La rentrée littéraire
de ce janvier est un mini-séisme. La machine de guerre Houellebecq
est en marche. Un seul mot sur toutes les lèvres : Sérotonine.
D'aucuns ont tourné activement les pages du dictionnaire pour en
retrouver la définition, restée coincée dans les méandres de leur
cerveau. Allez, souvenez-vous de vos cours de Sciences Naturelles,
cette matière qu'on appelle désormais SVT ! Et utilisez vos
neurotransmetteurs pour vous rebeller. Plutôt que de vous conformer
à la tendance, prenez la fuite avec Arnaud Le Guern !
Il va sans dire que je ne
procède à aucune comparaison ni ne critique le dernier roman de
Michel Houellebecq (que je n'ai pas lu). Je souhaite simplement
souligner dans cette chronique l'omniprésence d'un seul écrivain
sur la scène littéraire de la rentrée. La mobilisation exacerbée
des médias éclipse, c'est bien dommage, d'autres talents. Alors,
pendant les vacances de Noël, j'ai préféré me plonger dans « Une
jeunesse en fuite », d'Arnaud
Le Guern. Éditeur et
écrivain, le quadragénaire, fin connaisseur des bons plans de
Saint-Germain des Prés mais pas tout à fait parisien, nous entraîne
en Bretagne avec un roman délicieusement nostalgique.
Le
père du narrateur est médecin-militaire, retraité et toujours en
activité. Il vient de perdre son chien. Il est ébranlé. Pour la
première fois en quarante ans, le fils devine la vulnérabilité et
découvre le chagrin du père. « Depuis mon retour de la guerre
du Golfe, je me sens déphasé, incompris parfois. Je me sens seul
avec ce que je vis, ce que je ressens ». Cette confidence
téléphonique inattendue donne un prétexte au narrateur pour
explorer ses souvenirs de l'époque où son père était en Arabie
Saoudite, dans les années 90.
Au
cours d'un séjour estival chez ses parents, tout près de Brest, il
relit la correspondance de son père pendant le conflit, replongeant
du même coup dans son propre passé. Il dépeint aussi son
quotidien, les femmes sur la plage et ailleurs, sa fille... Il parle
de ses chats, mal en point, que sa compagne, restée à Paris, tente
de maintenir en vie.
L'éditeur
pense que c'est nul de parler de la guerre du Golfe. Eric, l'ami
journaliste, est catégorique : « Il est impossible de
rater un roman sur son père ».
Arnaud
Le Guern a écouté l'ami, grand bien lui en a pris. S'il rend un bel
hommage à son géniteur dans ce récit doux et caustique, il
revisite également les années de son adolescence. Des premiers
émois amoureux aux chemises de bûcheron en passant par la
programmation d'Antenne 2 ou les tubes de Jean-Jacques Goldman, le
livre est parsemé de références et d'émotions qui parleront à
beaucoup. Les heures s'y écoulent comme dans l'enfance, plus
lentement. Même si on y fait quelques incursions, la capitale est
loin. On sent l'iode et la nature sauvage du Finistère. L'auteur
évoque les séparations, les accidents, les failles, les
traumatismes et les silences. Pourtant, au-delà de la nostalgie, par
petites touches, l'air de rien, il écrit un roman résolument
optimiste où, même cabossés par la vie, maladroits parfois, les
personnages se donnent beaucoup d'amour. Dans son imperfection
revendiquée, le narrateur, grâce à une chute à la fois belle et
triste, assume sa filiation. Arnaud Le Guern a réussi un tour de
force : ralentir le temps pour mieux se souvenir du passé et
observer pleinement l'instant présent. Une fuite ? Pas tant que
ça. Plutôt le goût d'une éternelle jeunesse !
Une
jeunesse en fuite. Arnaud Le Guern. Éditions du Rocher. 17,90€.
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