Ronde de mots et tour des mondes, ce blog se veut un bric à brac, joyeux si possible... Un brin de douceur, des éclats d'idées, des tranches de vie ou des fragments d'envie : morceaux de soleil (et parfois de pluie) pour partager, voyager, observer et échanger !
mardi 17 septembre 2024
Le rêve du jaguar
lundi 16 septembre 2024
Roman de gare
Sans bouger de votre fauteuil, grimpez avec Philibert Humm dans un wagon à destination de l’inconnu et du n’importe quoi. Après le succès de Roman fleuve, sur lequel l’auteur s’est reposé, l’argent ne coule plus à flots. Bon gré mal gré, il faut se remettre sur les rails de l’écriture. Souvenez-vous, dans le roman précédent, trois jeunes gens téméraires bravaient la Seine depuis Paris pour rallier l’embouchure du fleuve en canoë. Cette fois, en guise de chemin de croix, notre narrateur a choisi celui de fer. Il transpose donc la fresque fluviale au domaine ferroviaire et sert, en bref, « une resucée du livre précédent » ! Le lecteur est prévenu avec ce brillant éclair de lucidité. Philibert a décidé de voyager économique et léger. Muni de son baluchon (panoplie incontournable du vagabond), accompagné de son ami et acolyte Simon, il s’attelle à trouver la brèche d’une clôture pour pénétrer de nuit dans une gare de marchandises et guetter un train à la destination surprise. Tout se passe-t-il comme prévu ? Rien n’est moins sûr puisqu’en bons logisticiens, Simon et Philibert n’ont que sommairement anticipé (même si la liste de l’équipement a été longuement pensée et dessinée). Lorsque la rame dans laquelle ils sont parvenus à prendre place s’ébranle, le voyage commence enfin. Où les mènera-t-il ?
Autant le dire tout de suite, la quatrième de couverture donne le ton : « Roman de Gare est à même de fournir un loisir ou une distraction salutaire à ceux qui n’attendent plus grand-chose de la littérature et de la vie en général ». La dérision est bien au rendez-vous. La Note de l’éditeur nous fait sourire dès la septième ligne. A la vingtième, on rit franchement. Et on n’arrête plus. Avec une plume éminemment caustique, Philibert Humm décrit les improbables péripéties de deux branquignoles en quête d’aventure. Le narrateur se persuade d’accomplir son grand œuvre ; l’histoire ne dit pas si c’est en écrivant ou en entreprenant ce voyage mais les deux sont étroitement liés de toute façon. Il amuse son lecteur par son impréparation assumée et sa détermination à géométrie variable. L’auteur, lui, maîtrise la dose d’absurde qu’il insuffle à son sujet. Livre atypique, dans un style léché (on me souffle dans l’oreillette que l’héritage d’Alphonse Allais n’est pas loin), Roman de Gare sollicite l’intellect tout en finesse et réduit les prises de tête à néant. Dans un contexte toujours plus morose, on peut qualifier cette épatante épopée d’hilarante et ça, ça n’a pas de prix (enfin si, 21€, mais faut-il sacrifier notre plaisir à l’éventuelle acrimonie du banquier ?) ! Un ouvrage de rentrée idéal pour ne pas retomber trop vite dans le train-train.
Roman de gare. Philibert Humm. Editions des Equateurs. 21€.
mardi 10 septembre 2024
Neuf rencontres et un amour
Dans le train qui me ramène de Bordeaux à Paris (j’ai dû écourter mon week-end prolongé pour régler un problème domestique), j’ouvre ma liseuse. Ultra-pratique quand je me déplace (encombrement et poids minimum), elle est rétroéclairée pour un confort de lecture optimal. En route pour Neuf rencontres et un amour. Les trépidations d’un train entre Bougival et Louveciennes secouent Antonin Artaud. Il se rend à un dîner. La femme qui reçoit n’a besoin ni de bijoux ni qu’on lui compose des poèmes, juste de cailloux à mettre dans son aquarium. Lorsqu’ils se retrouvent face à face, l’attraction est immédiate. Le jeune homme tourmenté a une idée bien précise de la relation amoureuse et pense qu’entre deux êtres tout se joue en neuf rencontres. Lui, ténébreux, émotif, maladroit, épris, opiomane. Elle, mariée, sensuelle, créative, encline à toutes les expériences. Anaïs Nin, puisqu’il s’agit d’elle, et Antonin Artaud se croisent en diverses circonstances dans un Paris en ébullition. Leurs retrouvailles sont tantôt dues au hasard, tantôt aux rendez-vous. Comment, en neuf tableaux successifs, ces deux personnages haut-en-couleur, libres et fantasques, vont-ils composer avec leur désir de vivre un amour unique et pur ?
