Giulia n'a as connu sa
mère. Cette dernière s'est volatilisée peu après la naissance de
sa fille, ne laissant comme trace d'elle qu'un livre de l'écrivain
italien Curzio Malaparte. Giulia a grandi seule avec son père.
Adulte, elle est devenue mère par accident ou par défi, par
convention sans doute. Après son divorce, elle a élevé ses trois
enfants seule. « Jour après jour je n'avais fait que repousser
les limites pour « assurer », alors souvent, au bord de
l'épuisement, je caressais ce fantasme d'être un homme, un papa
transformé par le ressentiment du divorce en simple géniteur, et
qui selon son bon vouloir et sa disponibilité, pouvait décider au
dernier moment s'il prenait les enfants le vendredi soir, ou pas,
sans que la mère n'ait aucun recours devant le JAF. »
Giulia a maintenant la
cinquantaine. Flanquée de trois post-adolescents de la génération
des jeunes qui ne supportent pas l'effort, elle s'interroge sur sa
place de femme, sur ce rôle de mère qu'il est politiquement
incorrect de ne pas trouver épanouissant. Elle rêve d'émancipation,
de la liberté qu'offrira le départ de ses enfants. Mais le jour où
ils renoncent à entrer à l'université pour profiter d'un année
sabbatique, Giulia « pète un câble ».
Et décide de faire enfin
ce voyage en Italie, sur les traces de Malaparte, pour écrire un
livre. Seule à Capri, dans la villa Malaparte, elle épluche l’œuvre
de cet écrivain complexe tout en cherchant les réponses à ses
propres questions.
D'où vient-elle ?
Aura-t-elle ici un éclairage sur sa mère ? Et elle, quelle
mère est-elle? Peut-elle s'affranchir de la culpabilité ?
Celle de songer à la liberté qui aurait été sienne si elle
n'avait pas eu d'enfants ?
J'ai aimé intensément
ce moment de lecture. Ce face à face avec soi-même dans lequel
Sylvie Le Bihan, avec son héroïne, entraîne le lecteur. La nature
sauvage, le vent et les embruns omniprésents, de Belle-île au Cap
Massullo. L'auteur écrit noir sur blanc ce que beaucoup de femmes
pensent tout bas, voire n'osent pas s'avouer. Elle analyse
magnifiquement les conséquences de cette injonction faite aux femmes
dans la société de ne se réaliser pleinement qu'en étant mères.
De la mère bâillonnée, empêtrée et écartelée, naît une femme.
Une femme qui explore l’œuvre de Malaparte dans cet endroit si
particulier rendu célèbre par Brigitte Bardot dans « Le
Mépris » de Godard. Bâtisse atypique posée au bord de la
falaise, la Villa Malaparte a tout pour fasciner, à commencer par la
personnalité de son premier propriétaire. Sylvie Le Bihan fait
plonger le lecteur dans l'Europe de la première moitié du XXème
siècle, dans les errements des intellectuels en quête d'une
idéologie politique après le désastre de la Grande Guerre et la
révolution russe. Elle met en lumière la solitude, la différence,
le droit de changer d'avis, la quête de vérité et l'absolutisme
d'un écrivain à part. On a forcément envie de lire ensuite « La
peau » ou « Journal d'un étranger à Paris ».
Quant à « Amour propre », pour revenir à lui, c'est un
roman plein de belles surprises, intelligent, sensible et puissant.
Sylvie Le Bihan. Amour
propre. JC Lattès. 18.90€
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