Hiver 1917, humide et triste. La Grande Guerre n’en finit pas de s’allonger. Rosalie est confinée dans la demeure familiale de l’Esparre. Isaure, sa mère, a repris les rênes du domaine viticole en l’absence de son mari et de son fils, envoyés au front. Un soir d’orage, un homme se présente à la porte et demande l’hospitalité. Rosalie, cachée, observe la scène. Elle a du mal à comprendre pourquoi sa mère refuse sèchement son aide à ce peintre prometteur, familier des maîtres de maison avant la guerre. Rosalie n’entend pas tout, devine pourtant la position inconfortable du jeune homme, un soldat en fuite. Cet événement et les conjectures qu’elle échafaude tiennent la jeune fille de dix-neuf ans loin du sommeil. Elle quitte sa chambre à l’étage dans l’obscurité, descend jusqu’à la bibliothèque, un refuge où elle espère enfin s’assoupir. Quand elle entend quelqu’un se racler la gorge dehors, son cœur bat la chamade. Les éclairs vrillent le ciel. Par la fenêtre, elle distingue une ombre qui va se réfugier sous la véranda. Couché en chien de fusil, le déserteur tente de trouver un peu de repos. Prise de compassion, poussée par une force dont elle ignore tout, Rosalie, plus une enfant, pas encore une femme, fait entrer le visiteur inopportun et le cache dans une chambre désaffectée, au grenier. Comment alors un jeu de chat et de souris dans l’immense et silencieuse demeure. Mais est-ce vraiment un jeu ?
Gaëlle Nohant est de ces autrices qui prennent leur temps pour ourler leur ouvrage. Après La Part des flammes, La légende d’un dormeur éveillé, La femme révélée et Le bureau d’éclaircissement des destins, tous chroniqués ici ou presque, j’attendais avec impatience son tout dernier roman paru en août : L’homme sous l’orage. Il ne m’a pas déçu. Loin de la grande fresque et des nombreuses ramifications de romans précédents, Gaëlle Nohant concentre son attention sur quelques personnages, dans le huis clos d’un château du sud de la France, proche de l’Espagne. C’est d’autant plus intense. L’atmosphère est orageuse. Dans ce décor paradoxalement figé, les personnages enclenchent leur mutation, se déclinent en contrastes saisissants. Avec un style incomparable et parfaitement maîtrisé, Gaëlle Nohant dresse le tableau de cette période sombre à travers les points de vue de ses différents personnages. Elle explore les ressorts de la guerre et ses atrocités, le travestissement de l’information pour justifier l’innommable. Bousculées par le conflit, les places de chacun se redessinent. En refusant leur destin, Isaure, Rosalie, Théodore mais aussi la Bonne, s’affranchissent du rôle qui leur a été assigné par leur condition. Au fil des pages et des interactions, des prises de conscience et de position, se brossent les caractères, de l’ombre à la lumière. Certaines confidences déchirent la toile, des vérités sont étouffées et puis l’ordre des choses est rétabli, en apparence du moins. Mais la force du destin, elle, ne peut être contenue. Palpitant et universel.
L’homme sous l’orage. Gaëlle Nohant. Éditions de l’Iconoclaste. 21,90 €.
