entr’ouvertes. Klimt avait peint un tableau approchant, en 1910. Son modèle était alors de trois-quarts, les cheveux lâchés sous un grand chapeau, une fourrure autour du cou ne masquant pas les épaules dénudées. Quel rapport entre les deux œuvres ? Quels liens entre ces personnages évoluant à différentes époques ? C’est le début d’une enquête passionnante.

Au départ tout est vrai. L’histoire du tableau de Klimt, Portrait d’une dame, est exposée dans un court chapitre intitulé : Les faits. En une page et demie, l’intrigue est posée, le mystère, entier, nourrit tous les fantasmes. Camille de Peretti s’est emparée avec brio de cette énigme incroyablement romanesque pour écrire un ouvrage haletant. On s’engouffre avec gourmandise dans une institution viennoise pour y déguster le meilleur chocolat chaud. On voudrait prévenir Isidore du krach imminent et l’exhorter à la prudence ; on tremble avec lui de son audace. On reste muet devant cette peinture, visage de femme, dont la chevelure se détache sur fond vert et dont l’attitude semble si mélancolique. Le secret est épais. Comme des petites touches de lumière éclairant le tableau, avec lenteur et efficacité, des nuances de vérité sont ébauchées. Il ne faut pas trop en dire ici, pour laisser intact le plaisir de lecture, cet appétit qui nous fait tourner les pages sans relâche jusqu’à la dernière. L’épilogue, page 347, arrive trop tôt, comme un arrachement. Ce dénouement précipité et pourtant exhaustif jette le lecteur en dehors. On aurait aimé rester encore un peu avec Isidore, Pearl et les autres. Une vérité scientifique sera toujours défaite par une vérité romanesque. Avec cette conclusion magistrale, Camille de Peretti ouvre néanmoins le champ des possibles, encourage notre imaginaire et on l’en remercie.


L’inconnue du portrait. Camille de Peretti. Éditions Calmann-Lévy. 21,50 €

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