Je faisais traîner l’achat de ce roman depuis plusieurs mois. Résolue à le lire avant l’été je le charge dans ma liseuse avec l’intuition qu’il serait un bon compagnon pour ce voyage. Je retrouve l’aisance de Jérôme Attal dans l’écriture, une sorte de grâce, de légèreté, de finesse, de précision. Je renoue avec son humour incisif, l’amour de la langue avec laquelle il se réinvente en permanence. Je ris, les pages s’enchaînent dans une certaine délectation. Le roman permet à l’auteur de prendre les libertés qu’il souhaite avec l’histoire qui a réellement existé entre ces deux figures atypiques du monde littéraire de l’entre-deux guerres. Il nous entraîne dans le tourbillon des questionnements, des limites ou de l’absence de limite ; il interroge les fondements de la créativité. Spontanément (à l’opposé de ma timidité parfois maladive), j’écris un message à l’auteur, rencontré à de nombreuses reprises en salon du livre. J’expose brièvement mon environnement (le wagon, le retour vers Paris) et quel bon moment je passe avec ses personnages et son intrigue. La réponse est rapide et surprenante. Jérôme Attal est dans le même train que moi ! Situés dans deux rames différentes, nous ne partagerons pas nos impressions autour d’un café à la voiture bar. Cependant, les circonstances et la proximité font de cette coïncidence une sorte de communion intellectuelle, donnant à ce dimanche soir la coloration particulière d’un coucher de soleil et d’un paysage verdoyant défilant à travers les vitres d’un TGV, décor observé simultanément par une lectrice et un écrivain. Et, poursuivant ma lecture, j’imagine la joie d’un auteur assuré que quelque part, tout près, quelqu’un tourne avec friandise les pages de son dernier roman.
Neuf rencontres et un amour. Jérôme Attal. Éditions Fayard. 20 €.
lundi 9 septembre 2024
Sept nouvelles de la terre
La Terre à la Une
Vous voulez des nouvelles de la Terre ? Sept auteurs des XIXe et XXe siècles nous livrent leur vision à travers un recueil d’histoires courtes. « Il n’y avait qu’à déblayer les bords du fleuve, de l’immense forêt vierge enracinée là depuis la naissance du monde » ; des hommes défrichent une forêt pour y installer une ville mais la forêt ne compte pas se laisser faire. « Toute la planète est goudronnée sauf Tsalka. Nous sommes la risée du monde […] il nous faut le goudron ! » ; Edolfius se bat depuis longtemps pour goudronner la route qui relie son village à la ville. Ailleurs, les “duniers” protègent leur territoire face à des envahisseurs venus de la mer, les “volters” : « Nous les traitons de monstres, mais je te le demande, Botrik, qui sont les monstres ? » interroge un jeune soldat circonspect. « C’est la loi de l’évolution, dit Bunting en colère, celui qui s’adapte survit » ; en 2430, la terre n’est plus peuplée que de trilliards d’humains et du plancton qui sert à les nourrir. Seul Cranwitz garde une poignée des derniers animaux. Dans un autre futur : « Disons pour faire court que l’activité humaine en quelques dizaines d’années, a abîmé la planète au point de nous obliger à porter cet accoutrement » ; vivre son adolescence quand les visages sont cachés par des masques et les corps enfouis dans des combinaisons !
Comment ces écrivains ont-ils pu être aussi clairvoyants ? C’est ce qui nous a plu dans ces nouvelles. Les peurs du monde qui change ne datent pas d’hier. Chaque nouvelle, conte fantastique (Woods’town d’Alphonse Daudet) ou dystopie (2430 d’Isaac Asimov), traite du rapport de l’homme avec la planète et de son avenir. Déforestation, surpopulation, pollution, risque nucléaire, avantages et inconvénients du progrès (comme dans L’asphalte, nouvelle déchirante de Sylvain Tesson) sont autant de sujets qui montrent l’influence souvent néfaste de l’homme sur son environnement. Asimov nous rappelle à quel point l’homme peut être un mouton et nous avons été impressionnés par sa vision d’un futur, en 1958, où l’homme ne penserait qu’à lui, éliminant la vie animale autour de lui. Dans le contexte actuel et les guerres qui nous menacent, Planète pour hôtes de passage (1953) de Philip K. Dick souligne la fragilité de l’humanité et un manque d’humilité qui peut la conduire à la catastrophe. Plus près de nous, Bas les masques, écrit en 2005 par Benoît Boyard, plaira aux jeunes lecteurs, les héros étant des adolescents. La lecture de cette nouvelle, écrite bien avant la pandémie de Covid, donne à réfléchir. Quant à Pierre Bordage, il soulève subtilement, dans Les Duniers, la question des croyances, des peurs et de l’immigration. Certaines préoccupations récentes inspiraient déjà les écrivains comme Jean Giono en 1954 dans L’Homme qui plantait des arbres : lueur d’espérance.
