mercredi 8 février 2023

Presque le silence

 


C’est l’été dans le sud de la France. Cassandre passe les vacances au rythme des cailloux, de la rivière, des herbes, des mues de vipères et des mûres sauvages. Son grand-père, Jean, lui apprend la nature. Il supporte aussi ses colères, comme celle qui agite la petite fille lorsque son pépé refuse de lui offrir son Opinel. A treize ans, elle ne se trouve pas jolie avec sa tignasse rousse. Au collège, elle est le souffre-douleur, les autres la surnomment "le caniche". Elle est éprise de Camille, le garçon le plus beau de l’établissement, un passionné de chevaux pour lequel elle s’est inscrite au club équestre. Pas de bol, elle y brille plus que lui. Elle se rend chez un voyant pour en avoir le cœur net : Camille va-t-il l’aimer un jour ? L’oracle révèle cinq prophéties effrayantes à Cassandre. La jeune fille devenue femme veut éviter les écueils, protéger les hommes qu’elle aime, essayer de comprendre ses parents – si proches, si étrangers – et tracer son chemin en limitant les ondes de choc. Pourtant, telles des vagues s’écrasant inlassablement sur la grève, les phrases du devin hantent son quotidien dans un fracas souvent étourdissant. Peut-on conjurer le sort ? Changer le cours du destin ? L’âme de Cassandre est-elle noire au point de provoquer le naufrage du monde ?
Dix chapitres incisifs, un découpage heurté... ce qui est certain, c’est
qu’en ouvrant Presque le silence, de Julie Estève, je ne m’attendais pas à ça. Qu’espérais-je au fond ? Être surprise, happée, bousculée, comme on l’est souvent en lecture ? Sans doute. Mais là, c’est plus que ça. Le voyage est... apocalyptique. Que ceux qui cherchent un récit linéaire et gentillet passent leur chemin (ou pas). Le prénom de l’héroïne, il faut dire, pose déjà le décor. A travers la plume de l’auteur, le mythe est remodelé, travaillé avec fidélité et extrapolation. En
suivant le parcours de Cassandre depuis la sortie
de l’enfance jusqu’à la mort, on vit à travers ses yeux la palette des sentiments. Les grands chagrins, les humiliations, l’absolutisme de l’amitié, la passion amoureuse, l’amour filial, l’épanouissement professionnel, l’émerveillement de la maternité, les déceptions, les doutes, les fractures, les deuils, les vertiges, la folie... Julie Estève jette tout sur le papier d’une écriture écorchée, parfois dérangeante. Elle ne recule pas devant la violence. Elle fouille l’intime avec un style inventif et percutant pour en tirer un récit douloureusement poétique. Comment les hasards et les coïncidences d’une vie tissent la tragédie d’un effondrement extérieur, le dehors devenant métaphore du dedans ou l’inverse ? Au-delà du chaos, on entend l’écho de l’âme, on fait incursion dans l’invisible et on touche l’espérance d’un lien universel. Troublant.

 

 

Presque le silence. Julie Estève. Éditions Stock. 19,90.

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