mardi 2 septembre 2025

Nous sommes faits d’orage

Albanie, 2023. Sarah découvre le village sans nom et la maison léguée par sa défunte mère avec pour seule consigne : « Trouve Elora ». Exilée en Islande depuis l’âge de cinq ans, elle ne sait pas ce qui la rattache à cet endroit. Son père est mort jeune mais ses autres questions n’ont jamais obtenu qu’une réponse : « tout ira bien ». Pour rejoindre les montagnes et les pierres de son héritage, Sarah s’est adressée à Niko, un des derniers habitants du lieu déserté après la chute du régime socialiste. L’Albanie, mystérieuse et sauvage, livre peu à peu, en bribes soufflées par le vent, les croyances ancestrales. La Kulshedra, esprit ou monstre, déesse ou métaphore, dont le cœur bat au rythme de la terre, protège la nature des agressions. Sa colère contre les hommes irrespectueux peut être destructrice. Pour comprendre, il faut remonter au temps des vieilles légendes, ou alors à la fin des années 1970, quand naît une fille aux yeux couleur de feu. Peu à peu le décor se dessine dans ces hauts plateaux, lieux de vie reculés et préservés de la collectivisation par leur isolement. Jusqu’à ce jour de 1990 où la république populaire, à bout de souffle, envoie un de ses sbires pour mettre le village au pas. Les prédictions les plus sombres sont sur le point de se réaliser. 

Si on peut être dérouté, au début, de devoir jongler entre les années, on est très vite happé par la puissance du récit de Marie Charrel. On se familiarise avec ces protagonistes que l’on croise successivement à différentes époques de leur vie. Au fur et à mesure que leur portrait est brossé, on pénètre au cœur de leur fonctionnement. Une femme douée de seconde vue, les autres soudées par la force des traditions, parfois libératrice, parfois dévastatrice. Les hommes rudes, droits, attachés à leur liberté et à leur montagne pour certains, curieux du monde pour d’autres. Elora, libre et différente. Il y a la jeunesse et la révolte. La soumission et l’abnégation. La poésie et l’espoir puissant qu’elle véhicule quand on est bâillonné. Chapitre après chapitre, on suit les aventures de Dritan et Elora, de Sarah et Niko, dans les secrets entremêlés et les mutismes qui, peu à peu, font place à la vérité. L’écriture est âpre et douce à la fois. Elle explore le rapport à la nature, les notions d’émancipation et d’enfermement, fouille les liens amicaux, familiaux et les loyautés qui en découlent, forgés dans une culture dont, nous, Français, ignorons tout. La toile de fond du régime dictatorial entraîne les personnages à dévoiler les facettes contradictoires enfouies dans chaque être humain. Comment réagir face à l’univers, au pouvoir, à la violence, l’amour, à la place de l’individu dans la société ? Marie Charrel examine avec maestria toutes les pistes, de la vengeance à la fuite, de la trahison au pardon, de la colère à l’acceptation, de la mort à la vie. Un roman d’une grande intensité, impossible à lâcher !


Nous sommes faits d’orage. Marie Charrel. Éditions Les Léonides. 21,90 €

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