La guerre
![]() |
1934 en bateau sur la Sarthe à Noyen, de gauche à droite, Daniel et Jeanne, mes grands-parents, avec des voisins. |
Mon grand-père (1903-1995) a écrit ses mémoires à l'intention de ses enfants. Mon père a retranscrit ce précieux témoignage sur ordinateur et scanné tous les documents photographiques et autres en sa possession. Les petits-enfants et arrières petits enfants (et arrière arrière petit fils !) ont ainsi accès à ces souvenirs. Ci-dessous le récit de la période 1939/1944. Mes grands-parents habitaient alors Noyen sur Sarthe (ainsi que la mère de mon grand-père, appelée grand-mère Blé) et avaient acheté en 1934 un commerce "café-charbon". Ils avaient un fils, Georges, né en 1931, mon oncle. Mon père naîtra en octobre 1944 (ma grand-mère est donc enceinte à la fin de cet épisode). Mon arrière grand-père (le père de ma grand-mère) était à l'époque chef de Gare à Rambouillet où il vivait avec sa femme et la plus jeune de ses filles, Yvette.
Ci-dessous l'histoire de cette période telle qu'il l'a écrite. Au milieu, je me suis permis d'intégrer les quelques lignes que mon oncle a rédigées concernant son souvenir de l'exode.
1939. Au moment où l’on
commençait à tenir debout, la guerre survient. Mobilisé le deuxième jour, je
laisse votre maman se débrouiller toute seule. Un collègue (un vrai) est venu
se mettre à sa disposition pour livrer le charbon un jour par semaine puis, elle
prit Ravenel avec ses chevaux. Évidemment, il n’était pas question de sortir de
Noyen.
![]() |
Livret militaire de mon grand-père |
Je ne m’étendrai guère sur
cette sombre période où, en plus du danger, nous couchions dehors avec 20 à 25°
en dessous de zéro. Si l’hiver a été dur, j’ai eu la chance, au moment crucial,
d’être envoyé en instance d’affectation spéciale à mon dépôt d’Angers (nous
étions à la frontière du Luxembourg, à Aumetz). Le 10 mai, mes camarades
rentraient au Luxembourg avec des fusils Lebel et des vieilles mitrailleuses
pour affronter les chars allemands. Le résultat fut celui dont vous avez
entendu parler.
Je fus affecté spécial dans une
petite usine d’aviation près de Chartres, à Illiers. Au bout de trois jours, je
demandai une permission pour venir chercher mes effets civils. En me promenant,
j’attrapais une entorse et, au bout de quelques jours, un voisin me conduisit à
Illiers. Le pays avait été bombardé la veille. Le directeur de l’usine me
dit : « Nous nous replions sur Vierzon où une usine est en
construction, mais je vous donne un conseil : rentrez donc chez vous et
attendez les événements ». En rentrant, je mis deux fûts de 200 litres
d’essence et deux malles de linge sur le Ford et nous attendîmes. Pour se rendre
compte de notre état d’esprit de ce moment là, il faut avoir vécu l’exode. Des
milliers et des milliers de gens, à pied, en voiture hippomobile et autres
moyens. La grand-mère Hémery et Yvette étaient parties de Rambouillet en vélo
pour venir à Noyen, mais les encombrements des routes, les bombardements des
convois auxquels les civils étaient mélangés ont fait qu’elles se sont
retrouvés très loin de Noyen, dans l’Orléanais je crois. Les Allemands passés,
elles sont retournées à Rambouillet où tout leur intérieur avait été pillé.
Pendant ce temps, le grand-père Hémery avait l’ordre d’emmener les fonds de la
gare à Alençon et ils devaient tous se rejoindre chez nous. Mais le grand-père
se retrouva seul. Au bout de quelques jours de recherche, il prit un train ou une
machine qui remontait vers Paris et retrouva sa famille à Rambouillet.
Dans cette entrefaite, les
Allemands étaient passés à Noyen et nous avions décidé de rester chez nous. Les
Allemands avaient été précédés de peu par quelques chars français chargés de
réduire ou freiner leur avance. C’est ainsi que le clocher de Saint Georges du
Bois subit quelques dommages. Nous avons ce jour-là échappé à une bataille
d’arrière garde. Les chars français voulaient s’installer sur la côte de
Voisine, route de Parcé, mais après discussion avec le maire et devant le peu
de personne qui avaient évacué, ils continuaient leur chemin. Les Allemands
sont passés le soir et, grâce à la présence d’une réfugiée de Metz que nous
logions et qui parlait Allemand, les contacts avec l’occupant ont été
facilités.
![]() |
Mon oncle Georges, surnommé Geo, avec Liliane |
Il a fallu alors s’accommoder
de cette situation, de la disparition du charbon (de 1940 à 1948), et
pratiquement sans bière. Il a fallu changer son fusil d’épaule. J’ai acheté des
coupes de bois à Saint Jean du Bois, j’ai embauché deux bûcherons, j’ai
fabriqué une scieuse et une casseuse (je n’avais pas les moyens d’acheter). Je
vendais le bois en sacs que nous livrions avec une voiture à bras. Ce n’était
pas le Pérou mais cela a permis de vivre les quatre ans d’occupation, aidés par
le café que j’alimentais (illégalement bien sûr) en vin d’Anjou que j’allais
chercher à Nueil sur Layon, à l’aide d’un camion à Coudreuse que celui-ci me
prêtait malgré les risques. Nous avons toujours eu la chance de passer à
travers les contrôles (nous rentrions vers 2h du matin quand le couvre feu
était à 10h). Nous n’avons, dans cette période, pas trop souffert du
ravitaillement. Le pain était noir, mais nous n’en avons pas manqué. Je
détenais dans le fond de la brasserie (illégalement bien sûr) une tonne de blé
ou de farine appartenant à un boulanger. Nous allions la nuit emmener du blé au moulin de Denneré à Avoise et nous
ramenions la farine.
![]() |
Certificat de démobilisation |
La chasse au furet nous
alimentait en lapins qui pullulaient (il n’y avait pas de myxomatose), la
chasse étant interdite. Je suis allé plusieurs fois avec mon ami Bouvet, la
nuit, muni d’un phare à acétylène et d’une bouteille de gaz dans le dos. Le
premier était ainsi équipé et le second tenait debout une espèce de carrelet
qui coiffait les perdreaux endormis. A Saint Jean du Bois où j’avais des coupes
de bois, deux sangliers furent pris au collet.
Le premier bombardement de
Noyen, dans la première dizaine de juin 1944, nous a un peu surpris, mais nous
avons pensé à une erreur puisque les voies de chemin de fer étaient coupées à
Sablé et au Mans. Le deuxième survint dix jours après. En 3 minutes, 580 bombes
(plus celles tombées dans la rivière). Il s’est étendu du début du canal jusque
de l’autre côté de Lainor, sur une largeur de 200 mètres. Pas une bombe ne
toucha le pont, mais ce coup là, nous avons eu un peu d’émotion dans la famille
et c’est vraiment un miracle qu’il n’y eut que 4 tués à Noyen.
Nous sommes alors allés nous
installer à la Baluère. Monsieur De la Taille avait mis à notre disposition
deux pièces dans les dépendances. Nous y avons séjourné, votre mère, la
grand-mère Blé, Geo et moi pendant deux mois. Nous avons assisté de là-bas au
troisième bombardement de Noyen. Cela ne fait pas du tout le même effet que
quand on est dessous.
La libération de Noyen s’est
faite le 6 août 1944 sans casse. Les Allemands avaient miné la route de
Malicorne et les quelques troupes qui s’y trouvaient s’étaient éclipsées. Les
Américains attendus sur la route de Sablé sont arrivés par Hierray, Tassé et
sont remontés par la route de Fercé. A Hierray, quelques SS ont voulu barrer la
route aux Américains mais ils ont été transformés en passoire en quelques
secondes. La route de Hierray n’était pas goudronnée à ce moment là et, de la
Baluère, nous voyions un énorme nuage de poussière. Les troupes ont passé Noyen
sans encombre et ont trouvé à Vaulogers une unité de chars Allemands sans
liaison avec les autres troupes ; surpris, ils ont été hachés à coups de canon.
C’est le seul fait saillant de la libération.
Fin