La nouvelle, genre littéraire épuré au rythme concentré et à la chute percutante est le moyen idéal pour, de façon intemporelle, sensibiliser le lecteur à la préservation de la planète. Incontournable.
Sept nouvelles de la Terre. Magnard. Classiques & Contemporains.
Assya, Jean, Lucas, Evanne, Candice, Jérémy, Théophile, Eliott, Jack.
vendredi 6 septembre 2024
Amazone et Novecento : pianiste
Novecento : pianiste
Début du XXe siècle, le Virginian, “copie conforme du Titanic”, fait la navette entre l’Europe et les Etats-Unis. Après une longue traversée, Danny Boodman découvre un bébé posé sur le piano de la salle de bal. Touché par le nourrisson, sans doute abandonné là par des voyageurs de troisième classe qu’un nouveau-né encombrerait dans leur démarche d’immigration, le marin décide de garder l’enfant. Il lui donne son nom, auquel il ajoute les initiales T.D, trouvées sur la boîte faisant office de berceau – et dont il se persuadera longtemps qu’elles signifient : « Thanks Danny ». Il termine avec Novecento… symbolisant le début du XXe siècle. L’enfant grandit, devient un prodige au piano et enchaîne les traversées, sans jamais quitter le navire. Que se passerait-il s’il descendait sur la terre ferme ?
Alessandro Baricco est écrivain et musicologue. Ce qui explique sans doute le rythme de cette pièce de théâtre écrite comme un long monologue mettant en scène Tim Toomey. Trompettiste engagé sur le bateau, ce dernier raconte l’histoire inhabituelle de Novecento : pianiste. L’enfant abandonné est devenu un homme mais il n’a d’identité que dans le huis clos du bateau. Pour ce génie du piano qui joue comme nul autre, que signifie la découverte du monde extérieur ? Une possibilité sans fin de rues, de rencontres, de lieux de vie. Comme tout humain, il se trouve confronté à la peur et à l’envie. En nous entraînant dans les contradictions et les questionnements de Novecento, le narrateur nous interroge sur la philosophie de la vie, la notion de choix, de limites et d’infini. Impressionnant.
Mathilde, Charles, Mathéo, Baptiste, Mina, Noam, Hanaé.
Amazone
Fleuve rouge, piano blanc, musicien noir. Sur une rive du cours d’eau impétueux, s’accroche le petit village d’Esmeralda, animé par une routine bien ancrée. Pourtant, soudain, tout se fige. Cerveza, le barman, reconnaît un bruit familier de lui seul. Une mélodie. Les habitants sont bousculés par l’arrivée inattendue d’une embarcation de fortune, supportant un majestueux piano à queue sur lequel joue Amazone Steinway. Lors de son escale forcée, il est accueilli de façon ambiguë. Poursuivant un but dont il ne veut rien dévoiler, le pianiste se soumet aux règles du Colonel Rodriguez, gérant du bar et chef auto-proclamé du lieu. Jouera-t-il son avenir au prix de son rêve ?
Avec Amazone, récit poignant, Maxence Fermine nous a transportés dans un univers inconnu. Amazone Steinway nous embarque avec lui dans son aventure et ses nombreux obstacles physiques et psychologiques. L’auteur crée une atmosphère mystérieuse dans le luxuriant décor de l’Amazonie. Immersion dans une troublante quête d’absolu qui nous fera retenir notre souffle jusqu’à la fin. Vous serez portés par le bruit des cascades, l’humidité de la jungle et la magie de cet endroit dépaysant. Le style de l’auteur nous fait vivre un voyage poétique et onirique, nous ouvre les portes d’une culture et d’un mode de vie différents, où les frontières entre le réel et l’imaginaire s’effacent, où l’amour et l’amitié rythment les pages.
Hugues, Camille, Jérémy, Chloé.
Novecento : pianiste, Alessandro Baricco, Folio, 5,70 €.
Amazone, Maxence Fermine, Livre de poche, 7,90 €.
Les réveilleurs de soleil
Greg, Justine, Jules, Léane, Axel, Gabrielle, Maël,
Lana.
Les réveilleurs de soleil. Oxmo Puccino, Livre de poche, 7,20 €.