[…] je suis seul avec mes questions : qu’ai-je fait ? Moi qui ai tenté de leur redonner vie par l’écriture, si j’avais accompli tout le contraire ? Si je les avais fait mourir une deuxième fois, en mettant à leur place des personnages faux, sans consistance ? ». Comment raconter l’histoire de gens ordinaires, désormais disparus, sans trahir ? Le narrateur brosse le portrait des membres de sa famille, principalement ses grands-parents maternels. Il a connu des personnes âgées, malades et diminuées. Il raconte des épisodes touchants de leur fin de vie, formule tout à coup les questions qu’il n’a pas posées quand il était encore temps. Alors, après avoir mis des milliers de kilomètres entre Lyon, le berceau de ses ancêtres, et lui, il éprouve le besoin de partir à la chasse aux souvenirs, d’imaginer le décor avant eux et pendant leur jeunesse qu’il n’a pas connue. Dans le quartier de la Croix Rousse, chez les soyeux où Alice, sa grand-mère, s’échine devant le métier à tisser. Dans un salon huppé où, enfant, elle a appris à jouer du piano auprès d’une cousine plus fortunée. Qui étaient ses parents ? Comment Alice a-t-elle rencontré René, son mari ? Quelle a été leur vie ? Quels ont été leurs rêves et leurs déceptions ? Leurs actes héroïques ou les petits gestes du quotidien ?
Dans ce livre éminemment touchant, Philippe Manevy traverse avec ses personnages les aléas et grands bouleversements du XXe siècle. De ce décor posé sur La colline qui travaille, émanent ces petits riens qui tissent une existence. Des protagonistes se rencontrent, font la guerre, s’écrivent, travaillent, s’aiment avec pudeur, meurent. Depuis l’héritière déchue ayant fait un mariage désastreux au professeur exilé en passant par la tisseuse militante, le typographe engagé et l’inspectrice des impôts, l’auteur tire le fil des souvenirs, recoupe les informations, doute, réfléchit. Il extirpe l’essence de ces instants à jamais enfouis et la partage avec le lecteur. Il reconstitue avec humilité et beaucoup de tendresse le parcours des gens de sa lignée, leurs croyances, leurs combats, leurs forces et leurs faiblesses. On chemine avec eux dans les traboules dont l’usage a évolué au fil des ans. On dîne à leur table, maigre pendant la seconde guerre mondiale, trop gras après. On écoute leur musique quand ils se reposent, on transpire avec eux sur leur labeur. L’écriture est maîtrisée, la langue, belle. Et puis, cette chronique fait forcément écho à la nôtre, à ce que nos aïeuls nous ont transmis ; à ce qu’on n’a jamais su d’eux et qu’on imagine avec peine ; à leurs voix, leurs sourires, effacés. Il reste ces photos d’un autre temps, ces films super 8, qu’on garde précieusement parce que c’est leur histoire et un bout de la nôtre. C’est comme ça qu’on est vivant et Philippe Manevy nous le rappelle d’une bien jolie manière.
La colline qui travaille. Philippe Manevy. Éditions Le bruit du monde.
22,00 €.
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