mercredi 1 mai 2019

Amour propre




Giulia n'a as connu sa mère. Cette dernière s'est volatilisée peu après la naissance de sa fille, ne laissant comme trace d'elle qu'un livre de l'écrivain italien Curzio Malaparte. Giulia a grandi seule avec son père. Adulte, elle est devenue mère par accident ou par défi, par convention sans doute. Après son divorce, elle a élevé ses trois enfants seule. « Jour après jour je n'avais fait que repousser les limites pour « assurer », alors souvent, au bord de l'épuisement, je caressais ce fantasme d'être un homme, un papa transformé par le ressentiment du divorce en simple géniteur, et qui selon son bon vouloir et sa disponibilité, pouvait décider au dernier moment s'il prenait les enfants le vendredi soir, ou pas, sans que la mère n'ait aucun recours devant le JAF. »
Giulia a maintenant la cinquantaine. Flanquée de trois post-adolescents de la génération des jeunes qui ne supportent pas l'effort, elle s'interroge sur sa place de femme, sur ce rôle de mère qu'il est politiquement incorrect de ne pas trouver épanouissant. Elle rêve d'émancipation, de la liberté qu'offrira le départ de ses enfants. Mais le jour où ils renoncent à entrer à l'université pour profiter d'un année sabbatique, Giulia « pète un câble ».
Et décide de faire enfin ce voyage en Italie, sur les traces de Malaparte, pour écrire un livre. Seule à Capri, dans la villa Malaparte, elle épluche l’œuvre de cet écrivain complexe tout en cherchant les réponses à ses propres questions.
D'où vient-elle ? Aura-t-elle ici un éclairage sur sa mère ? Et elle, quelle mère est-elle? Peut-elle s'affranchir de la culpabilité ? Celle de songer à la liberté qui aurait été sienne si elle n'avait pas eu d'enfants ?

J'ai aimé intensément ce moment de lecture. Ce face à face avec soi-même dans lequel Sylvie Le Bihan, avec son héroïne, entraîne le lecteur. La nature sauvage, le vent et les embruns omniprésents, de Belle-île au Cap Massullo. L'auteur écrit noir sur blanc ce que beaucoup de femmes pensent tout bas, voire n'osent pas s'avouer. Elle analyse magnifiquement les conséquences de cette injonction faite aux femmes dans la société de ne se réaliser pleinement qu'en étant mères. De la mère bâillonnée, empêtrée et écartelée, naît une femme. Une femme qui explore l’œuvre de Malaparte dans cet endroit si particulier rendu célèbre par Brigitte Bardot dans « Le Mépris » de Godard. Bâtisse atypique posée au bord de la falaise, la Villa Malaparte a tout pour fasciner, à commencer par la personnalité de son premier propriétaire. Sylvie Le Bihan fait plonger le lecteur dans l'Europe de la première moitié du XXème siècle, dans les errements des intellectuels en quête d'une idéologie politique après le désastre de la Grande Guerre et la révolution russe. Elle met en lumière la solitude, la différence, le droit de changer d'avis, la quête de vérité et l'absolutisme d'un écrivain à part. On a forcément envie de lire ensuite « La peau » ou « Journal d'un étranger à Paris ». Quant à « Amour propre », pour revenir à lui, c'est un roman plein de belles surprises, intelligent, sensible et puissant.

Sylvie Le Bihan. Amour propre. JC Lattès. 18.90€

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire