mardi 12 novembre 2024

Hôtel Castellana


Dans une note datée d’août 1951, Harry Truman, président des États- Unis, expose ses réserves concernant les rapports diplomatiques avec l’Espagne et ce, en raison de la façon dont Franco traite les citoyens en désaccord religieux avec lui. Madrid, été 1957. Rafa cumule un emploi dans un abattoir et au cimetière. Il reste traumatisé après l’arrestation et l’exécution de son père par la Guardia Civil, quelques années plus tôt. Sa sœur Ana, employée à l’Hôtel Castellana Hilton, reçoit des lettres anonymes et tente de se faire discrète sur l’injonction de leur sœur aînée. Daniel, américain, bilingue par sa mère, est en voyage avec ses parents. Destiné à prendre la tête de la compagnie pétrolière familiale il rêve de faire une carrière de photojournaliste. Parti en exploration, boîtier en bandoulière, il capture dans la rue l’image d’une religieuse dissimulant le nourrisson mort qu’elle transporte. Le temps de changer de pellicule pour espérer prendre d’autres photos et il se retrouve nez à nez avec les “corbeaux”, ainsi surnomme-t-on la force militaire au service de Franco. Ramené à l’hôtel, il fait bientôt la connaissance d’un certain nombre de protagonistes, diplomate, journaliste, autour desquels gravite son père. Quand Ana, affectée au service de la famille, rencontre Daniel, le silence qu’elle a promis de garder sur son histoire et la réalité du quotidien se fissure lentement…
Bien documenté, passionnant, ce roman de Ruta Sepetys, traduit de l’anglais (États-Unis) par Faustina Fiore, nous transporte dans le décor inhabituel de l’Espagne d’après-guerre. On pénètre dans la famille d’Ana, observant la trajectoire d’opposants intellectuels, brisés par le pouvoir. L’écriture, sobre et efficace, nous fait pénétrer au cœur de ces familles, décimées, écartelées par des vues divergentes, bâillonnées. De la nécessité de cacher sa vraie nature pour tout simplement survivre. En parallèle, le cheminement de Daniel, le poids de son héritage, le comportement nébuleux de ses parents, interrogent sur la destinée des gens censément libres. Au fil du livre, les personnages, nombreux, dont la psychologie est bien creusée, se croisent et se livrent, évoluent ou se désagrègent. Les secrets ne sont pas le monopole d’Ana, faisant écho à ceux de la famille de Daniel. On suit tout ce petit monde dans les rêves de corrida, les compromissions avec le pouvoir et on pénètre dans l’un des plus gros scandales de l’époque, celui de bébés qui, par idéologie, ont été arrachés à leurs parents biologiques pour être confiés à des couples qui “pensaient” bien. Un sujet longtemps occulté et qui reste tabou mais qui concernerait quelque 300 000 naissances. Au-delà de cet éclairage historique essentiel, Ruta Sepetys construit une fresque éminemment romanesque, décrivant avec une grande sensibilité les par- cours difficiles, les amours contrariées, les zones d’ombres à éclairer.


Hôtel Castellana. Ruta Sepetys. Éditions Folio. 9,70 €

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