vendredi 10 avril 2020

Sous le soleil de mes cheveux blonds

Brune et Brigitte se rencontrent au lycée. Bien que très différentes, elles se découvrent une passion dévorante et commune. L'amitié est scellée. Elle semble indéfectible. Les années d'adolescence se déroulent avec leur lot de découvertes, d'expériences, de tâtonnements, de rencontres. Il y a les soirées arrosées, les boîtes de nuit, la danse, Beigbeder à l'époque d' « un roman français », les années de travail acharné pour décrocher une place en fac de médecine, les vacances où l'on oublie tout, la bande de copains, le jeu de la séduction, les râteaux. Rien ne pourra séparer Brune et Brigitte. Il y a aussi les espoirs, les frustrations, l'éclosion de la féminité, l'entrée dans l'âge dit « adulte », le doute. Brune et Valéry se retrouvent parents tôt. L'un imperturbable et l'autre exubérante. Brigitte écoute les confidences. Cherche l'âme sœur, éternelle célibataire. Du groupe de copains du lycée puis de la fac, vont émerger de nouvelles personnalités. Marceau et Brune jouent un jeu dangereux. En même temps, ils ont vingt ans. Des années plus tard, après avoir traversé les turbulences de cette période intense, Brigitte rompt avec Brune, sans donner aucune explication. Plus tard, Brune, de nouveau enceinte, rêve. Une Brigitte, enceinte également, vient la hanter. Qu'est-ce qui les a unies ? Qu'est ce qui les a séparées ? Quel est l'événement déclencheur que Brune n'a pas vu ou pas voulu voir ? Brigitte, blonde, bourgeoise, à l'humeur parfois changeante... Qu'a-t-elle à reprocher à Brune, extravertie, pétulante, instinctive ? Brune, en attendant l'enfant à naître, tente de démêler l'écheveau. Elle détricote l'histoire pour mieux la comprendre. Ou pas.
Agathe Ruga signe un premier roman de presque trois cents pages, dense, parfois cru. Elle y explore les ressorts de l'amitié fusionnelle et des premières fois. Oscillant habilement entre deux temporalités, le présent de la narratrice, enceinte, et son passé revisité, le roman est écrit à la deuxième personne du singulier, comme une longue lettre à l'amie qui a fermé sa porte sans un mot, laissant la narratrice dans un profond désarroi. Dans un questionnement sans réponse. L'auteur porte cette histoire comme Brune porte l'enfant à naître. Il va bien falloir accoucher. En filigrane de ces gestations, le lecteur évolue dans les excès de l'adolescence et ses sensations exacerbées. L’écœurement des nausées côtoie celui des premiers ratés à l'entrée dans le monde des adultes. L'écriture bouscule le lecteur. Les personnages virevoltent. Tour à tour ils s'aiment et se blessent, se cherchent et se perdent, sans qu'il n'y ait au bout du compte ni bourreaux, ni victimes. Jamais coupables, seulement humains. Le titre du livre rappelle la voix sucrée de France Gall chantant Gainsbourg et sa « poupée de cire, poupée de son ». La muse de Michel Berger n'est jamais loin dans le récit, « évidemment ». Ses mélodies s'égrennent tout au long du livre et servent de titres aux différentes parties. Agathe Ruga donne le ton avec la première, « des gens bien élevés », chanson méconnue et impertinente. Le livre lui, se termine, c'est logique, comme un accouchement, par la délivrance. Félicitations, beau bébé !

Sous le soleil de mes cheveux blonds. Agathe Ruga. Editions Stock arpège. 18,50€.



Blogueuse littéraire, Agathe Ruga a également créé le Grand Prix des Blogueurs. Dans son premier roman « Sous le soleil de mes cheveux blonds », aux éditions Stock, elle raconte l'histoire d'une rupture amicale. Dans la vraie vie, elle habite Chalon sur Saône et a accouché de sa troisième fille peu après la sortie du roman. Elle a accepté de répondre à quelques questions.


A.L : Comment démêler le vrai du faux dans ce récit souvent étourdissant d'une rupture amicale entre deux jeunes femmes qui ont vécu ensemble leur adolescence avant que l'une d'elle ne décide de couper les ponts sans donner d'explication ?
A.R : L'histoire est inspirée d'un chagrin personnel. J'ai ensuite brodé autour pour toucher à l'universel. Pour l'anecdote, je suis vraiment dentiste, comme la narratrice.


A.L: Sur Instagram, vous êtes Agathe The Book et parlez de vos coups de cœur littéraires.
A.R : J'aime lire et écrire. J'ai pourtant fait une formation scientifique. Alors en 2015, j'ai ouvert un blog... pour moi... comme une sorte d'échappée personnelle. Je partageais mes lectures avec d'autres lecteurs. C'est devenu une passion, une addiction.


A.L: Il arrive, pendant la lecture de votre roman, qu'on ait un sentiment étouffant par rapport à cette histoire, aux interactions entre les personnages, au questionnement de la narratrice.
A.R : Il n'y a pas de lecture confortable. J'aime que ce ne soit pas trop lisse. Je voulais quelque chose de violent et intense pour parler de cette période fondatrice qu'est l'adolescence : toutes les premières expériences, le peu de place laissé à la tolérance, la relation fusionnelle ou rien.... On s'identifie, on projette tout sur une amie, les frustrations, les sentiments... Beaucoup vont chercher, ce qu'on fait tous dans ce cas, une vraie raison à la rupture. Je ne voulais pas qu'on s'attache plus à un protagoniste qu'à un autre. Jusqu'au bout les personnages doivent être ambivalents.


A.L: Le livre est écrit à la deuxième personne du singulier, comme une longue lettre en forme d'expiation.
A.R : Quand j'ai trouvé le souffle pour écrire à la deuxième personne du singulier, ça s'est ensuite déroulé rapidement. J'ai été inspirée par un livre, « L'autre qu'on adorait », de Catherine Cusset, où l'auteur utilise ce procédé.


A.L: La narratrice est enceinte lorsqu'elle évoque la rupture. Et elle rêve que son amie l'est également.
A.R : Le fil rouge de la grossesse est voulu. J'ai fait des rêves intenses lors de mes précédentes grossesses. On dit que les rêves des femmes enceintes peuvent changer le monde.

A.L: Vous avez choisi de nombreuses références aux chansons de France Gall (dont le titre, tiré de « Poupée de cire Poupée de son) ?
A.R : France Gall était pleine de complexes au début de sa carrière, elle n'était pas préparée à ce qui lui est arrivé. Elle illustre bien le propos. A l'adolescence et au seuil de la vie adulte, on n'est pas préparé à ce qui va nous tomber dessus !



Paru en mai 2019 dans l'Echosdcom


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