jeudi 10 janvier 2019

Courage fuyez !

La rentrée littéraire de ce janvier est un mini-séisme. La machine de guerre Houellebecq est en marche. Un seul mot sur toutes les lèvres : Sérotonine. D'aucuns ont tourné activement les pages du dictionnaire pour en retrouver la définition, restée coincée dans les méandres de leur cerveau. Allez, souvenez-vous de vos cours de Sciences Naturelles, cette matière qu'on appelle désormais SVT ! Et utilisez vos neurotransmetteurs pour vous rebeller. Plutôt que de vous conformer à la tendance, prenez la fuite avec Arnaud Le Guern !

Il va sans dire que je ne procède à aucune comparaison ni ne critique le dernier roman de Michel Houellebecq (que je n'ai pas lu). Je souhaite simplement souligner dans cette chronique l'omniprésence d'un seul écrivain sur la scène littéraire de la rentrée. La mobilisation exacerbée des médias éclipse, c'est bien dommage, d'autres talents. Alors, pendant les vacances de Noël, j'ai préféré me plonger dans « Une jeunesse en fuite », d'Arnaud Le Guern. Éditeur et écrivain, le quadragénaire, fin connaisseur des bons plans de Saint-Germain des Prés mais pas tout à fait parisien, nous entraîne en Bretagne avec un roman délicieusement nostalgique.
Le père du narrateur est médecin-militaire, retraité et toujours en activité. Il vient de perdre son chien. Il est ébranlé. Pour la première fois en quarante ans, le fils devine la vulnérabilité et découvre le chagrin du père. « Depuis mon retour de la guerre du Golfe, je me sens déphasé, incompris parfois. Je me sens seul avec ce que je vis, ce que je ressens ». Cette confidence téléphonique inattendue donne un prétexte au narrateur pour explorer ses souvenirs de l'époque où son père était en Arabie Saoudite, dans les années 90.
Au cours d'un séjour estival chez ses parents, tout près de Brest, il relit la correspondance de son père pendant le conflit, replongeant du même coup dans son propre passé. Il dépeint aussi son quotidien, les femmes sur la plage et ailleurs, sa fille... Il parle de ses chats, mal en point, que sa compagne, restée à Paris, tente de maintenir en vie.
L'éditeur pense que c'est nul de parler de la guerre du Golfe. Eric, l'ami journaliste, est catégorique : « Il est impossible de rater un roman sur son père ».
Arnaud Le Guern a écouté l'ami, grand bien lui en a pris. S'il rend un bel hommage à son géniteur dans ce récit doux et caustique, il revisite également les années de son adolescence. Des premiers émois amoureux aux chemises de bûcheron en passant par la programmation d'Antenne 2 ou les tubes de Jean-Jacques Goldman, le livre est parsemé de références et d'émotions qui parleront à beaucoup. Les heures s'y écoulent comme dans l'enfance, plus lentement. Même si on y fait quelques incursions, la capitale est loin. On sent l'iode et la nature sauvage du Finistère. L'auteur évoque les séparations, les accidents, les failles, les traumatismes et les silences. Pourtant, au-delà de la nostalgie, par petites touches, l'air de rien, il écrit un roman résolument optimiste où, même cabossés par la vie, maladroits parfois, les personnages se donnent beaucoup d'amour. Dans son imperfection revendiquée, le narrateur, grâce à une chute à la fois belle et triste, assume sa filiation. Arnaud Le Guern a réussi un tour de force : ralentir le temps pour mieux se souvenir du passé et observer pleinement l'instant présent. Une fuite ? Pas tant que ça. Plutôt le goût d'une éternelle jeunesse !

Une jeunesse en fuite. Arnaud Le Guern. Éditions du Rocher. 17,90€. 




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