lundi 2 décembre 2024

Le syndrome de l'Orangerie

« (Si on m’avait dit que j’écrirais un jour allègrement sur une putain de fleur d’eau, je ne l’aurais jamais cru.) » consigne Grégoire Bouillier entre parenthèses. Avant d’entrer dans le vif du sujet, le livre s’ouvre sur un improbable dialogue entre BMore et Penny. Avatar manifeste de l’auteur, BMore, le narrateur, est à la tête d’une agence de détectives un peu déjantée, BMore & Investigations. Son assistante, Penny, déroutante, remplace le “je” par “celle-ci” lorsqu’elle parle d’elle. Elle suggère à son patron de nouvelles enquêtes, notamment retrouver une femme qui s’est promenée nue place du Colonel Fabien en plein mois de janvier. Les lecteurs qui découvrent cet auteur comprendront assez vite que ce n’est pas la première fois que ces personnages sévissent. Dans l’affaire qui nous préoccupe, BMore vient de visiter le musée de l’Orangerie et il a été profondément troublé devant les panneaux de Monet. Il a ressenti un profond malaise devant les Nymphéas. L’absence de ligne d’horizon, les zones d’ombre… Il en est persuadé, un cadavre se cache au milieu de cette végétation humide. Pour lui, les nénuphars qui flottent au fil d’une eau trouble recèlent bien plus que l’obsession d’un vieux peintre aveugle pour les fleurs de son jardin. Envers et contre tout, BMore commence ses observations. Ne négligeant aucun indice, biographique, pictural, littéraire, historique, BMore expose au lecteur toutes ses réflexions et élabore des théories. Où cela nous mènera-t-il ?
Avertissement : Autant prévenir ici que Le syndrome de l’Orangerie n’est pas une lecture facile. On oscille régulièrement entre admiration et agacement. On persévère, poussé par une force étrange, résistante au découragement. La curiosité ? Les détours nous font parfois perdre pied (on se dit : il va trop loin là) et quand on est à deux doigts d’abandonner, Grégoire Bouillier réussit l’exploit de nous repêcher avant la noyade. Il écrit dans ces lignes une passionnante biographie de Monet, nous incitant à redécouvrir certaines de ses œuvres (La Japonaise). On découvre l’homme, ses amours, ses amitiés, ses influences artistiques. On explore différentes époques. Le rapport à la mort, aussi. Des événements surgissant dans le quotidien du narrateur amènent l’auteur à superposer la visite de Giverny à celle d’Auschwitz. Parallèles audacieux, digressions, allusions et autres parenthèses (nombreuses, apparemment une marque de fabrique), offrent plusieurs niveaux de lecture (selon qu’on a déjà ou non lu Grégoire Bouillier). Raccourcis bizarres, humour grinçant, pointe de mégalomanie, le récit est un subtil dosage de profondeur et de légèreté, d’humour et de gravité. L’air de ne pas se prendre au sérieux, le narrateur nous emmène sur des chemins inexplorés, montrant une érudition qui nous fait nous sentir plus intelligents une fois la dernière page tournée. Déchirements de l’âme, description du “jour de trop”, chute glaçante et bouleversante à la fois (n’allez surtout pas lire l’épilogue en avant-première) Grégoire Bouillier dresse un tableau à la fois foutraque et précis, où chaque lecteur peut puiser, apprendre et trouver matière à réflexion.


Le syndrome de l’Orangerie. Grégoire Bouillier. Editions Flammarion. 22 €.