dimanche 5 mars 2023

Tant que le café est encore chaud


 Fumiko Kiyokawa a vu l’homme qu’elle aimait partir pour les Etats-Unis sans être capable de lui faire part de ses sentiments. Une semaine après leur rupture, elle revient dans le petit établissement où ils ont pris un café avant de se séparer. C’est un endroit assez surprenant, au sous-sol, sans fenêtre. Trois tables pour deux personnes ainsi qu’un bar exigu, éclairés par une demi-douzaine de lampes. Des horloges accrochées au mur, on ne sait pas, à première vue, laquelle donne la bonne heure. Au fond, une femme avec une robe blanche est plongée dans la lecture d’un roman. Ce lieu véhicule une légende selon laquelle il serait possible, en dégustant un café particulier, de retourner dans le passé. Fumiko veut tenter le voyage et dire à Gorô ce qui est resté coincé dans sa gorge huit jours avant. Après une longue négociation, Kazu, la serveuse, lui expose minutieusement les règles très strictes du voyage dans le temps. Chaque limitation fait douter un peu plus Fumiko : on ne peut pas changer le présent, le voyage dure tant que le café est encore chaud, si on reste plus longtemps, on est transformé en fantôme, on n’a pas la possibilité de bouger de la chaise sur laquelle on a fait le voyage et bien d’autres contraintes encore. Après un petit moment de découragement, Fumiko décide malgré tout de tenter l’expérience. Que va-t-elle retirer de ce troublant périple ? Funiculi funicula est le titre d’une chanson. C’est aussi le nom de ce café dont l’atmosphère pourrait être oppressante. Il se dégage pourtant de cet endroit une certaine paix. Funiculus, en latin, veut dire petite corde, cordon... Est-ce une évocation du fil qui nous relie au passé ? J’étais assez réticente avec cette histoire de voyage dans le temps eu égard au paradoxe qu’il fait naître. Seulement, les règles très rigoureuses jugulent l’effet invoqué. A l’origine, ce roman de Toshikazu Kawaguchi est une pièce de théâtre. La traduction, la culture, différente, peuvent dérouter au départ. Puis, page après page, on se familiarise avec le style. Ce thème ésotérique est le support d’une forme d’introspection dont plusieurs femmes vont faire l’expérience. En se penchant sur qui elles sont et ce qu’elles veulent, à travers un événement de leur vie qui s’est déroulé dans ce café, elles vont se transformer, elles, à défaut de modifier le présent. On pourrait voir dans cet ouvrage atypique et délicat une expression de la psychanalyse. Ou tout au moins une réflexion philosophique sur ce que nos choix de vie impliquent. Le décor est immuable et omniprésent, la description en est redondante, comme pour l’ancrer. Le ding-dong de la porte d’entrée rythme les transitions. Les personnages sont campés avec grâce et simplicité. Ce sont des gens ordinaires, amenés à devenir les héros de leur propre existence. L’histoire est belle, tout simplement. Elle porte en elle la capacité de l’humain à l’amour, au pardon, à la transmission. 

 

Tant que le café est encore chaud. Toshikazu Kawaguchi. Livre de Poche 7,40€

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