jeudi 7 décembre 2023

Veiller sur elle


Mimo, fils d’italiens émigrés en France à l’aube du XXe siècle, est renvoyé en Italie par sa mère après que son père, sculpteur, a été tué au début de la Première Guerre Mondiale. Orphelin et pauvre, Il francese, comme on l’appellera bientôt, atterrit chez un obscur oncle pour faire son apprentissage. Ivrogne, paresseux et violent, l’homme en question entraîne son “élève” en Ligurie, à Pietra d’Alba, où il a acquis un atelier. Viola Orsini, elle, est l’héritière d’une famille prestigieuse. Il se dit qu’elle est un peu folle. Certains la taxent de sorcellerie, d’autres affirment qu’un jour, agressée par des chasseurs, elle s’est transformée en ourse. La demoiselle, cloîtrée dans la grande maison à l’abri des regards des habitants du village, sait que son destin de fille est tout tracé. Mais peut-on empêcher Viola Orsini de voler de ses propres ailes ? De son côté et à la faveur des cuites de son oncle, Mimo a sculpté quelques blocs ; il a de l’or entre les doigts mais, trop asservi, n’ose pas exploiter son talent. Une nuit, le jeune homme et deux de ses compagnons se rendent au cimetière, histoire d’éprouver leur peur. Mimo n’en sort pas indemne. De tout cela, un homme au seuil de la mort se souvient. Il vit reclus dans un monastère depuis des années. Autour de lui, des frères s’agitent. L’un d’entre eux se penche, fasciné, sur l’histoire d’une mystérieuse pietà que le Vatican a décidé de cacher aux yeux du public. 

Dès l’annonce de sa sortie, et parce que j’aime l’écriture poétique de Jean-Baptiste Andrea, Veiller sur elle était sur la liste de mes envies. J’ai repoussé longtemps le moment de le lire. J’attendais une période calme, rien à l’agenda. Certains romans, quand on les ouvre, ont besoin qu’on leur laisse de la place pour étaler leur décor, déployer l’envergure des personnages. Ainsi en est-il de l’Italie de la première moitié du XXe siècle et de Mimo et Viola. Leur histoire suspend le temps. Le plaisir éprouvé à la lecture s’apparente à une sorte d’état de grâce. D’une plume ô combien talentueuse, l’auteur maîtrise les contours de ses héros et sonde admirablement leurs âmes. Les paysages, l’église perchée sur les hauteurs de Pietra d’Alba, les ombres du cimetière, un champ d’orangers accablé de chaleur et même le chapiteau miteux d’un cirque florentin ou le confinement d’une cellule monacale, tout concourt à la beauté. La construction du roman est un vrai travail d’orfèvre. Rien n’est laissé au hasard, un détail devient, deux cents pages plus loin, un élément clé. Comme dans la sculpture qu’il célèbre, Jean-Baptiste Andrea épannelle les situations, burine les drames, lime les sentiments, polit les émotions. D’une idée originale, bloc sans fêlure, il a tiré une œuvre romanesque éblouissante. On ne peut rester de marbre après cette lecture qui à la fois nous enracine et nous fait grandir. Un petit bijou de littérature à offrir, à s’offrir…


Veiller sur elle. Jean-Baptiste Andrea. Editions de l’Iconoclaste. 22,50 €.

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